L’inauguration d’une exposition est un moment particulier tout comme une avant-première au théâtre. C’est le Grand Soir où toute l’équipe du musée et ses partenaires, un peu stressés, présentent le fruit de longs mois de travail. Bien sûr, la présentation de l’exposition ne s’arrête pas à une seule soirée : elle demeurera pendant plusieurs mois et les visiteurs du soir du vernissage ne sont pas représentatifs de l’ensemble du public qui passera les portes du musée jusqu’à la fermeture de l’exposition. Mais tout de même, la première impression, même si elle n’est pas toujours bonne, est la plus importante: les journalistes présents peuvent donner envie ou non au public potentiel de franchir l’entrée du musée, tout comme les premiers visiteurs peuvent faire bonne ou mauvaise publicité auprès de leurs proches. Les élus ainsi que les agents de la collectivité, aussi présents, ont également l’occasion de voir l’œuvre de leurs collègues du service musée. Des jugements éventuels peuvent mettre une certaine pression à l’équipe du musée en représentation, en particulier le conservateur et les commissaires d’exposition sous les feux des projecteurs. On se demande ce que vont penser les visiteurs du contenu scientifique, de la rédaction des textes des cartels, ou encore du choix des œuvres…Tout le travail réalisé a été fait pour eux.

 

culte marie madeleine

 

© Camille Roussel-Bulteel, première salle de l’exposition abordant le développement du culte de Marie-Madeleine.

 

Apprentie en régie des collections et des expositions au Musée de la Chartreuse de Douai, j’étais donc curieuse des avis des visiteurs concernant le montage de l’exposition « Marie Madeleine, la Passion révélée », le soir du vendredi 16 juin 2017.

Parmi les professions passionnantes du monde muséal, nous retrouvons le métier de régisseur des collections et des expositions, que j’ai la chance d’apprendre lors de cette riche année d’étude de Master 2. Ce poste a pour mission, dans le cadre d’un projet d’exposition temporaire, de coordonner, avec l’aide de l’équipe du musée, les mouvements des œuvres et leur accrochage, c’est-à-dire la mise en place des objets muséaux dans l’exposition: il peut aussi bien s’agir de tableaux fixés aux cimaises, de sculptures posées sur des socles, ou encore de documents placés en vitrine. Pour se faire, il est primordial de bien connaître le contenu de l’exposition.

Ainsi, le travail de montage pour l’exposition « Marie Madeleine, la Passion révélée » a débuté environ 4 mois avant son ouverture. Dans un premier temps, il a fallu s’imprégner des œuvres sélectionnées. La grande difficulté du montage de cette exposition réside dans la coproduction par trois musées différents, nécessitant un important travail scientifique préalable (rôle des commissaires scientifiques), ainsi qu’une préparation anticipée bien en amont (rôle des directeurs d’établissements, qui deviennent pour l’occasion les commissaires généraux du projet, c’est-à-dire ceux qui l’organisent concrètement en se chargeant de la passation des marchés de transport, de communication et d’édition – entre autres). Avant de s’installer à Douai, l’exposition s’est arrêtée au Monastère royal de Brou à Bourg-en-Bresse puis au Musée des Beaux-Arts de Carcassonne. La majorité des œuvres sont présentées dans les trois musées organisateurs mais pas toutes : certaines œuvres visibles à Bourg-en-Bresse ou à Carcassonne ne le sont pas à Douai. D’autres œuvres ont une présence exceptionnelle au Musée de la Chartreuse comme la Marie Madeleine de Van Scorel, chef d’œuvre conservé au Rijksmuseum d’Amsterdam. Ainsi, il fallait bien différencier les œuvres qui arrivent de Carcassonne, la deuxième étape, et celles qui arrivent directement de leurs musées d’origine étant des prêts bien spécifiques à Douai. Afin d’effectuer ce travail d’immersion, l’étude du catalogue, déjà édité au moment de la préparation du montage, et contenant la totalité des visuels des items, a facilité cette imprégnation.

