Nombreuses sont les personnes fascinées par le crime. Preuve en est les innombrables séries criminelles à succès tel Mindhunter de David Fincher, sortie en 2017 sur la plateforme Netflix. C’est une adaptation à l’écran de l’essai1 rédigé par le premier « profiler » de l’histoire. Le spectateur est invité à entrer dans la tête de célèbres tueurs en série à l’apparence étrangement ordinaire. Cet attrait du public se double d’une fascination grandissante pour les méthodes d’enquête utilisées dans les résolution des affaires criminelles. L’intérêt est réel, que ce soit pour le crime ou pour la chose policière.
Rien de neuf sous les tropiques me direz vous. En effet, les faits divers existent depuis toujours, même si c’est au 19ème siècle qu’ils prennent leur forme définitive. Ils seront moteur dans l’essor de la presse populaire autrement dite presse à grand tirage. Durant cet âge d’or du fait divers criminel, les journalistes se mettent à participer aux enquêtes, et à en dévoiler les coulisses dans les pages des journaux. Pour faire clair, « la télévision n’a pas attendu le fait divers pour devenir un média populaire » 2.
Félix Vallotton, L'Assassinat, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie © BnF, Dist. Rmn-Grand Palais / image BnF
Mais pourquoi les faits-divers nous fascinent-ils autant?
Une première question se pose : mais pourquoi sommes-nous tant fascinés par le crime ? Comment expliquer cet attachement morbide ? Au-delà des anecdotes scabreuses, au-delà de la mise en fiction du crime, s’intéresser aux forfaits et à leurs auteurs, permet de saisir certains biais de la condition humaine. En effet, les faits divers fonctionnent comme des miroirs déformants permettant de déceler certaines anomalies des époques auxquelles ils se produisent. De plus, ils correspondent à une certaine production sociale dans la mesure où ils dévoilent et soulèvent des failles, des tabous et des crispations. L’une des raisons qui poussent les hommes à s’intéresser aux faits divers c’est que ce sont toujours leurs semblables qui sont au coeur de ces affaires, qu’ils soient à la place de la victime ou du bourreau. Ce fort potentiel d’identification (consciente ou non) contribue au succès du fait divers : « Si des gens ordinaires peuvent tomber dans la barbarie, la barbarie ne laisse jamais indifférents les citoyens ordinaires » (Daniel Zagury, La Barbarie des hommes ordinaires. Ces criminels qui pourraient être nous). Il y a bien évidemment un petit peu de curiosité malsaine mais rien d’anormal donc, tant que la fascination ne vire pas à l’admiration.
Maintenant que vous êtes rassurés quant à votre « normalité » toute subjective et que vous pouvez assumer votre passion en toute décomplexion, vous aimeriez bien en profiter. Pourquoi ne pas s’aventurer dans un musée du crime pour tenter d’approfondir le sujet ? Cette proposition tombe à pic car vous commenciez à vous ennuyer. Vous avez déjà visionné toutes les séries télévisées et documentaires, écoutés toutes les émissions Hondelatte raconte sur Europe1, même les Enquêtes impossibles de Pierre Bellemare y sont passées c’est pour dire. Pour votre plus grand bonheur, il existe des musées au charme suranné qui donnent à voir (et à comprendre ?) des activités criminelles, qu’elles soient célèbres ou ordinaires. Sacré programme !
Exposer le crime : le cas du musée de la Préfecture de Police de Paris
Il existe une multitude de musées exposant le crime à travers le globe. Certains sont simplement glauques à l’instar des musées de la torture qui pullulent un peu partout, toujours sur le même modèle ; d’autres sont instructifs, pédagogiques, virtuels comme le génial Criminocorpus ou même fictifs comme le « Black Museum » présenté dans la série à succès Black Mirror (S04E06).
Partons à la découverte du Musée de la Préfecture de Police de Paris. Il a été créé en 1909 par le Préfet Louis Jean-Baptise Lépine (1846 - 1933) également à l’origine de la brigade criminelle. Les premières collections du musée ont été constituées à partir de pièces réunies pour l’exposition universelle de 1900. Depuis, elles ont été enrichies et complétées grâce à des dons, des saisies et des acquisitions.
