La mode est à la mode, et ce ne sont pas les musées qui diront le contraire. De Dior aux Arts Décoratifs, de Balenciaga au musée Bourdelle à Jean Paul Gaultier au Grand Palais, les expositions de mode n’ont jamais autant déplacé les foules. Rien qu’en 2018, l’exposition Dior, organisée pour les 70 ans de la marque comptait 70 000 visiteurs.
Même si dès le XIXe siècle on exposait la mode lors des grandes expositions universelles, dans des pavillons d’élégance, c’est au Metromopitan Museum of Art (MET) que l’on doit les expositions d’envergure qui se développent aujourd’hui. Une des prochaines en date Louboutin aura lieu au Palais de la Porte Dorée à partir de février 2020.
Exposition Dior aux Arts Décoratifs @juliette dorn
Armani Silos @juliette dorn
Ces expositions imaginées par le conservateur ou suggérées par les maisons elles-mêmes ont bien sûr un intérêt marketing pour la marque. Exposé, le vêtement, n’est plus seulement un objet, il atteint le statut d’œuvre selon les propos de Sonia Rykiel. Il est doté de sa propre histoire, hors des défilés et des collections. En exposant leurs collections privées, les maisons de luxe donnent à voir leur savoir-faire, elles créent leur propre mythe. Ce sont les concernés qui financent ces expositions. Lorsque Dior expose aux Arts Déco, à Londres ou à Moscou, ce n’est pas anodin : dans ces grandes villes sont implantées ses boutiques de prêt à porter, c’est un moyen pour la marque de fidéliser sa clientèle tout en essayant de toucher au plus large. C’est aussi un moyen de se rapprocher d’une future clientèle, puisque ces expositions s’adressent à des visiteurs mais aussi à des clients potentiels. Nous parlons jusqu’ici d’expositions temporaires. Le lien de leur monstration n’est pas anodin non plus, entre une exposition au sein même du magasin newyorkais Prada et une autre organisée dans une institution muséale, qui de l’exposition en magasin, du défilé, ou encore de l’exposition muséale s’inspire de l’autre ?
Mais un autre fait marquant retient notre attention : de plus en plus de maisons de couture ouvrent leur propre musée. En 2017 Yves saint Laurent ouvre non pas un mais deux musées, alors que jusqu’alors, ses collections privées faisaient l’objet d’expositions événements à travers le monde. Armani à Milan a quant à lui réinvesti tout un quartier mêlant collection de mode et expositions temporaires. Citons aussi Gucci qui depuis 2018 a intégré son propre musée au Palazzo della Mercanzia à Florence. Dans ces deux cas, le directeur artistique de la marque est le créateur de l’espace et de la muséographie.
Enfin, la maison Chanel: Le Palais Galliera, premier musée de la mode à Paris va rouvrir en cette fin d’année. La maison Chanel a mécéné les travaux pour l’ouverture de leur tout nouvel espace d’exposition permanente, avec des salles consacrées spécialement à Gabrielle Chanel. La maison Chanel ne possède pas son propre musée, mais en subventionnant le palais Galliera et en faisant prêt de pièces de sa collection privée, elle s’offre une visibilité et un public autre que ses habituels acheteurs, met sa la marque en avant.
Les maisons de couture offrent ainsi une autre vision que ce que l’on peut voir lors des défilés, réservés à des initiés. Le musée offre un espace plus intimiste, le vêtement est visible de plus près, il est rarement sous cloche, pour donner l’illusion d’être accessible. Le lieu, la scénographie et le parcours concourent à cette dimension émotionnelle. D’un point de vue scénographique, la mode a une culture du grandiloquent, elle réadapte ici l’événement créé pour les défilés et principalement la fashion week.
Si la mode est un sujet proche du public, qui porte des vêtements tous les jours, les voit dans la rue et les magazines, c’est une culture qui s'acquièrt spontanément, la haute couture a ses codes.
