Compilation de recherches collectives touchant à l'univers de la mise en exposition assurée par Jean Davallon, ex-directeur du laboratoire Culture et Communication de l'université d'Avignon, « Claquemurer pour ainsi diretout l'univers » est le fruit d'un séminaire organisé par l'Association Expo-Media, sur le thème « Exposition et territoire », tenu en 1986.
Avec pour projet de se centrer sur la notion d'opérativité symbolique qu'il dégage comme le résultat espéré d'expositions ayant pour but de créer ou renforcer un liant culturel dans/entre divers groupes sociaux, cet ouvrage fait appel à des exemples sortant du champ commun de l'exposition pour élargir le regard à des lieux, des façons assez marginales, hors cadre, de penser la mise en exposition.
On retrouve évoqués les exemples de villes mettant en scène leur propre patrimoine, par la réhabilitation, la redécouverte de leur centre historique, des parcs zoologiques habitués à la mise en scène de l'animal vivant, confrontés au paradoxe d'une exposition qui nécessite à la fois du scientifique et du spectaculaire comme au temps des ménageries, des pays tout entier mis en scène comme des musées grandeur nature (avec le pertinent exemple du Périégèse de Pausanias, la Grèce pays-musée à découvrir le guide en main) ou de musées mettant en scène leur territoire (à l'image des ATP et écomusées, tendance beaucoup plus actuelle que la précédente).
Le but est demontrer que ce type de mise en scène, finalement beaucoup plus ancré dans notre quotidien, dont nous avons davantage le réflexe de profiter, plutôt que d'aller voir spontanément des accrochages au musée, est en soi une forme d'exposition, avec ce que cela suppose : de s'extraire du réel, du banal, pour recréer une nouvelle vision de l'espace, en le réorganisant, le triant, et lui donnant ainsi plus de poids, de sens, bref en lui faisant délivrer un message.
Claquemurer pour ainsi dire tout l'univers
Ainsi Jean Davallon et les autres auteurs de cet ouvrage (dont Dominique Poulot) ne prétendent-ils pas en tirer de théories, simplement des observations, noter comment l'exposition peut être à l'origine de la création d'un territoire, d'un liensocial, d'un sentiment d'appartenance à une communauté, ce qui est tout à fait à l'œuvre dans le concept d'écomusée, longuement décortiqué dans les articles de Davallon.
Après avoir fait le tour de ces exemples, l'ouvrage se propose de présenter certains usages faits de cette mise en exposition, en montrant à diverses échelles l'impact de cette prise en considération du patrimoine et de l'immixtion du politique dans ces différentes démarches : comment l'écomusée influence-t-il le local, comment les municipalités, bien avant la réforme des collectivités territoriales, portent déjà un regard sur le passé et assume le poids de leur héritage, bon gré mal gré commme une évidence symbolique et économique dans la destinée de leur ville, comment enfin les pays du tiers-monde, par l'érection de musées d'histoire juste après leurs indépendances créent un sentiment factice de cohésion et d'identité nationale, au service d'idéologies et de propagandes gommant les particularismes régionaux.
Par un habile retour sur les formes d'expositions traditionnelles, le livre pose la question de l'exposition comme un genre hybride dont la signification et la lecture à chaque fois différente (celle du concepteur puis celle propre à chaque visiteur) sont celles d'un monde en réduction, qui aurait par ailleurs la trop grande ambition de « claquemurer » tout un univers, comme le critiquait déjà au XVIIIe siècle M. de Girardin.
Perçue également comme une technique, voire comme un rite, accompagné de son cérémonial et de ses codes, la mise en exposition, à la conclusion de cette étude, laisse encore beaucoup d'interrogations devant elle.
Il est étonnant de noter que pour un ouvrage datant de 1986, de tels thèmes n'aient pas vieilli outre mesure. Nous renvoyant à des préoccupations encore actuelles, ces recherches, en posant la question du lien social, de fédérer une communauté autour d'un sens commun, illustre les grands débuts de la médiation culturelle, phénomène qui s'est pleinement généralisé aujourd'hui. La question de la place grandissante des collectivités, déjà à l'oeuvre à l'époque, des villes ayant besoin de se sortir de la crise par la mise en valeur des éléments du passé et leur habituelle réhabilitation, de plus en plus récurrent à l'heure actuelle, dans un souci d'en finir avec le clivage entre ancien et contemporain, sont également des preuves de la continuité (sans parler de stagnation) des politiques culturelles d'il y a plus de vingt ans à aujourd'hui. Depuis, certes les études ont elles avancé, mais il n'en reste pas moins que les mots employés ont encore une profonde résonance, dont le message sera peut-être difficilement recouvrable avec le temps, puisque cet ouvrage est déjà quasiment introuvable de nos jours.
Lucie Rochette
Claquemurer pour ainsi dire tout l’univers, ouvrage collectif sous la direction de Jean Davallon, Publication du Centre de Création Industrielle, Centre Georges Pompidou, 1986