La police a autorité pour conserver ces éléments qui prennent des formes très diversifiés : photographies de scènes de crime, portraits anthropométriques de criminels, coupures de presse, armes, uniformes, faux et contrefaçons etc. Le parcours muséographique intègre de nombreux documents d’archives qui proviennent du fonds géré par la préfecture de Police. Il y a également des pièces accumulé par Gustave Macé, policier devenu chef de la Sûreté en 1877, tout au long de sa carrière. Il récupérait chez des brocanteurs des pièces ayant servi à des criminels afin de les retirer du marché et d’éviter qu’elles ne soient acheté par la pègre. Il est d’ailleurs à l’origine d’un « musée criminel » qui prend la forme d’un ouvrage (consultable gratuitement sur Gallica) présentant tantôt des objets utilisés par les malfrats, tantôt les instruments et équipements des policiers pour les attraper. Il est particulièrement intéressant de savoir comment la collection s’est constituée, mais avoir des informations supplémentaires sur le pourquoi du comment telle pièce a été patrimonialisée plutôt qu’une autre serait bienvenu.
Aujourd’hui, le musée bien qu’atypique par le sujet demeure classique dans la forme. Comme de nombreux musée de la police et / ou du crime, il se rapproche d’un cabinet de curiosité, impression renforcée par l’accumulation d’objets dans d’anciennes vitrines (qui sont par ailleurs très belles). Selon les chercheuses Gwénola Ricordeau et Fanny Bugnon, « Cela confère à nombre de ces musées une dimension globalement artisanale, ce qui les fait ressembler à une sorte de « brocante du crime ». » 3
Le but poursuivi par le musée de la Préfecture de Police est de raconter « l’histoire d’une institution qui, d’une police polycéphale à la Lieutenance de Police, a su s’adapter aux évolutions de la société et de l’espace urbain. »4. Ainsi, tous les objets servent à mettre en avant l’histoire de la police, ses réussites et son efficacité dans la résolution d’affaires et la gestion du crime. Le musée montre également l’histoire d’une profession à partir de 1667, date de l’institutionnalisation de la police. Le musée s’articule autour de cinq thématiques fonctionnant indépendamment les unes des autres mais formant un tout cohérent :
- Histoire de la police parisienne ;
- Crimes et châtiments ;
- Paris en guerre ;
- Métiers de la préfecture de Police ;
- Police technique et scientifique.
La partie sur l’histoire de la police parisienne m’a un peu ennuyée car elle est très factuelle et les expôts sont principalement des documents d’archives manuscrits ainsi que des uniformes montés sur des bonhommes en cire, rien de très sexy. Les autres sont intéressantes mais assez inégales dans leur traitement.
Plan de l'espace © Musée de la Préfecture de police
Une section conséquente de la muséographie est consacrée aux notions de Crimes et châtiments. L’accent est mis sur des assassins célèbres des 19ème et 20ème siècles. Ce choix semble pertinent lorsque l’on sait qu’à la fin du 19ème siècle, une conception particulière du crime et des criminels, majoritairement scientifique se développe. Par ailleurs, toutes les grandes thématiques sont abordées : la justice d’Ancien régime initiée par la royauté ; les régicides, événements traumatiques et fascinants toujours sévèrement punis ; les empoisonnements multiples et notamment la célèbre affaire des poisons (1666 - 1682 sous le règne de Louis XIV) ; les crimes dits « passionnels » ; les escroqueries en tout genre ; apachisme et délinquance dans les faubourgs.
Bien sûr, toutes ces histoires encore bien présentes dans l’imaginaire collectif possèdent leurs protagonistes. Ainsi, le musée de la Préfecture de Paris axe sa muséographie sur des grands noms du crime ou du banditisme.
Vous pourrez admirer deux faux d’un même Vlaminck - pourtant bien différents - saisis par la police judiciaire parisienne. Ils avaient été commandés par le célèbre vendeur d’art Fernand Legros.