Parallèlement, le tableau de dépouillement des fiches de prêts, d’abord réalisé par la conservatrice et l’assistante de direction, puis vérifié et complété par le service de la régie auquel j’appartiens depuis le mois d’octobre dernier, permet la préparation en amont du montage : quelles sont les conditions de prêt ? Faut-il une mise à distance ? Le musée prêteur demande-t-il des relevés climatiques ? Le visiteur est-il autorisé à photographier l’œuvre ? Y aura-t-il la présence d’un convoyeur ? Quelles sont ses conditions de voyage ? Existe-t-il des exigences concernant l’accrochage ? Faut-il des tiges sécurisées, des pattes de fixations, un support de présentation particulier ? Par ce travail d’analyse approfondi il était par la suite aisé de se souvenir de tête, pour les 90 œuvres, du numéro de catalogue, du musée prêteur, du titre, de l’artiste, et de l’emplacement dans l’espace d’exposition.

 

courtisane, Rijksmuseum

 

© Camille Roussel-Bulteel, deuxième salle de l’exposition abordant Marie Madeleine représentée en courtisane et myrrophore. A gauche, dans un caisson climatique, la Marie Madeleine de Van Scorel, chef-d’œuvre conservé au Rijksmuseum d’Amsterdam.

 

Arrivent également les questions d’assurance : le service de la régie demande les devis, tandis que la conservatrice et l’assistante de direction s’occupent de l’établissement des bons d’engagement et des contrats au nom de la Ville de Douai. Chaque mouvement d’un objet muséal comporte des risques : casse, vol, dégradation. Chaque œuvre empruntée dans le cadre d’une exposition temporaire est assurée. Cette protection assure le financement d’une restauration ou d’une indemnisation dans le cas où un dommage serait subi. Les musées prêteurs exigent de recevoir le certificat d’assurance avant le départ de l’œuvre pour le lieu d’exposition. Cette protection assurée « clou à clou », débute un mois avant l’ouverture de l’exposition et se termine un mois après la fermeture. Ainsi, l’œuvre est protégée durant toute la période de transport, de manipulation et de présentation dans le musée emprunteur. C’est à ce dernier qu’il incombe de souscrire l’assurance auprès d’un assureur spécialisé au nom du musée prêteur, qui fait part de ces exigences en termes d’assurance. Les assureurs sont différents pour la France et l’étranger.

Une autre partie du travail consiste à contacter l’entreprise de transport et de conditionnement d’œuvres d’art retenu. De nombreux échanges entre l’entreprise et le service de la régie se mettent en place afin d’organiser au mieux l’accrochage. Le musée remet la liste des œuvres concernées, puis des discussions s’établissent afin de faire un point sur la présence de convoyeurs, le nombre d’œuvres venant de Carcassonne, le nombre des œuvres venant de leurs musées d’origine et les optimalisations possibles concernant leurs acheminements jusque Douai. Fruit de ces échanges, la liste de colisage et les plannings d’arrivées des œuvres et des convoyeurs sont établis et partagés.

Parallèlement à ces préparatifs, les salles du musée et leurs lettrines ainsi que les socles sont repeints grâce à l’aide du service Bâtiment de la Ville et d’un médiateur culturel du musée: du jaune, du bleu, du rouge, des couleurs qui feront ressortir les œuvres. La conservatrice des lieux ainsi que la commissaire d’exposition établissent le plan d’accrochage. Il faut adapter l’exposition aux salles du musée de la Chartreuse et aux matériels disponibles tout en respectant le discours commun aux trois musées partenaires. Ainsi, la seule salle d’exposition se trouvant au rez-de-chaussée accueille une sculpture en pierre trop lourde pour être exposée à l’étage. Sur le plan, adapté par le service de la régie, apparaissent des notes tirées du travail d’épluchage des contrats de prêts qui a permis de répertorier les conditions des prêteurs : tiges sécurisés, numéros des socles avec ou sans capot, mises à distance. Quelques fantômes sont réalisés afin de s’assurer de la capacité d’accueil de certaines cimaises.

 

crucifixion, noli me tangere

 

© Camille Roussel-Bulteel, quatrième salle de l’exposition, présentant les épisodes de la crucifixion et du Noli me tangere.

 

Roulland

 

© Camille Roussel-Bulteel, sixième salle de l’exposition, la Marie Madeleine, statue réalisée par Roulland, était trop lourde pour être présentée à l’étage.

