Le 14 octobre dernier, les amis de Yann Arthus-Bertrand se « vend[ai]ent aux enchères »1, au profit de la Fondation GoodPlanet installée depuis mai 2017 au Domaine de Longchamp. Comme en témoigne cette manifestation hors-du-commun, le lieu destiné à « placer l’écologie et la solidarité au cœur des consciences »2 ne lésine pas sur le spectaculaire. Au risque de verser dans une écologie hors-sol et dans une solidarité verbeuse.

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Château de Longchamp, bâtiment de la fondation GoodPlanet (bois de Boulogne, Paris, 16e), le 26 juin 2018 © Celette

Le domaine de Longchamp, un lieu grand public ?

Le domaine de Longchamp comprend une imposante bâtisse XIXe siècle et un parc de 3,5 hectares. Les deux espaces ont été concédés par la mairie de Paris à la Fondation GoodPlanet en 2015, pour une durée de 30 ans. La fondation s’est engagée à rénover le domaine pour en faire un lieu dédié à l’écologie et à la solidarité, accessible à tous.
Cette exigence d’accessibilité est rappelée par Yann Arthus-Bertrand lui-même : « toute personne, quel que soit son âge, ses origines, son parcours, peut venir découvrir ce parc magnifique de 3 hectares et demi, avec son château, ses expositions, sa riche biodiversité et tout cela gratuitement »3. En pratique, la Fondation remplit ses missions en proposant des expositions, des projections et des ateliers pédagogiques du mercredi au dimanche. La participation individuelle aux ateliers est gratuite, comme l’entrée au domaine.  En revanche, le projet de proposer une navette à 1€, pour rejoindre la Fondation depuis la Porte-Maillot a fait long-feu4. La mesure paraissait pourtant intéressante, pour attirer un public au-delà des banlieues voisines favorisée de Suresnes, Neuilly et Auteuil. S’il est aujourd’hui possible de rejoindre le site en bus, il faut tout de même compter 4€ de trajet aller/retour entre la Fondation et la porte Maillot.   
Il semble néanmoins que la Fondation ait rencontré son public : chaque semaine elle permettrait à « des milliers de personnes d’apprendre, de s’inspirer et d’agir »5. Le rapport d’activité 2017 met en avant une fréquentation de « 110 000 visiteurs » sur la période mai-décembre. Toujours selon ce document non-sourcé, 87% des visiteur.euses accueilli.es se déclarent « très satisfaits de leur visite ». Relativement à la diversité des publics accueillis, le rapport précise que de juillet à septembre 2017, « l’offre d’animation GoodPlanet Junior a pu faire profiter de ses ateliers à 1 200 jeunes issus de milieux défavorisés ».

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Des enfants participant à un atelier créatif proposé par créative l’association Créative handicap, sous l’œil attentif de Yann Arthus-Bertrand, le dimanche 14 octobre 2018 © C.R.

Les scolaires sont particulièrement ciblés par l’offre de médiation de la Fondation : 5 000 enfants auraient été accueillis entre mars et août 20186. Le catalogue 2018/2019 propose 19 ateliers abordant sous des formes variées (jardinage, ateliers photos, jeux de rôle, etc.) des thématiques liées au développement durable et à la solidarité. Or, dans la documentation disponible en ligne, les données chiffrées prennent largement le pas sur ces indicateurs qualitatifs - pourtant essentiels pour une fondation qui se donne pour objectif d’éveiller les consciences.

 

Une écologie plus contemplative qu’active  

La Fondation GoodPlanet se veut également un lieu « d’expérimentation » de l’écologie. Dans le parc, la sensibilisation aux enjeux environnementaux se fait au travers d’un potager en permaculture, d’un rucher pédagogique, d’une roseraie et d’un hôtel à insectes.  Le 14 octobre, aucune médiation n’était organisée autour de ces espaces.

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Le compost et son panneau explicatif © C.R.

Si des panneaux expliquent de manière concise et efficace le fonctionnement et l’intérêt de ces dispositifs, des bénévoles auraient été bienvenu.es pour initier le public au désherbage manuel du potager ou à l’entretien du compost. Des ateliers payants intitulés « comprendre et s’initier à l’agroécologie » permettent tout de même aux plus motivé.es – ou aux plus fortuné.es - de participer aux travaux du potager. Pour le reste, l’entretien des espaces verts est confié à un jardinier indépendant7. On imaginerait pourtant bien, dans ce lieu solidaire, des salarié.es en chantier d’insertion.

 

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La roseraie en friche © C.R.

 

Autre argument phare du parc, l’exposition Genesis de l’artiste Sebastião Salgado. Les photographies de Sebastião Salgado, comme celles de Yann Arthus-Bertrand, appellent à « s’abreuver à la splendeur des régions polaires, des savanes, des déserts torrides, des montagnes dominées par les glaciers et des îles solitaires »8. Cette nature vierge et spectaculaire figée dans les photos de Salgado n’est ni d’aucun lieu, ni d’aucun temps et sa préservation incombe à tous – donc à personne en particulier. Creusant la distance entre des lieux photographiés, devenus paysages à sanctuariser, et nos lieux de vie quotidiens, ce genre d’exposition motive difficilement l’action. Pourtant, les espaces à préserver sont d’abord ceux dans lesquels nous évoluons au quotidien et dans lesquels nos capacités d’action sont les plus grandes.

