Il y a quelque temps, j’ai eu la chance de visiter l’exposition « Cités millénaires. Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul », visible du 10 octobre au 17 février 2019 à l’Institut du Monde Arabe à Paris. À grand renfort d’outils numériques performants, l’IMA en partenariat avec l’Unesco a fait revivre Mossoul, Alep, Leptis Magna et enfin Palmyre. Ces villes et sites, tous classés au patrimoine culturel mondial de l’humanité sont le symbole d’une histoire vieille de plusieurs siècles, mais également l’emblème de la lutte contre l’État islamique.


Cette exposition qui proposait une expérience innovante et immersive qui contraignait le visiteur à s’interroger sur la notion de re-construction et sur ce qui vient Après le déluge.

Grâce à l’acquisition de données multiples, il est possible de restituer, par le biais d’images, les formes architecturales, les différentes phases de transformation ou de destruction. À partir des restitutions, il est possible d’envisager une reconstruction : « Construction d’un édifice ou d'un ensemble d'édifices en totalité ou en partie, dans le respect ou non de la forme initiale, après qu'ils aient été détruits ou fortement endommagés. Une reconstruction peut inclure des opérations de reconstitution »[1]. La reconstitution est quant à elle invérifiable, « elle sort donc du champ strict de la science pour aller vers celui de la création artistique ou de la fiction. »[2].

Une exposition singulière

Une fois les quatre sites localisés grâce à la carte et une brève introduction rappelant que le patrimoine présenté dans l’exposition est « l’emblème d’un passé adoré par les uns, haï par les autres. », le visiteur pénètre dans la salle consacrée à Mossoul, à la scénographie surprenante et spectaculaire.

 

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Salle consacrée à la ville de Mossoul en Irak, projection de la restitution 3D de la mosquée al-Nouri © Jean-Pierre Dalbéra

La société Iconem, qui a pour mission de « contribuer à la conservation de ces endroits menacés en les numérisant pour l’exploration et l’étude, aujourd’hui et demain. », a réalisé les images projetées grâce à des prises de vue par drones, qu’elles soient aériennes ou au ras du sol.

L’exposition est extrêmement bien rythmée, chaque section du parcours se fait sur le même modèle :

  • Un écran géant dévoilant des images 3D de lieux éventrés, vides d’habitants et dépourvus de couleur. Les images actuelles de destruction et de désolation laissent ensuite place à l’ancienne armature des bâtiments détruits.
  • Une table circulaire situe géographiquement les lieux présentés et affiche des citations.
  • D’anciennes photographies en noir et blanc des lieux sont projetées, datant principalement du 20ème siècle.
  • Des focus vidéos sur d’anciens habitants et des professionnels qui témoignent face caméra donnent corps aux civils qui se battent pour sauver leur civilisation à travers la sauvegarde du patrimoine. Ainsi, des visages remplacent l’habituel sanglant anonymat des guerres.
  • En dehors de ces grands espaces, de petites pièces où sont projetés des films sur différents thèmes ponctuent le parcours et complètent l’exploration. Elles peuvent accueillir une dizaine de personnes maximum. Ce système d’alcôves, même s’il favorise isolement et recueillement fonctionne bien lorsqu’il n’y a pas de foule. Autrement, il devient assez difficile d’y accéder, le confort de vision n’est pas assuré, d’autant plus que personne n’est chargé de la régulation des flux.

Au sein de ce parcours, aucun objet patrimonial n’est exposé. Entre chaque section des citations peintes sur des mûrs jaunes, qu’elles soient littéraires, religieuses ou savantes rappellent l’importance des lieux évoqués et de leur histoire. Hormis cela, il y a très peu de texte.

Personnellement, l’émotion était au rendez-vous même si davantage de médiation aurait été bienvenue. Les « tables de médiation dynamiques »[3] présentes au centre de chaque espace et auxquelles il ne faut pas toucher auraient gagné à être interactives. Ce sont elles qui apportent le contenu relatif à ce qui est projeté sur grand écran.

Utilisation réussie du numérique

À la fin du parcours, juste avant la conclusion, le visiteur est invité à mettre un casque de réalité virtuelle et à explorer pendant quelques minutes six lieux présents dans le parcours. Insérer de la réalité virtuelle permet de faire venir du public et surtout de l’élargir d’autant plus que l’IMA a beaucoup joué sur la côte d’Ubisoft, créateur d’Assassin’s creed en proposant notamment des nocturnes de l’exposition où il est possible de tester plusieurs jeux d’Ubisoft (à partir de 12 ans). Ce type de dispositif est assez rarement proposé compte tenu de son coût d’installation et d’entretien, ce qui participe à l’attractivité de l’exposition. Trois personnes s’occupaient d’installer les casques et de réguler la file d’attente d’environ trente minutes mais n’avaient pas forcément le temps de répondre aux questions des curieux ne connaissant pas nécessairement le concept. Enfants comme personnes âgées se prennent au jeu et l’expérience semble remporter un grand succès. C’est un partenariat bienheureux entre Ubisoft, géant du jeu vidéo, l’IMA et Iconem. Au-delà de la performance technologique, c’est intéressant pour le visiteur de pouvoir voir « de l’intérieur » les lieux qu’il a pu observer auparavant dans le parcours. Le fait que cette « activité » soit purement contemplative ne m’a pas dérangée. Cela permet de prendre la mesure de la nécessaire sauvegarde du patrimoine de l’humanité, à la fois fragile et invariable.