 

Les œuvres venant des autres musées, autres que les Beaux-Arts de Carcassonne, arrivent tout au long des deux semaines d’accrochage. Les œuvres exposées à Carcassonne, quant à elles, arrivent en même temps, convoyées par le régisseur et le documentaliste. A leur arrivée à Douai, leurs caisses sont entreposées dans la salle capitulaire soit la salle d’exposition du musée convertie en salle de stockage de caisse. La taille de l’exposition étant relativement importante, cette dernière est accrochée sur tout l’étage du musée. L’étage avait été démuni de ses collections permanentes dans le contexte des travaux de toitures qui sont interrompus le temps de l’évènement.

Après cette livraison, débute une semaine de montage avec l’aide d’accrocheurs. Les membres de l’équipe du musée donnent les directives : la régisseur et moi-même, l’assistant de régie des collections, la conservatrice, le documentaliste. Dans la salle capitulaire du musée sont déballées les œuvres qui sont ensuite montées par les escaliers des anciennes réserves jusqu’aux salles d’exposition où est fait le constat d’état, un document qui permet de vérifier qu’aucune dégradation n’a eu lieu sur l’œuvre lors du voyage. Parallèlement toutes les caisses sont pointées à l’aide de la liste de colisage. Une fois le constat d’état signé, l’œuvre est placée. Sur les cimaises, les œuvres sont accrochées toutes ensembles simultanément afin de pouvoir calculer les espacements. Des petits supports sont fabriqués pour les objets exposés en vitrine à l’aide de plastazote ou de mélinex soient des matériaux neutres pour la conservation des objets patrimoniaux.

Quand l’œuvre est convoyée, toutes les opérations, (le déballage, le constat d’état et l’accrochage) sont réalisées en présence du convoyeur, c’est-à-dire du représentant du musée prêteur. Il n’est plus possible de manipuler à nouveau l’œuvre une fois le convoyeur parti… Le musée prêteur choisit d’envoyer un convoyeur quand l’œuvre est particulièrement fragile ou difficile à installer. Les grands moyens ont dû être employés pour l’installation de l’œuvre Jésus chez Marthe et Marie conservée au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes d’Erasmus II Quellinus et d’Adrien Van Utrecht. Cette huile sur toile d’une dimension de 1m75 de haut et de 2m43 de large a accédé à l’étage grâce à la trappe du musée.

 

repas Simon

 

© Camille Roussel-Bulteel, le repas chez Simon, et Jésus chez Marthe et Marie, les deux sœurs de Lazare, sont les épisodes bibliques abordées dans cette troisième salle de l’exposition. Au fond, l’œuvre des Beaux-Arts de Valenciennes passée par la trappe.

 

trappe

 

© Camille Roussel-Bulteel, l’œuvre des Beaux-Arts de Valenciennes était trop volumineuse pour passer par les escaliers des anciennes réserves du musée. Les grands moyens ont donc été employés.

 

Il est fort émouvant de découvrir les œuvres vues tant de fois dans le catalogue. Leur matérialité révélée ! Des œuvres interpellent plus que d’autres, comme une huile sur marbre, un Noli me tangere, conservée au musée de Dole. L’artiste a utilisé un motif naturel de la pierre afin de l’intégrer à sa composition. Un petit ivoire réalisé par Jean-Antoine Belleteste représentant une crucifixion et appartenant aux collections du musée-château de Dieppe, est une véritable merveille.

 

belleteste, poirier, dieppe

© B.Legros, Jean Antoine BELLETESTE, Crucifixion, 1797, ronde bosse en ivoire, caisse en ébène et poirier noirci, fermoirs en bronze, Dieppe, musée-château

 

huile sur marbre, bertrand, noli me tangere

 

© Henri Bertrand, Italie, Le Christ et la Madeleine, Noli me tangere, huile sur marbre collé sur ardoise, Dole, musée des Beaux-Arts

 

Une fois l’ensemble des œuvres accrochées, l’équipe du musée maintient les efforts : les kakémonos sont mis en place, les mises à distance sont installées pour les œuvres qui en avaient besoin. Les électriciens interviennent alors sous la supervision de la commissaire d’exposition. La fabrication des cartels et leur pose sont les dernières étapes qui précédent les petites finitions juste avant le vernissage, aussi activement préparé.