En exposant la mode, on peut se permettre des scénographies extraverties. Pour Dior, Nathalie Crinière crée une scénographie événement, au point que le vêtement perd de son attrait tellement l’œil du spectateur est attiré par le décor qui l’entoure La salle remplie de fleurs en papier rappelle les créations de Christian Dior, avec ses défilés aux milliers de fleurs. Au contraire, le musée Armani présente ses collections dans un univers épuré, sublimé simplement par la lumière, là aussi un écho à ses créations et aux défilés.
Défilé Automne Hiver 2014-2015 au musée Rodin @ Dior
Lorsqu’une exposition de mode se concentre sur une marque ou un couturier en particulier, c’est l’univers décidé par le directeur artistique qui transparaît. Cela devient plus compliqué lorsqu’une exposition mélange les styles et les maisons de couture : la Cité de la dentelle et de la mode présente en parallèle des pièces du XIXème comme des vêtements plus contemporains, le créateur n’est plus l’attrait principal du vêtement, c’est sa technique qui est mise en avant. L’ambiance choisie est donc plus neutre pour s’adapter aux différents vêtements exposés, qu’ils soient l’œuvre d’un couturier ou du prêt-à-porter.
Alors alliance de marketing et de parcours sur le stylisme singulier de chacun, ces expositions mécénées sont-elles glorification de la marque ou ultime reconnaissance d’un couturier ?
Un élément de réponse réside dans l’exposition “Sonia Rykiel Exhibition” dédiée à la créatrice en 2008 aux Arts Déco, pour l’anniversaire de la maison. Cette exposition retrace le parcours créateur, en présentant notamment des dessins, les premières créations et les différentes collections. C’est avant tout un hommage envers le caractère charismatique et iconique de Sonia Rykiel.
Balenciaga exposé au musée Bourdelle, c’est un hommage post mortem au couturier et à son œuvre, un moyen de montrer le génie créateur en faisant dialoguer les robes de haute couture avec les sculptures de l’artiste du XXeme.
Dans ces exemples, le couturier est au premier plan, on glorifie non pas la marque qui découle de ces illustres noms mais son œuvre. L’accent est mis sur la personnalité du couturier, sur son talent. Exposer Coco chanel, ce n’est pas exposer Karl Lagerfeld, son successeur à la tête de la maison, mais l’aspect innovant des pièces de la créatrice pour son époque.
Exposition Cristobal Balenciaga, l’oeuvre au noir @musée bourdelle
Bien sûr lorsque le nom du créateur présenté est lui-même le patronyme de la marque, même si son œuvre est avant tout mise en avant, la marque en retire une certaine gloire. Pour une marque, posséder sa propre exposition ou mieux encore son propre musée est un moyen d’affirmer son influence dans le monde de la mode mais aussi dans la société.
L’exposition Dior est un parfait exemple de réalisation à la gloire de la maison. Le parcours d’exposition n’est pas chronologique ni divisé selon les différents directeurs artistiques de la marque, mais est présenté par grands thèmes, le Style Dior, ce qui fait l’essence même de la marque et sa reconnaissance mondiale.
Ainsi, entre grandiloquence et minimalisme, l’exposition de mode a autant un aspect marketing lorsqu’elle est centrée sur un créateur et sa marque en particulier, qu’une reconnaissance artistique pour le couturier. En adoptant les codes de la haute couture pour créer l’événement, ce type d’exposition est à présent ancré dans l’univers muséal et place le vêtement et son couturier au même titre qu’une œuvre d’art et son artiste: iconique.
Juliette Dorn
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Pour aller plus loin :
Christian Dior, couturier du rêve : https://madparis.fr/francais/musees/musee-des-arts-decoratifs/expositions/expositions-terminees/christian-dior-couturier-du-reve/
Back side : dos à la mode au musée Bourdelle, jusqu’au 17 novembre 2019
http://www.bourdelle.paris.fr/fr/exposition/back-side/dos-la-mode
Christian Louboutin, l’exposition : du 25 février au 26 juillet 2020
https://www.palais-portedoree.fr/fr/christian-louboutin-l-exposition