A l’occasion de la 25e Conférence générale de l’ICOM, qui se tiendra à Kyoto en septembre 2019, un appel à contribution a été lancé en mars dernier pour repenser la définition du musée. Le parfait prétexte pour s’interroger sur la nature du musée, tel qu’il était à ses débuts antiques et tel qu’il se veut 2500 ans plus tard… Avaient-ils tout compris jadis ?
Si la définition actuelle du musée place l’acquisition et la conservation des objets en tête de ses missions, il n’en a pas toujours été ainsi. Dans l’Antiquité classique, des biens précieux sont effectivement rassemblés auprès des temples, et bien qu’ils soient destinés aux dieux, ces trésors composés de donations et d’ex-voto, étaient exposés à la délectation des pèlerins et touristes. Ces temples-musées témoignent de l’affection des sociétés pour les beaux objets, et plus encore s’ils sont chargés d’une symbolique religieuse ou spirituelle. Or, si l’on vient aux temples, c’est avant tout pour rencontrer les entités divines qu’ils abritent et qui inspirent des générations d’artistes et de curieux.
La naissance des Mouseîon
Les mères du musée sont en effet les Muses, déesses grecques des arts, que l’on célèbre dans les Mouseîon, temples qui leur sont consacrés. Il existe neuf déesses personnifiées pour neuf arts antiques.
Calliope, muse de l’éloquence distinguée par son goût pour la poésie épique, tandis que sa sœur Erato préfère la poésie lyrique,
Melpomène et Thalie, respectives muses du théâtre tragique et comique,
Euterpe et Terpsichore inspirent elles la musique et la danse,
Polymnie est la muse de la rhétorique et du chant, grâce auquel sa sœur Clio raconte l’histoire,
Et enfin Uranie, muse de l’astronomie, dont l’homonyme n’est autre qu’une planète.
Parnassus, Anton Raphaël Mengs
Ces muses sont des sources d’inspiration pour les poètes, artistes, dramaturges et scientifiques. Elles sont les descendantes de Zeus et Mnémosyne, la déesse de la Mémoire. Nous comprenons mieux le lien solide qui unit les musées, les arts et la mémoire. Le « musée » est la colline où elles chantent, dansent et jouent, sur l’Hélicon, non loin de leur Olympe natal. Le Mouseîon est le lieu terrestre où l’on convie les vivants à célébrer tous les arts.
Cette conception du musée s’exporte en Egypte, avec le Mouseîon d’Alexandrie, fondé par le roi Ptolémée Ier en 280 avant J.-C. Il se situe dans l’enceinte de son palais et c’est un lieu consacré aux arts et à la recherche, vitrine des richesses intellectuelles de l’Egypte. C’est tout à la fois un laboratoire, observatoire astronomique, jardin botanique, parc zoologique, institut de recherche, bibliothèque, réfectoire et salle de colloques… Le musée accueille les savants qui travaillent ensemble à la production de savoirs et à sa diffusion au travers de conférences. Il se pense comme un lieu vivant d’invention plutôt que de conservation, l’exception étant la fameuse bibliothèque d’Alexandrie. Sa politique d’acquisition n’a rien à envier aux pratiques actuelles. Chaque navire qui mouillait à Alexandrie était tenu de laisser ses manuscrits le temps d’une copie, pour être stockée à la bibliothèque. Cette démarche impressionnante a fait de ce lieu un temple du savoir universel où s’accumulait quelques 700.000 rouleaux de parchemins.
La culture pour tous… mais si affinités !
La description des musées antiques ne sonne-t-elle pas étrangement familière à nos oreilles contemporaines ? Depuis plusieurs dizaines d’années, le musée est en réinvention permanente, cherchant le rôle qu’il doit jouer dans un monde capitaliste où les richesses matérielles supplantent les œuvres de l’esprit.
Un des éléments les plus marquants dans l’histoire des politiques muséales actuelles est d’abord l’accent mis sur la démocratisation culturelle. Le premier pas en ce sens a été franchi dans les années soixante, sous l’impulsion du tout premier Ministre des Affaires culturelles, André Malraux. La politique mise en place à cette période avait pour but de permettre un plus grand accès des citoyens à la culture, au travers notamment de la création de Maisons de la Culture. Ces lieux ont pour vocation de faire se rencontrer les individus et l’art dans toutes ses formes, sans autre support de médiation.
« La confrontation qu’elle suscite est directe, évite l’écueil et l’appauvrissement de la vulgarisation simplificatrice […] La première forme de ce qu’on appelle d’ordinaire, par un mot d’ailleurs magique, « l’initiation » aux arts est une rencontre intime. » nous dit Pierre Moinot, conseiller d’André Malraux.
Cette tentative maladroite d’éveiller l’individu à l’art par une rencontre directe et crue n’a pas eu le succès escompté. La démarche engagée nous permet néanmoins de réfléchir à deux choses. La première est que la culture doit être accessible à tous sans distinction de classe sociale, c’est un bien commun qui appartient à la société dans son ensemble. La seconde est que l’appréhension de la culture ne va pas de soi, et nécessite un recours à des médiations de diverses natures, ainsi qu’à une prise de distance par rapport aux objets.
Des musées-temples aux musées-spectacles
L'École d'Athènes, Raphaël
Certains musées ont fait de la distanciation vis-à-vis des objets le principe même de leur établissement, comme les centres d’interprétations, même s’ils se cantonnent encore à des champs réduits de la muséographie. Une démarche décentrée des objets encourage forcément à rechercher d’autres modes de médiations, davantage tournés vers l’humain et conçus spécifiquement pour illustrer le discours, en contrepied d’une logique inverse où le discours est au service de l’objet. Et quels objets ? Les musées brillent au travers des chefs-d’œuvre qu’ils recèlent et conservent parfois jalousement. Mais en termes de culture matérielle, une canette de soda n’est-elle pas plus représentative de notre société que le plus beau joyau qu’elle pourrait produire ?
Le musée du 21e siècle ne peut plus se contenter d’être le dépôt des œuvres de l’humanité. Sa fonction éducative et divertissante est à réaffirmer, à la manière des musées américains qui associent aisément l’entertainment à l’activité pédagogique et proposent une diversité de pratiques culturelles. Plutôt que des « musées-temples », le nouveau paradigme est aux « musées-spectacles », lieux de recherche et de loisirs transdisciplinaires, dans lequel la course aux trésors n’a plus lieu d’être. Dans mon musée imaginaire, il n’y a pas d’objets, seulement des individus, acquittés des considérations de temps et d’argent, qui échangent ensemble dans un lieu de vie conçu avec eux et pour eux.
Bref, tout un art… de Muser !
Laurie Crozet
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