Un tableau vous manque, et tout est chamboulé...

 

Il est fort probable que ce titre vous paraisse intriguant, voire absurde, ou peut-être ne vous attendez-vous à rien, habitué aux titres racoleurs qui fleurissent dans nos médias. Le Louvre n’est plus un musée ? Mais alors, qu’est-ce que c’est ?
 
Pour le dictionnaire Larousse, il s’agit d’un “lieu, édifice où sont réunies, en vue de leur conservation et de leur présentation au public, des collections d'œuvres d'art, de biens culturels, scientifiques ou techniques.”
 
À la lumière de cette définition, le Louvre répond aux critères ! On y trouve bel et bien nombre d’œuvres : de la peinture italienne, en passant par des tessons étrusques, jusqu’aux céramiques iraniennes, en exposition comme en réserve. Chic ! La question est résolue, le Louvre est un musée ! Il s’agit peut-être de l’article le plus court que vous n’ayez jamais lu. Oui, mais…
 
Oui, mais des définitions sur ce qu’est un musée, nous n’en manquons pas ! C’est d’ailleurs une des questions qui a animé le monde muséal à la fin de l’été : quelle définition pour les musées ?
 
« Le musée est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation. »
Définition adoptée par l’ICOM à l’assemblée générale de Vienne, 2007

 

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Salle Médicis © Musée du Louvre

 

Depuis 2007, l’ICOM définit le musée comme “une institution sans but lucratif”. Ce premier critère résonne déjà avec un autre événement de cet été : le déménagement de la Joconde lors des travaux de la salle des États, récemment réouverte. Mona Lisa avait alors fait un séjour chez les peintres flamands, au plein cœur de la galerie Médicis, évinçant certaines des toiles de Rubens. Si le doute n’était pas permis concernant l’importance de cette œuvre pour le musée et ses visiteurs, celles et ceux qui ont suivi la polémique ont vu le Louvre se muer en écrin de la Joconde. L’organisation en a été perturbée, visiter pour voir d’autres œuvres relevait d’une mission impossible, tant la file d’attente - qui avait pour unique but de permettre de photographier la peinture - traversait les salles remplies de tableaux de maîtres, ou, pourrions-nous dire : ignorait ces chefs d’œuvre. Le plaisir de visite, censé être garanti par les musées, est lui aussi passé au second plan, au même titre que “l’ouverture au public”, la question de mettre en place un système de réservation obligatoire, abandonné depuis, ayant été abordée.
 
L’objectif de cet aménagement est assez clair : répondre à la demande des visiteurs, dont une grande part vient de loin pour se presser devant le portrait de la mystérieuse Mona Lisa. C’est une logique économique qui a prévalu cet été. Le Louvre s’est détourné de sa mission non-lucrative le temps d’une saison.

 

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Salle Médicis © Didier Rykner

 

Cet accent mis sur une seule et unique peinture, éclipsant les quelques 35 000 autres œuvres exposées dans le musée, n’est pas étrangère à la notion de chef d’œuvre. Cette construction culturelle traduit l’idée qu’un musée se doit d’en détenir s’il cherche la reconnaissance internationale, et donc créer un lien fort avec cette œuvre, au risque d’occulter d’autres pièces tout aussi précieuses, au profit de son égérie. Cette sacralisation - poussée jusqu’à l’adoration quasiment religieuse - s'appuie sur une logique de communication construite autour de l’icône d’un musée, et de l’incarnation de celui-ci par l’oeuvre.
 
C’est par cette image que les visiteurs connaissent le Louvre avant même d’y pénétrer.  C’est donc en toute logique qu’elle est la première toile recherchée par les publics, comme un point de repère dans l’étendue des salles du musée.
 

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La Joconde dans la salle des Etats rénovée © Musée du Louvre / Antoine Mongodin

 

Le Louvre n’est pas le seul à rayonner au travers de quelques toiles ou sculptures et les critiques formulées plus haut - si elles entraînent de vives réactions comme celle de Jason Farago dans son article "It’s Time to Take Down the Mona Lisa" - ne lui sont alors pas propres. Si différentes institutions se permettent de déroger aux missions établies par l’ICOM dans sa définition du musée, peut-être alors la nouvelle définition proposée lors de l’assemblée générale extraordinaire de l’ICOM à Kyoto en septembre 2019 peut aussi être un rappel à l’ordre en direction des directeurs de musée, afin de les faire réfléchir à l’orientation qu’ils devaient conserver.

 

 Jade Garcin

 

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#Icône

 

Article cité : https://www.nytimes.com/2019/11/06/arts/design/mona-lisa-louvre-overcrowding.html?smid=tw-nytimesarts&smtyp=cur

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