 

pénitence

 

© Camille Roussel-Bulteel, la cinquième salle de l’exposition dévoile des Madeleines pénitentes.

 

Pour le vernissage : une dégustation de madeleines. Le buffet déclinait la douceur préférée de Proust sous des formes surprenantes : au sucre, au foie gras, au citron, et même aux asperges (légume que l’on retrouve dans certaines œuvres de l’exposition, étant un symbole lié au personnage de Marie Madeleine)…

Et les avis des premiers visiteurs ? Ils sont plutôt positifs. Quelques jours après l’ouverture, de petites remarques concernant la disposition des cartels impactant le confort de lecture furent faites aux surveillants qui n’ont pas tardé à le signaler. Les modifications sont donc exécutées dans les plus brefs délais.

Pari donc réussi grâce à un travail d’équipe organisé sans lequel le montage n’aurait pas été possible. L’appréhension du soir du vernissage laisse alors place à la fierté.

Quelques mots tout de même sur le contenu de l’exposition ? « Marie Madeleine, la passion révélée » aborde la figure du personnage biblique qu’est Marie Madeleine à travers des œuvres du Moyen Âge à nos jours. Le Musée de la Chartreuse accueille 90 œuvres prêtées par des musées, bibliothèques, archives, et collectionneurs privés. Cette manifestation est exceptionnelle : très peu d’expositions ont abordé le sujet, si ce n’est à Florence en 1986 et à Gand en 2002. C’est une première en France. Le pays est pourtant fortement attaché à cette Sainte, qui selon la légende dorée de Jacques de Voragine, est venue évangéliser la Provence après la mort du Christ.

Marie Madeleine est connue pour avoir été l’une des plus fidèles disciples du Christ qui l’a accompagné jusqu'à sa mise en croix.Elle est également considérée comme la première personne à qui il est apparu après sa résurrection. Dans l’imaginaire collectif, elle s’est repentie après avoir vécu une vie de femme futile. En réalité, elle est la fusion de plusieurs femmes citées dans les évangiles canoniques de Marc, Matthieu, Jean et Luc. C’est le Pape Grégoire le Grand qui affirma son identité multiple vers 591. Ainsi, elle est à la fois Marie de Magdala, que le Christ a libérée des 7 sept démons, Marie de Béthanie, la sœur de Lazare ressuscité par le Christ, et la femme qui lave les pieds du Christ lors du repas chez Simon. On l’a aussi confondue avec Sainte Marie l’Égyptienne, une prostituée portant une très longue chevelure, qui se repent dans le désert. Enfin, le best-seller de Dan Brown, le Da Vinci Code, l’a faite connaître auprès du grand public en tant qu’épouse du Christ et mère de son enfant, Sarah.

Plus d’informations se trouvent sur la page facebook du musée où je poste chaque semaine une anecdote sur l’une des œuvres exposées: https://www.facebook.com/museedelachartreuse/?pnref=story

 

affiche, révelée

 

« Marie Madeleine, la Passion révélée », du 17 juin au 24 septembre 2017, au Musée de la Chartreuse, situé au 130 rue des Chartreux, 59500 DOUAI. Informations pratiques sur :http://www.museedelachartreuse.fr/

Commissariat scientifique de l’exposition : Marie-Paule BOTTE, historienne de l’art, Magali BRIAT-PHILIPPE, conservatrice du Monastère Royal de Brou à Bourg-en-Bresse, Pierre-Gilles GIRAULT, administrateur du Monastère Royal de Brou à Bourg-en-Bresse, Anne LABOURDETTE, conservatrice du Musée de la Chartreuse de Douai, Marie-Noëlle MAYNARD, conservatrice en chef du Musée des Beaux-Arts de Carcassonne.

Catalogue de l’exposition, Marie Madeleine, la passion révélée, 2016, 216 pages

BENAITEAU Carole, BERTHON Olivia, BENAITEAU Marion, LEMONNIER Anne, Concevoir et réaliser une exposition, les métiers, les méthodes, 2ème édition augmentée exposer à l’ère numérique, Eyrolles, 192 pages.

Camille Roussel-Buteel

 

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