Conserver et préserver des objets dans les meilleures conditions possibles fait partie des missions principales des musées. Pourtant, ne faisant pas l’objet d’une couverture médiatique car invisibles aux yeux du public, elles souffrent trop souvent du désintérêt des pouvoirs politiques, perçues comme de simples lieux de stockage. Heureusement, depuis une quinzaine d’années, de plus en plus d’institutions profitent du déménagement ou du réaménagement de leur réserve pour développer une stratégie de communication de ces lieux envers le public. Si certaines, à l’image de la réserve commune des musées de Nancy, font le choix de la discrétion, d’autres les dotent de nouvelles fonctions comme l’a anticipé dès sa conception l’Artothèque de Mons.

Un laboratoire à idées

Inaugurée à l’occasion de « Mons 2015, Capitale européenne de la culture », l’Artothèque est le fruit de dix années de réflexion. Elle regroupe aujourd’hui les collections éclectiques de onze sites muséaux et lieux d’exposition montois réparties sur 1000 m² de réserves dans l’ancienne Chapelle du couvent des Ursulines. À la fois centre de réserve, de restauration, d’étude et de recherche, elle allie les missions de conservation et de transmission du patrimoine muséal montois au public via différentes démarches, reflet d’un engouement général qui a pour ambition d’animer et effacer l’image poussiéreuse des réserves.

Les réserves visitables : au cœur des coulisses des musées

Bien souvent, les visiteurs des musées n’ont pas conscience que ne sont exposée qu’une infime partie des collections muséales. Ce sont parfois 90% de ces collections qui « dorment » dans les réserves. Pour faire découvrir ce riche patrimoine insoupçonné, le premier pas de la part d'un musée est généralement d’ouvrir ses réserves au public à travers des visites guidées sur demande. À l’Artothèque, ce service est confié à l’office du tourisme. Les participants, bien qu’enthousiasmés par cette offre, regrettent que ces visites ne soient pas assurées par des membres du personnel interne. Ce type de visite est en effet l’occasion de découvrir les différents métiers méconnus liés à la gestion des collections. Lors des visites des réserves du Musée des Arts et Métiers de Paris, de nombreux participants rapportent l’expérience très positive de leur rencontre avec les restaurateurs au sein même de leur atelier. Ce sentiment d’exclusivité donné aux visiteurs est également un moyen intermédiaire pour leur faire prendre conscience des enjeux de toute cette face cachée des musées.

Certains pointeront du doigt les risques en matière de sécurité encourus pour les œuvres et les personnes lors de la visite de ces lieux au départ non prévus à l’accueil du public. À l’Artothèque, les groupes ne dépassent pas dix participants et la circulation des œuvres et du public a bien entendu été étudiée au préalable.

Des échantillons de réserve derrière des vitrines

Lorsque que le visiteur entre dans le hall d’accueil de l’Artothèque, il découvre d’emblée une réserve d’œuvres de grands formats dont il est séparé par des parois vitrées. Des images multimédias tactiles projetées sur celles-ci présentent l’ensemble des réserves et apportent des informations sur la conservation préventive. Cette présentation assez curieuse mélange un sentiment d’immersion mais aussi de mise à distance. Elle évoque à la fois les « visibles storages » américaines, mais aussi la Tour des instruments dans le hall du musée du quai Branly qui ne se visite pas mais peut être interprétée via une application mobile, ainsi que les baies vitrées internes du musée du Louvre-Lens qui ouvrent le regard sur une partie des réserves et de l’atelier de restauration.

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Le hall de l’Artothèque et sa réserve-vitrine © http://www.artotheque.mons.be/presentation/fuillet-artotheque

 

Bien que ces vitrines donnent une impression de mise en scène, les objets accrochés aux grilles coulissantes n’ont pas été organisés dans une logique esthétique mais bien logistique pour ne pas entraver les activités de régie. Elles offrent ainsi une présentation originale d’un mélange hétérogène d’œuvres qui n’ont a priori aucun lien entre elles. Néanmoins, ces échantillons de réserves ne permettent pas de prendre conscience de l’ampleur des collections que renferment un musée. Par exemple, les réserves du Louvre-Lens dévoilées derrière des vitrines paraissent bien artificielles lorsque l’on sait que les « vraies » réserves de 9 600 m² sont en construction à quelques centaines de mètres de là, qui elles, seront inaccessibles aux visiteurs. À l’Artothèque, le public n’a accès qu’au rez-de-chaussée alors que les collections conservées s’étendent sur six étages. Et il faut bien le dire, les coulisses intéressent toujours les visiteurs.

Si le hall est parfois qualifié d’aménagement scénographié, lorsque le public franchit les portes de cet ancien couvent, il a conscience qu’il entre dans des réserves muséales. Dans d’autres cas, l’ambiguïté entre espace de réserve et espace d’exposition peut porter à confusion. Quand des visiteurs se rendent au Musée Aan de Stroom à Anvers (MAS), ils ne s’attendent pas nécessairement à ce qu’un des dix étages du musée soit consacré à la présentation d’un dépôt composé de 180 000 objets répartis sur des grilles derrière des fenêtres, dans des tiroirs à ouvrir protégés de vitres et sur des rayonnages de plusieurs mètres de haut. À l’Historisches Museum de Lucerne, l’expérience va encore plus loin. L’exposition permanente utilise les codes visuels des réserves comme principe scénographique (fléchage au sol, accumulation des objets sur les étagères, cartels sous forme de code-barres à scanner…). Certains saluent l’originalité amusante de cette mise en scène, d’autres regrettent le manque de mise en valeur des objets.