Le parcours, en plus des textes de salle, est ponctué de petits encarts « Le saviez-vous ? » qui apprennent aux visiteurs des anecdotes aussi étranges que passionnantes dont voici un exemple :
« Les bandes de garçons bouchers qui travaillent à La Villette utilisent des os de moutons pour renforcer leurs coups. L’inspecteur Rongeat en fait péniblement l’expérience alors qu’il tente d’interpeller un certain Landrillon. À l’issue de leur affrontement, il semble être indemne, hormis des contusions. En fait, il meurt d’une péritonite deux semaines plus tard, due aux chocs infligés par la partie saillante de l’os. »
Des vitrines remplies d’objets insolites et bizarrement ingénieux viennent illustrer ces propos. Vous y trouverez toute sorte de poings américains, des bagues portés par les apaches servant à l’occasion des bagarres, un poignard en forme d’éventail replié et même un pistolet déguisé en radio.
Vitrine et pistolet radio © A.G
Un panneau est consacré aux « Dangereuses ». Ah, les femmes et le crime, toute une histoire ! D’après le texte, il existe trois typologies de femmes dangereuses et chacune a sa figure de proue : « Les espionnes » avec Mata Hari en porte étendard ; « Les fatales [...] qui utilise(nt) (leurs) charmes pour faciliter le crime, voire le commettre » illustrées par Casque d’Or, la favorite des Apaches des faubourgs ; et enfin « Les vénéneuses » comme la marquise de Brinvilliers, actrice principale de l’affaire des poisons de 1666. Bien que ce séquençage soit quelque peu caricatural et reflète une vision fantasmée de la femme criminelle, les informations divulguées sont intéressantes.
En revanche, je regrette que nul part, la spécificité des crimes commis à l’encontre des femmes ne soit mentionnée. Les crimes à caractère sexuel, les violences conjugales, les féminicides sont passés sous silence. De manière générale, la place de la femme y est très marginale même lorsqu’il s’agit de parler des femmes policières dans la partie consacrée aux « Métiers de la préfecture de Police ».
Sans pour autant que le discours soit promotionnel, il n’y a pas de distanciation critique dans le propos. « Pour l’essentiel, les musées de la police font entendre le discours d’une institution sur sa propre histoire, regard déterminé par une approche positiviste. Construit au singulier et sans réelle distance, ce type de discours incorpore rarement les lectures critiques de l’histoire policière, notamment du point de vue de la répression des épisodes de contestation sociale qui, s’ils sont évoqués, rendent peu compte de l’usage de la force par la police. » (Gwénola Ricordeau et Fanny Bugnon). Cela est notamment flagrant dans le traitement des événements de Mai 68. Le musée n’est pas destiné à la remise en cause, mais contrairement à d’autres musées du crime, l’approche choisie n’est ni sensationnaliste ni spectaculaire.
En fin de parcours est présentée dans une petite section la police technique et scientifique. Alphonse Bertillon crée en 1882 un système de mensurations anthropométriques qui pose les bases de l’identification judiciaire, permettant de classer les criminels pour identifier les récidivistes. Les fiches étaient classées selon trois ordres de grandeur, en fonction de l’ossature de la personne : « Les mesures retenues furent la taille, la longueur de la tête, la largeur de la tête, l’envergure des bras, le buste (hauteur de l’homme assis), la longueur de l’oreille droite, la longueur du médius gauche, la longueur de la coudée gauche et la longueur du pied gauche » (source : cartel développé consacré à Bertillon). À la fin du 19ème siècle, Alphonse Bertillon est considéré comme un génie, son système est progressivement adopté dans le monde entier. Une seule chose m’interpelle dans cette section c’est l’absence du nom de Cesare Lombroso, considéré comme le père de l’anthropologie criminelle. Il a écrit en 1876 L’homme criminel. Même dans la brochure il est fait mention « d’une théorie alors populaire qui établissait un lien entre apparence physique et propension au crime » alors que Alphonse Bertillon et plus tard Alexandre Lacassagne se sont directement inspirés des travaux des criminologues italiens et particulièrement de Cesare Lombroso. Le traitement est donc volontairement et uniquement territorial. Selon les chercheuses Gwénola Ricordeau et Fanny Bugnon, la défense d’une identité nationale ou locale est une des caractéristiques des musées de la police à travers le monde5.
