Si vous rêvez de devenir conservateur d’un musée mais que vous n’arrivez pas à obtenir le concours, cet article peut résoudre votre problème… au moins virtuellement.
Il est vrai que les musées n’ont jamais été au centre d’une licence ludique ou vidéoludique. Alors que d’autres structures culturelles et/ou de loisirs ont été traités par des développeurs et ont connu le succès : notamment les parcs d’attractions avec les jeux de gestion de la licence vidéoludique Roller Coaster Tycoon ou encore les zoos avec le jeu vidéo Zoo Tycoon.
Aura-t-il fallu attendre 2018 pour que le musée connaisse son jeu culte ? Museum, créé par Olivier Melison et Eric Dubus et illustré par Vincent Dutrait, détient toutes les cartes en main pour le devenir ! Ce jeu nous invite à deux, trois ou quatre joueurs, à endosser le rôle d’un conservateur et à explorer les quatre continents pour trouver des artefacts et les exposer dans nos galeries. Mais notre quête sera parsemée d’obstacles grâce à différents mécanismes de jeu.
La boîte du jeu de base Museum
Revivre « l’âge d’or » des musées
Les créateurs ne sont pas d’anciens ou d’actuels professionnel des musées. L’un travaille dans la publication internationale et l’autre est professeur d’histoire. Ils ont apporté un contenu historique véridique. Les cartes « artefacts » regroupent des objets qui ont effectivement été trouvés lors d’expéditions européennes. Parmi elles, des jarres en céramiques japonaises, des artefacts de Stonehenge ou encore des sculptures préhistoriques des Cyclades. Quatre continents, douze civilisations et six domaines archéologiques sont représentés. De plus, les concepteurs font un peu de médiation en ajoutant au bas de chaque carte artefact un petit cartel explicatif. Les conservateurs virtuels peuvent de ce fait savoir précisément ce qu’ils exposent dans leur musée !
Exemple d’un carte artefact
Les concepteurs nous présentent Museum comme un jeu se déroulant durant « l’âge d’or » des musées. Cette périphrase indique la période s’étalant de la fin du XIXe siècle aux premières décennies du XXe. Cette période a vu gonfler le nombre d’objets au sein des collections des grands musées occidentaux comme le Louvre ou le British Museum pour ne citer que les plus emblématiques. Parmi les œuvres collectées à cette période figurent des artefacts de grande valeur culturelle qui sont ancrées dans nos représentations collectives et notre imaginaire. Le jeu montre à nouveau à quel point cette époque révolue a cristallisé une certaine relation au musée ainsi que des représentations. On remarque également que le musée est tout d’abord associé à ses collections.
Nous avons une relation ambigüe avec cette période car nous pouvons éprouver une certaine nostalgie envers elle. En effet, à cette époque, la planète et les anciennes civilisations étaient encore des sources de mystère. La stupéfaction et le vertige des années nous séparant de celles-ci se manifestaient à chaque grande découverte archéologique. On prête aussi aux archéologues de cette époque une fibre d’explorateurs et d’aventuriers hors pair. Indiana Jones est aussi venu participer à cette tendance. Ce frisson de la découverte de l’inconnu est bel et bien un des facteurs d’appétence pour ce jeu qui retransmet au joueur cette sensation. Cet appétit de la découverte mêlé à l’envie de mystère explique peut-être le choix des concepteurs de développer l’extension « Les Reliques de Cthulhu » qui intègrent l’univers fictif de H.P. Lovecraft ainsi que ses artefacts maudits au sein de vos collections qui faisaient jusqu’ici référence à des objets réels.
Cependant, cet âge d’or est aussi la période de toutes les expéditions des grandes puissances occidentales à l’origine des pillages des trésors des colonies et des pays pauvres où les expéditions avaient lieu. Ce sont ces pillages qui suscitent tous les débats autour des restitutions des collections dans le milieu muséal et culturel dans son ensemble. Nous sommes loin de tous ces questionnements dans Museum, même si les concepteurs n’ont pas été totalement naïfs. Le jeu propose en effet des cartes « Opinion Publique ». Elles signifient que la presse commence à remarquer que certains continents sont pillés, et que trop peu d'objets sont exposés par les musées. Ces cartes peuvent donner un malus conséquent aux joueurs conservateurs qui collectent des artefacts mais ne les exposent pas ! Autre indicateur de la conscience des concepteurs : l’extension « Marché Noir » du jeu. Cette extension encourage la fourberie et l’immoralité dans leur fonction temporaire de conservateur de musée. En effet, ces derniers peuvent tout simplement acquérir des artefacts sur le marché noir ! Ce genre de pratiques a pu être constatées lors de cet « âge d’or » des musées. Cependant, cette pratique peut s’avérer préjudiciable au joueur s’il ne joue pas habilement.