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Exposition permanente à l’Historisches Museum de Lucerne © http://grosseltern-magazin.ch/historisches-museum-luzern/

 

Quoi qu’il en soit, ces espaces hybrides ne reflètent pas toujours la réalité des réserves. On ne montre que ce que l'on choisit de montrer, contrairement aux visites guidées in situ peut-être plus authentiques. Néanmoins, ces échantillons de réserves « modèles » ont le mérite de présenter aux néophytes un aperçu d’une facette des musées habituellement restée dans l’ombre.

S’approprier le patrimoine à travers un écran

Dès lors, la médiation est indispensable pour transmettre au public de multiples informations à propos de ce qui se présente à lui. Le numérique est alors un outil formidable que l’Artothèque exploite pleinement. S’il intervient déjà dans le hall d’accueil pour présenter les lieux et expliquer le parcours d’une œuvre dans la réserve, le numérique invite le visiteur à adopter une posture active dans la deuxième partie du parcours, plus spécifiquement consacrée à l’étude des collections. C’est dans l’ancienne nef latérale que l’on découvre des dispositifs multimédias au sein même de divers tableaux, costumes, soupières, monnaies et autres curiosités. Le premier propose une immersion dans les collections via un écran panoramique incurvé sur lequel l’intervenant peut interagir avec les œuvres et documents projetés via un détecteur de mouvement. L’exploration des collections se poursuit sur les douze écrans tactiles répartis en trois meubles pour naviguer des ressources numériques aux objets présentés dans les tiroirs à ouvrir, les armoires et les murs de la pièce selon différents scénarios possibles, du plus ludique au plus classique, construits par le visiteur lui-même. Le foisonnement des innombrables œuvres que renferme la réserve s’offre alors au regard des plus curieux et, indirectement, les encouragent à développer leur intérêt pour le patrimoine et éventuellement se rendre dans les musées dont sont issues ces œuvres.

Dans tous les cas, le numérique permet la découverte en autonomie des réserves, de ses collections, de leur fonctionnement et leurs enjeux. Devant les baies vitrées qui séparent les réserves du public au musée du Louvre-Lens, on retrouve également ce même type de tablettes tactiles pour accompagner le visiteur dans la compréhension du lieu. D’autres musées comme le Mucem ne s’arrêtent pas à la numérisation des œuvres, et donnent accès à une visite virtuelle des réserves grâce à la technologie street view de Google.

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 Mobiliers multimédias dans les collections de l’Artothèque © Laurence Louis

 

Centres de ressources et au-delà

Une autre proposition pour dynamiser une réserve muséale est de l’accompagner d’un centre de documentation et de ressources. Au Mucem toujours, le Centre de Conservation et de Ressources (CCR) se décline en quatre espaces ouverts au public : une salle de consultation des objets, une salle de lecture, une salle d'exposition et des réserves. À l’Artothèque, le Centre de documentation, attaché au Pôle muséal et au Réseau de Lecture publique de la Ville de Mons, est devenu un lieu de référence pour les recherches concernant l’histoire de Mons et ses collections muséales à travers de nombreux ouvrages, périodiques, catalogues d’exposition, coupures de presse, dossier de presse… et bien sûr pour la consultation de l’inventaire des collections. 

Mais tel un musée à part entière, elle pousse encore plus loin son offre en proposant une réelle programmation culturelle entre ateliers créatifs, stages, nuits contées, projections cinématographiques, workshops pour les professionnels, mini expositions… Dans cette optique, le pôle de conservation et d’étude de Strasbourg actuellement en construction se positionne de façon encore plus ambitieuse se situant sur un site qui proposera à terme logements, bureaux, restaurants, salles de concerts et ateliers d’artistes et artisans. Cet éparpillement risque cependant de créer de l’incompréhension de la part du public face à ces diversifications à outrance de l’offre de ce qui avait pour fonction originelle des réserves muséales.

Un modèle d’inspiration

Dans sa conception même, l’Artothèque de Mons se présente comme un lieu insolite du paysage muséal. Avec son comptoir d’accueil, ses propres tarifs et horaires d’ouverture, ses espaces scénographiés, ses outils numériques, ses publications et son offre culturelle et pédagogique, ce centre de conservation, de restauration, d’étude et de transmission du patrimoine montois remplit finalement les missions d’un musée en tant que tel. Bien que son concept soit singulier, l’Artothèque est en réalité représentative de l’engouement général d’un souhait de dynamisation des réserves, d’ouverture au public de cette richesse patrimoniale sous-estimée et d’une meilleure compréhension de l’institution muséale. 

Évidemment, ce projet a pu bénéficier de l’opportunité d’un soutien politique et financier à travers l’évènement « Mons 2015 ». Chaque structure peut cependant s’inspirer de ces différentes pistes d’action pour attiser la curiosité croissante du public à l’égard de cette face cachée des musées. 



Laurence Louis


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