Le train est un objet-totem de l’époque contemporaine, dont il semble à lui seul résumer tous les aspects. Il incarne des évolutions structurelles des sociétés occidentales comme l’industrialisation ou l’émergence d’un capitalisme actionnarial mais aussi des mouvements plus conjoncturels comme les luttes sociales ou le développement du syndicalisme. Il est aussi parti-prenante de moments historiques - pensons aux tragiques « trains de la mort » de la Seconde Guerre mondiale. Au-delà de ces aspects historiques, le train est porteur d’un imaginaire de l’aventure ferroviaire, largement exploité par la littérature et le cinéma.
Vue extérieure de la Cité du Train de Mulhouse © C.R.
Pour toutes ces raisons, le train est un objet hautement muséifiable – et muséifié. En France comme en Belgique et au Royaume-Uni, les musées ferroviaires sont légion. Qu’y expose-t-on et qu’y raconte-t-on ? Élaborer une muséographie du train suppose de trancher des questions essentielles : les musées du train doivent-il viser l’exhaustivité où se concentrer sur quelques aspects de l’histoire ferroviaire ? Comment convoquer l’imaginaire du train au service d’un discours conséquent sur ce sujet riche et complexe ?
Deux musées du train d’envergure nationale, La Cité du train de Mulhouse et Train World à Bruxelles se saisissent de ces questions de manière particulièrement convaincante. Ils entretiennent la mythologie du rail tout en embrassant une grande variété de thématiques dans des scénographies spectaculaires et efficaces.
Vue extérieure de Train World - Bruxelles © C.R.
Le train fait son cinéma
Exposer le train est déjà un défi logistique. La Cité du Train, le plus grand musée ferroviaire d’Europe, dispose d’un espace d’exposition de plus de 50 000 m2. Le gigantisme est une contrainte que ne peuvent ignorer ni la scénographie, ni la muséographie.
La Cité du Train répond à ce défi par un parti-pris. Les 6 000 premiers mètres carrés de l’exposition se présentent sous forme d’un plateau de cinéma regroupant 27 matériels ferroviaires, déclinés en six thématiques. Dans ce premier espace de nombreux indices nous ramènent au set ou plus largement au cinéma : éclairage tamisé, sol en béton brut marqué de lignes et de flèches, cartels rétro-éclairés.
Cité du Train. Comme au cinéma, les locomotives sont mises en scène dans des décors © C.R.
Par ailleurs, une grande place est laissée à l’audiovisuel dans cette première salle. Cet espace comprend d’ailleurs très peu de texte. Chaque thématique est introduite par une vidéo qui consiste en un montage d’images d’archives commentées. Les locomotives et les wagons visitables, dans lesquels les visiteur/euses peuvent s’asseoir comptent d’autres téléviseurs diffusant des images d’archives.
Les partis-pris de discours et de mise en espace de cette première section sont intéressants à plusieurs titres. Ils assument d’abord de traiter dans la même section de moments historiques (la guerre, les premiers départs en vacances), d’aspects symboliques du rail (les voitures présidentielles, le transsibérien) et de réalités sociales (les cheminots). D’un côté ces thématiques sont mises en scènes dans un décor de cinéma, d’un autre les images d’archives ancrent les objets exposés dans un contexte historique, dissipant l’illusion de la fiction. Ainsi, d’entrée de jeu le train est placé dans une tension entre réalité et fiction.
Cité du Train. A gauche : vidéo d’archive insérée dans le wagon évoquant les départs en vacances de l’été 1936. A droite : téléviseur monté dans une motrice de métro Sprague © C.R.
Train World joue également sur une mise en scène spectaculaire. Il s’empare des codes du cinéma pour proposer une expérience immersive. Pénombre, vue en plongée sur les machines, présence musicale, créent dès le premier hall une atmosphère d’épopée. Aucun doute possible, c’est bien l’aventure du train - du 19e siècle à nos jours - qui est racontée ici. Contrairement à Mulhouse néanmoins, le discours n’est pas porté par des dispositifs audiovisuels ; il se déploie sur des panneaux de salle sobres et efficaces dont le propos peut être complété par un audio-guide.
Train World. Scénographie blockbuster pour raconter la grande épopée du Train. © C.R.
L’expérience immersive prend une autre tonalité dans le « grenier ferroviaire » où s’amoncellent des objets liés à l’univers du train. La salle est une invitation à une approche plus poétique de l’univers ferroviaire, servie par une mise en espace typologique très esthétique. Elle n’est cependant pas gratuite. Si le grenier est le lieu de l’amoncellement il est aussi celui du souvenir, c’est pourquoi l’audioguide permet de retracer l’histoire de certains objets. Le musée de Bruxelles trouve ainsi son équilibre entre réalité et imaginaire, entre expérience émotionnelle et discours scientifique.
Train World. Le couloir d’horloge menant au « grenier ferroviaire » © C.R.
Train World. Dans les tiroirs du grenier, des souvenirs de la résistance cheminote © C.R.
Le train en miniature, plus vrai que nature ?
Les deux musées accordent une place importante aux modèles réduits. Ceux-ci sont à la fois exposés dans le parcours de visite et regroupés dans des espaces spécifiques.
A la Cité du Train, les modèles-réduits sont exposés dans une salle des maquettes. La salle comprend plusieurs vitrines tables où des trains miniatures sont exposés de manière chronologique. Mais l’objet phare de cette salle est incontestablement la grande maquette qui en occupe le centre. Cette dernière s’anime contre quelques euros. Lorsqu’elle est activée, le reste de la pièce est plongé dans l’obscurité. Train World dispose d’une maquette similaire, dont l’éclairage change, de façon à reproduire l’illusion du temps qui passe, de l’aurore au crépuscule. L’éclairage est donc particulièrement important dans la mise en valeur de ces objets ; les petits trains comme les grands sont mis en scène, comme au cinéma.
Train World. Maquette dont l’éclairage varie. Aube ou crépuscule ? © C.R.
Train World. Au premier plan : maquette de l’Eurostar en LEGO. Arrière-plan, modèles-réduits de wagons et de locomotives. © C.R.
A Train World, les maquettes sont principalement rassemblées dans le premier espace d’exposition, la salle des pas perdus de l’ancienne gare Schaerbeek. Il s’agit à la fois de modèles-réduits au 1/10e voir au 1/5e et de maquettes de gares belges. A la faveur de l’exposition temporaire L’évènement LEGO, ces derniers dialoguent avec des reconstitutions en LEGO. Ce pas de côté est bienvenu, il invite les visiteur/euses à penser le statut de ces miniatures : sont-elles des jouets ou des objets d’art ? Les admire-t-on en elles-mêmes, pour le savoir-faire technique dont elles témoignent ou admire-t-on à travers elles l’objet plus grand qu’elles représentent ?
Quoi qu’il en soit, les miniatures semblent fasciner les visiteur/euses tout autant que les trains grandeur nature. Rangées dans des vitrines ou mises en scène dans des décors reconstitués, elles remplissent mieux encore que les vraies machines la fonction totémique du train ; en quelques centimètres, elles incarnent une époque.
Finalement, en s’appuyant sur cette dimension fascinante du train, Train World et la Cité du Train donnent à comprendre deux siècles de développements ferroviaires. Seul bémol, peut-être, à cette combinaison gagnante : le parti pris technique de cette histoire du rail dont les travailleurs et travailleuses sont presque absent.es.
C.R
Cité du Train - http://www.citedutrain.com/ - Plein tarif : 13€ - Tarif réduit 10,50€
Train World - http://www.trainworld.be/fr - Plein tarif : 12€ - Tarif réduit 9€