Pourquoi Museum s’ancre-t-il dans cet « âge d’or ». Et pourquoi cette période détient-elle une appellation aussi positive ? Nous pouvons peut-être interpréter cette représentation comme une idéalisation des créateurs et des joueurs pour cette période. Cette appellation traduit en réalité l’envie de découverte et le mystère qui entouraient les expéditions de cette époque plutôt que l’aspect purement historique. Ce regard a posteriori se ressent également dans la représentation archéologique conservateurs de musée.
Le plateau du jeu de base Museum
Dans la peau d’un conservateur ?
Tout au long de sa partie, le joueur est conduit à différentes actions différentes actions que le conservateur est censé mener. Parmi elles, placer les collections dans son musée. En d’autres termes qui ne sont pas explicites dans la règle du jeu ; faire de la muséographie. Attention, ici la réflexion et la conceptualisation ne va pas bien loin. Il s’agit avant tout de remplir toutes les salles du musée. Si aucun « trou » n’est laissé, un bonus conséquent est octroyé au joueur. Il s’agit également d’exposer les œuvres par civilisation ou par domaine dans les galeries de son musée pour gagner encore plus de points.
Dans Museum, on ne parle pas des réserves. Un lieu pourtant habituellement au centre des curiosités et des idéalisations du musée ! Cependant, le jeu parle vaguement d’un lieu où l’on peut entreposer ses artefacts non exposés : en termes purement ludiques, il s’agit de la défausse des cartes. On rappelle que le joueur se défausse d’artefacts valant un certain nombre de points pour en exposer d’autres. Mais ces cartes défaussées peuvent être récupérées par les autres joueurs.
Lors de son tour, le joueur peut également décider de faire un inventaire. C’est-à-dire qu’il vide sa défausse. Cette action permet au joueur de protéger des artefacts de « vols » des autres joueurs et de gagner des points supplémentaires à dépenser au tour suivant. On peut sourire en constatant la fragilité du statut des artefacts dans ces musées de papiers. L’inaliénabilité des collections est un concept bien absent de cet univers ludique. On ne leur en voudra pas de prendre des libertés afin de rendre le jeu un peu plus dynamique et amusant…
Enfin, les cartes « faveurs » font parfois référence à d’autres actions au sein d’un musée. Par exemple, il est possible d’organiser une conférence de presse au musée afin de gagner des « points de prestige » ou bien de recruter un expert pour valoriser ses collections. Ne sont donc représentées que des fonctions admirables dans ce musée virtuel…
Parmi les actions diverses et variées que le joueur dans la peau d’un conservateur peut mener, nous pouvons remarquer que le conservateur virtuel proposé par Museum rassemble dans sa seule entité plusieurs fonctions professionnelles au musée. Le joueur conservateur est à la fois muséographe, directeur de la communication et régisseur. Il n’est pas fait mention d’aucune autre fonction au musée à part les « experts » Ces derniers sont définis comme des spécialistes d’un domaine ou d’une civilisation qui « mettra en valeur les collections.» On se demande bien comment ils le font. Le plus important est qu’ils vous rapportent des points supplémentaires à la fin de la partie ! Pour en revenir au conservateur, on peut admettre également que l’image que l’on a souvent de lui, seul (ou presque) dans son musée, prend racine dans la réalité de l’époque. En effet, les conservateurs étaient souvent les seuls maîtres à bord au musée. Le jeu nous prouve une fois de plus que la représentation du conservateur du musée est, elle aussi, la source de beaucoup d’idées reçues.
Museum est sans grande surprise un jeu qui donne une image fantasmée et naïve du musée. Il met en scène un « âge d’or » qui met en valeur les conservateurs collectionneurs et les archéologues aventuriers. Un monde muséal virtuel où l’inaliénabilité des œuvres est un concept absent et où le marché noir est un lieu incertain mais excitant pour le joueur. Le système de jeu de Museum et de ses cinq extensions le rendent à la fois accessible à une clientèle familiale et attirant pour les joueurs chevronnés. Les concepteurs recommandent le jeu aux plus de 10 ans. Vous pouvez vous procurer le jeu de base pour 45 € et 18€ pour chaque extension (seule quatre sont vendues parmi les six existantes. En effet, les deux dernières sont des exclusivités Kickstarter réservées aux personnes ayant soutenu ce projet sur la plateforme de financement participatif) Pour vous le procurer, privilégiez le vendeur de jeux de société plutôt que les boutiques des musées où vous ne le trouverez pas, a priori. Cependant, malgré les libertés prises avec la réalité ainsi que le manque d’apports scientifiques étayés (malgré quelques efforts honorables mentionnés précédemment) peut-être que certaines boutiques le proposeront. Qui sait ? L’avenir nous dira aussi si Museum deviendra le jeu de société de référence se déroulant dans des musées. En tous cas, il possède tous les ingrédients pour le devenir !
Amaury Vanet
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Pour plus d’informations sur le jeu rendez-vous sur : https://holygrail.games/museum-page-ks-francais/
Source des images : Holy Grail Games (https://holygrail.games/museum-page-ks-francais/)