 

Rencontrer des humains mais pas ses voisin.es

Cette difficile articulation du global et du local se fait encore sentir dans les espaces d’exposition intérieurs. Sans surprise, les deux tiers des espaces sont occupés par l’exposition du travail de Yann Arthus-Bertrand9, le dernier tiers étant réservé à la Fondation Rocher.

Dans les deux cas, le/la visiteur.euse est assomé.e de chiffres dénonçant des inégalités de tous ordres. L’exposition Celles qui changent le monde de la fondation Rocher place en contrepoint de ces indicateurs pessimistes la présentation de projets écologiques et solidaires menés par des femmes aux quatre coins du monde. Ces présentations sont sommaires mais ont le mérite d’être contextualisées.

 

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Celles qui changent le monde © C.R.

 

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Exposition HUMAN, espace « dialogues » © C.R.

 

Aux étages supérieurs, le projet vidéo HUMAN, présenté dans plusieurs salles thématiques, propose de découvrir 2 000 portraits, défilant en très gros plans. Le dispositif fonctionne à la perfection : les brefs récits de vie des personnes filmées, projetés sur grand-écran, sont poignant.es. Pour autant, le témoignage suffit-il pour vivre une réelle expérience de l’altérité ? A-t-on vraiment « rencontré » une personne lorsqu’on l’a regardée sur un écran pendant quelques minutes ? Plus largement, que retire-t-on de cette « expérience émotionnelle » ? Une fondation reconnue d’utilité publique10 n’a-t-elle pas vocation à créer un lien social plus complet et durable ? Il faudrait, pour cela, laisser un peu de place à l’exposition d’initiatives de proximité. On pourrait par exemple imaginer de mettre en dialogue l’exposition HUMAN avec de petits films réalisés sur le même modèle par des visiteur.euses11. Des projets de ce type pourraient en outre être portés par des associations de proximité qui faciliteraient ce passage de l’échelle monde à celle du territoire.  

 

Faut-il vendre ses amis pour sauver la (good)planète ?

Vous l’aurez compris : dans tous les domaines, GoodPlanet voit grand. Il faut dire que la fondation a des partenaires prestigieux. Elle est notamment soutenue par la «  volonté philanthropique de la Fondation Bettencourt-Shueller » et par pléthore de grands mécènes12, au premier rang desquels BNP Paribas et Suez. En 2017 les mécènes (entreprises et particuliers confondus) assuraient 65% des ressources de la Fondation ; d’où, sans doute, le message assez consensuel tenu au Domaine de Longchamp.

Malgré ces généreux donateurs, le bilan 2017 de la Fondation est déficitaire. Heureusement, Yann Arthus-Bertrand peut compter sur ces ami.es célèbres qui acceptent de vendre aux enchère un moment passé avec eux. Dimanche 14 octobre le commissaire-priseur d’un jour Nikos Aliagas a ainsi pu mettre à prix une journée privilégiée aux côtés de Zazie – partie à 6 500€ - ou encore un déjeuner avec Blaise Matuidi, adjugé-vendu à 7 200€13. Au total, la vente aura rapporté 176 140€. Les acheteurs ? Des particuliers et… encore des amis14 !.  Les copains pouvaient bien rendre un service, c’était le week-end de la Fraternité à la Fondation GoodPlanet.

 

C.R.

 

#GoodPlanet

#écologie

#solidarité

 

 

1Selon le flyer de l’évènement.

2 Plaquette de présentation de la Fondation GoodPlanet.

 Rapport d’activité 2017 de la Fondation GoodPlanet, p. 7. Le rapport est consultable en ligne : https://www.goodplanet.org/fr/la-fondation-goodplanet/.

https://www.lejdd.fr/JDD-Paris/Yann-Arthus-Bertrand-s-installe-a-Longchamp-pour-l-ecologie-727522

Rapport d’activité 2017 de la Fondation GoodPlanet. L’ensemble des citations de ce paragraphe sont issues du même document.

 Catalogue des ateliers jeunesse, septembre 2018-juin 2019, p.3. Le catalogue est consultable en ligne : https://www.goodplanet.org/wp-content/uploads/2018/10/Ateliers-Jeunesse-Fondation-GoodPlanet.pdf

 https://www.goodplanet.org/fr/la-fondation-goodplanet/equipe/

 Texte de présentation de l’exposition, signé de Lélia Wanick Salgado, commissaire de l’exposition.

Ce que Télérama qualifiait malicieusement de débordement « égologique ». https://www.telerama.fr/sortir/goodplanet-yann-arthus-bertrand-replace-l-ecologie-au-coeur-de-la-capitale,158050.php

10 La Fondation GoodPlanet a été reconnue d’utilité publique en 2009, quatre ans après sa création.

11 Un atelier de ce type a pris place au Musée de l’Homme en 2017. http://www.benoitlabourdette.com/actions-culturelles/ateliers-creatifs-ouverts/musee-de-l-homme-atelier-cinema-anime?lang=fr

12 Rapport d’activité 2017 de la Fondation GoodPlanet, p.62 à 68.

13 Chiffres relevés par Kombini, footballstories.konbini.com/news/bonne-cause-dejeuner-blaise-matuidi-a-ete-vendu-7-200e-aux-encheres/

14 « Des amis de la fondation », Selon Le Parisien, http://www.leparisien.fr/paris-75/176-740eur-recoltes-pour-la-vente-de-yann-arthus-bertrand-14-10-2018-7918914.php#xtor=AD-1481423553%23xtor=AD-1481423554