Portraits bertillonages © Pinterest
Les enjeux de la patrimonialisation du crime
Le musée de la police se revendique dans sa brochure comme « un musée du crime ». Or, ces deux types d’institutions, proches par les thèmes traités, ne répondent pas exactement aux mêmes problématiques, même si leur définition s’entrecoupent et qu’il est parfois difficile de les distinguer. Les musées du crime et de la police ont comme point commun d’être peu médiatique. Il y a très peu de musées de la police en France contrairement à d’autres pays comme les États-Unis. D’ailleurs funfact (ou non) mais l’État américain comptant le plus de musées de la police n’est autre que le Texas, avec notamment deux musées estampillés Texas Rangers.
Souvent, ces musées sont destinés à un public restreint à l’instar du fameux Crime Museum de Londres qui n’ouvre quasiment pas ses portes au public. Il a été créé dans un but pédagogique et accueille seulement des étudiants et des professionnels de la police. D’octobre 2015 à avril 2016, le musée qui se situe à Scotland Yard dévoilait sa sombre collection d’objets le temps d’une exposition temporaire au Museum of London, qui rencontra un franc succès. C’est bien la preuve que ces institutions rencontrent un public, des étudiants, des professionnels mais également des chercheurs, des visiteurs individuels. Certaines de ces structures accueillent même des enfants, c’est le cas du musée de la préfecture de Police de Paris où tout un pan de mur est consacré à l’exposition de dessins d’enfants représentant la police au travail. On peut tout de même se poser la question de comment sont abordées ces thématiques auprès du jeune public.
Dessins d'enfants © A.G
Les enjeux soulevés par la patrimonialisation du crime et des lieux policiers semblent peu émouvoir le grand public. Par ailleurs, peu de recherches sont réalisées sur la mise en exposition des objets liés à l’histoire du crime. Les musées de la police comme les musées du crime sont peu étudiés. Il existe une plateforme scientifique en ligne dédiée à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Le site internet Criminocorpus.org propose un Musée de la justice, une revue ainsi qu’un blog d’actualité. Marc Renneville son créateur milite pour l’ouverture d’un musée de la Justice et de la Sécurité qui centraliserait toutes les collections liées à ces thématiques au 36, quai des Orfèvres sur l’île Saint Louis.
Armelle Girard
Notes:
1. John Douglas et Mark Olshaker, Dans la tête d’un profileur, Michel Lafon, 461 pages.
2. Sécail, Claire. « L'essor du fait divers criminel à la télévision française (1950-2010) », L'information psychiatrique, vol. volume 88, no. 1, 2012, pp. 51-59.
3. Gwénola Ricordeau et Fanny Bugnon. « La police au musée : une perspective comparative », Déviance et Société, vol. vol. 42, no. 4, 2018, pp. 663-685.
4. Citation extraite de la brochure du musée.
5.Gwénola Ricordeau et Fanny Bugnon. « La police au musée : une perspective comparative », Déviance et Société, vol. vol. 42, no. 4, 2018, pp. 663-685.
Informations :
Musée de la Préfecture de Police
4, rue de la Montagne Sainte-Geneviève - 75 005 Paris
Métro : Maubert-Mutualité, ligne 10 Bus : 24, 47, 63, 86, 87
Ouvert du lundi au vendredi de 9h30 à 17h et le troisième samedi de chaque mois de 10h30 à 17h30.
L’accès au musée est gratuit.
Liste non exhaustive de structures semblables :
- Museo Lombroso di antropologia criminale (Turin)
- Museo Criminologico (Roma)
- Musée de la Gendarmerie Nationale (Melun)
- Black Museum, Metropolitan Police’s Crime Museum (Londres)
Liste non exhaustive d’expositions passées sur cette thématique :
- Crimes et Châtiments, 16 mars - 27 juin 2010, Musée d’Orsay
- Crim’expo : la science enquête, 10 février 2009 - 3 janvier 2010, Cité des sciences et de l'Industrie
- Fichés ? Photographie et identification du Second Empire aux années soixante, 28 septembre - 26 décembre 2011, Archives Nationales et version disponible en ligne sur Criminocorpus
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