« Un acte de résistance contre la barbarie »[4]

La résistance se voit principalement à travers les témoignages des civils qui sont essentiels et jalonnent le parcours de l’exposition. Greetings from Aleppo de Issa Touma est à mon sens la vidéo la plus émouvante de l’exposition. Elle donne à voir pendant 17 minutes le quotidien dans une ville à feu à sang, l’adaptation puis la résilience des habitants.

 

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Captures d’écran de la bande annonce disponible sur © www.film-documentaire.fr

Les personnes interrogées dans le cadre des focus vidéos présents à chaque étape, que ce soit de simples civils ou des professionnels des musées, témoignent de l’importance de la culture et du patrimoine dans la construction d’une civilisation. Certains d’entre eux évoquent le possible développement du tourisme ultérieur.

 

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Capture d’écran des vidéos présentes en salles, visibles sur YouTube © IMA

Faut-il reconstruire le patrimoine détruit ?

Au-delà de l’aspect spectaculaire de l’exposition, deux questions sont posées : faut-il reconstruire le patrimoine détruit ? Comment prendre soin du patrimoine qui reste ?

Traditionnellement, les professionnels des musées sont opposés aux reconstructions au risque de lisser l’histoire en même temps que le patrimoine. Pour beaucoup, les cicatrices sont essentielles à la compréhension de l’histoire d’un lieu. Mais, nous pouvons légitimement nous poser la question de ce qu’il convient de faire lorsque les cicatrices elles-mêmes s’abiment sous l’effet du temps. De plus, l’un des risques encourus est la récupération politique de la reconstruction. Il n’empêche qu’après les nombreuses attaques des extrémistes contre le patrimoine, il semblerait que l’UNESCO et le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) soient davantage favorables à la reconstruction[5]. En 2017, le Comité du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO a pris des décisions concernant le « patrimoine mondial en péril » et les possibles reconstructions des monuments détruits que ce soit à cause de catastrophes naturelles, à cause d’attaques terroristes ou encore à cause de négligences etc. Elle a notamment pris en compte que la reconstruction peut servir à la régénération d’une nation et ainsi lui permettre de regagner une identité dissoute. Pour la reconstruction, la documentation est primordiale, afin de limiter la part d’interprétation. C’est pourquoi le travail entrepris par la société Iconem est très important. La reproduction à l’identique est impossible, puisque les conditions de réalisations sont très différentes. Il ne s’agit pas de faire des répliques, ni des « Disneyland »[6] figés dans le seul but d’attirer des touristes. Le terme Disneyland est employé par Michel Al-Maqdissi, interrogé par l’IMA sur la reconstruction de Palmyre, et dont le témoignage est visible au sein de l’exposition. Il affirme également « Comment voulez-vous qu’un monument qui a été explosé à ses bases et qui est devenu pratiquement de la poussière, comment voulez-vous reconstruire ce bâtiment ? ». Selon lui, « Faire visiter le site avec la destruction actuelle, c’est envisageable, on peut associer cette visite à des écrans (…) où on présente l’état avec la destruction en 3D ça pourrait être une option. ». Chaque cas est unique, il faut prendre en compte la variété des situations. Par exemple à Alep, qui a été détruite à près de 45%, la reconstruction du souk est envisagée car elle est constitutive de l’identité des habitants, commercer a une valeur culturelle mais aussi cultuelle. Lorsque le souk a été détruit, c’est également un patrimoine immatériel qui l’a été, celui qui liait commerçants et clients. Leptis Magna est assez particulière à cet égard car elle n’a pas fait l’objet de destruction pour le moment malgré sept années de guerre. Mais, compte tenu de la situation chaotique, de nombreuses dégradations ont été constatées dû à un manque d’entretien.

Cette très belle exposition pose plus de questions qu’elle n’en résout mais encourage aussi une prise de conscience des enjeux de la conservation et de la valeur mémorielle de la reconstruction.

Armelle Girard

#PatrimoineEnDanger

#InstitutDuMondeArabe

#Ubisoft

Pour aller plus loin :

- Conférence « Le monument et son double : peut-on reconstruire à l’identique ? », Julien Bastoen et Frédéric Didier, Cours public de l’école de Chaillot :https://www.dailymotion.com/video/x6jmkkl.

- Article de Christina Cameron « Faut-il reconstruire le patrimoine ? » :  https://fr.unesco.org/courier/2017-juillet-septembre/faut-il-reconstruire-patrimoine

Pour en savoir plus :

https://www.imarabe.org/fr/expositions/cites-millenaires

https://www.imarabe.org/fr/boutique/produit/catalogue-cites-millenaires-voyage-virtuel-de-palmyre-a-mossoul-exposition-101018

 

[1] http://www.culture.gouv.fr/content/download/52715/409376/file/2012-022_Glossaire_termes_MH.pdf.

[2]  https://raan.hypotheses.org/files/2018/06/Introduction-A_Badiepublication2.pdf

[3] C’est comme cela qu’elles sont présentées dans l’article de Franceinter consacré à l’exposition : https://www.franceinter.fr/culture/cites-millenaires-voyage-virtuel-de-palmyre-a-mossoul-du-10-oct-18-au-10-fev-19-a-l-institut-du-monde-arabe

[4]  Dixit Emmanuel Macron lors de l’inauguration le 16 octobre 2018.

[5]  https://fr.unesco.org/courier/2017-juillet-septembre/faut-il-reconstruire-patrimoine

[6] https://www.youtube.com/watch?v=ORW9ZEbv9sM

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