Amazonie, le chamane et la pensée de la forêt
L’exposition présentée au Château des Ducs de Bretagne de Nantes offre au public une partie de collections inédites. Le Musée d’ethnographie de Genève conserve l’une des plus importantes collections amazoniennes d’Europe. Il s’associe au Château des Ducs, parmi d’autres musées, pour cette exposition itinérante en constante évolution.
Structurée en deux parties, l’exposition propose une première approche factuelle des travaux européens, et tout particulièrement suisses, menés sur le sujet de l’Amazonie et des peuples amazoniens.
Des parures, des armes, des instruments de musique et des objets usuels illustrent les présentations avec une quinzaine de populations, parmi lesquelles les Wayana, les Yanomami, les Kayapó ou encore les Shuar. Expressions de la symbiose avec le monde de la forêt et des esprits, ces témoins de la culture matérielle permettent d’aborder la pratique du chamanisme, commune à toutes les populations du bassin amazonien.
Le parcours de l’exposition
Certainement par une contrainte d’espace, l’exposition se situe sur deux étages. Cette contrainte est cependant tournée à l’avantage du musée qui sait parfaitement utiliser son espace afin de servir son propos.
L’introduction et la première partie de l’exposition se font ainsi sur tout le rez-de-chaussée. La visite débute avec l’histoire précolombienne de l’Amazonie, des origines à la conquête, ainsi qu’à celle des collections qui lui font écho, jusqu’à l’époque actuelle. Les témoignages des populations amazoniennes permettent d’aborder les questions de leur sauvegarde et de la disparition de la forêt. Cette section permet de contextualiser les découvertes, mais également d’aborder, de manière factuelle, certaines des nombreuses civilisations présentes sur ces territoires.
Xabono © Château des Ducs de Bretagne
Dès cette première salle, la lumière est tamisée. Le public est prévenu : cette faible luminosité est dans un but de conservation préventive, dû à la sensibilité des costumes traditionnels souvent confectionnés de plumages. Le public est ensuite invité à entrer dans un Xabono, construction en bois (photographie ci-dessus) érigée à la lisière de la forêt. Seules quelques parures sont présentées : ce qui interpelle dès l’entrée, ce sont ces nombreuses photos de scènes de vie quotidienne de la fin du XXe siècle aux années 2010, témoins de mode de vie en constante évolution dû à l’occidentalisation des villes environnantes. Une tablette et deux écouteurs sont mis à disposition pour regarder et écouter des témoignages d’acteurs autochtones, qu’ils et elles soient leaders de communauté ou étudiant.e.s.
Intérieur du Xabono © David Gallard_LVAN
Un bémol : les textes des salles sont inondés de vocabulaire complexe. Du mot « paupérisation » à « inéluctablement », le vocabulaire emprunté est loin d’être accessible à un public large, alors que les médias locaux annoncent une exposition familiale aux nombreuses activités pour enfants.
Avant d’emprunter les escaliers pour passer à la suite, un fond (à l’image de la communication de l’exposition et des panneaux portant des slogans écologistes) nous invite à prendre une photo afin de la poster sur les réseaux avec un hashtag précisé. Ce dispositif, très certainement pensé pour la fin de la visite, comme espace de conclusion au parcours forçant les visiteur.e.s à revenir sur leurs pas (obligation dûe à l’architecture du bâtiment), il peut être également envisagé comme une pause à la fois ludique et responsabilisante, avant d’entrer dans le vif du sujet.
Une fois les escaliers montés, le public est tout de suite plongé dans une atmosphère immersive. Guidé.e.s par une lumière encore plus tamisée, les visiteur.e.s déambulent aux rythmes des instruments des chamanes. Un jeu multimédia permet de faire directement connaissance avec ces instruments méconnus voire inconnus en occident, pour ensuite procéder au reste de la visite en reconnaissant les sons et les voix.
Les peuples amazoniens sont présentés, localisés, rappelés à l’aide d’une carte sous chaque cartel. La déambulation continue son cours, sous les couleurs vives et attirantes des costumes et des objets, quand soudain…
Exposition Amazonie. Le Chamane et la Pensée de la forêt © David Gallard_LVAN
La douce musique berçante jusqu’ici est interrompue par un bruit. Bruit terrible, haut volume : on reconnaît très nettement le bruit d’une tronçonneuse. Désagréable, il dure une dizaine de secondes, jusqu’à ce qu’on entende la chute d’un arbre… Puis, silence… Les bruits de la forêts reprennent, ainsi que les chants et musiques des chamanes.
L’immersif au service de l’engagement
Cette intervention sonore est bien plus prenante qu’on ne pourrait l’imaginer. Le son stoppe la visite, les conversations, ou au contraire la voix monte car on ne s’entend plus.
Le son de l’arbre qui tombe et le silence qui le suit deviennent subitement très lourds de sens. Personne n’est aujourd’hui sans savoir ou avoir du moins une idée vague de la situation catastrophique de l’Amazonie. Qu’il s’agisse des incendies récents produits cet été, de sa surexploitation par les nord-américains et les occidentaux depuis ces trente dernières années, mais également de l’écosystème complet remis en question au nom du « progrès », ce simple bruit de tronçonneuse presque assourdissant en vaut mille mots d’explications. Une volonté de sensibiliser, indispensable aujourd’hui.
À la fin du parcours, le Château des Ducs va plus loin : il propose à ces visiteur.e.s de devenir acteurs et actrices du changement.
Pour le peuple Ashaninka, vivant au Pérou et au Brésil, les puits sont à sec pendant la saison sèche. Et boire l’eau de la rivière, polluée par l’exploitation minière, est dangereux. L’association genevoise Aquaverde a été associée à cette exposition pour lancer un appel aux dons afin de financer des « safe water cube », fontaines qui permettent de filtrer 1 000 litres d’eau par heure. Pendant les six mois de l’exposition Amazonie, l’équipe du musée et Aquaverde espèrent récolter les 5 500 € nécessaires à l’achat, l’installation et la formation à l’utilisation d’une de ces fontaines.
« Nous voulons que cette exposition soit utile : on veut donc offrir la possibilité aux visiteurs de devenir acteurs en faisant un don pour financer ces fontaines », explique Krystel Gualdé, directrice scientifique du musée.
Julia Parisel
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