Voyons-donc ce que la danse a à nous dire, au musée. Pour ce faire, j'ai choisi deux expositions qui ont pour fil rouge le mouvement, en adoptant deux angles d’approches diamétralement opposés. Voyons quels sont les partis-pris des expositions. Par quels dispositifs la pratique de la danse est-elle mise en avant ? Quelle est la place des professionnels de la danse dans les expositions dédiées ?

 

De l'exposition classique au musée d'Orsay

 

S’il y a bien un peintre qui aime la danse, c’est Degas. Retournons au XIXème siècle, époque où la bourgeoisie parisienne se veut érudite. Une société accordant de l’importance aux loisirs fréquente aussi bien les théâtres que les opéras. C’est dans ce contexte fertile que Degas grandit et alimente sa fascination pour les arts et surtout l’Opéra. Pour l’anecdote, le père de Degas organisait tous les samedis un récital dans le salon. Pour le 350ème anniversaire du Musée d’Orsay, les toiles du « peintre des danseuses » sont exposées sous un angle inédit. Ici, l’Opéra est abordé dans sa globalité, une première pour le musée. Au regard des œuvres telles que La Loge ou bien La Petite Danseuse de quatorze ans, œuvre qui a scandalisé le public lors de son exposition en 1881, l’artiste nous parle de sa fascination pour le corps humain et le mouvement. Difficile d’évoquer le mouvement avec des collections alors, que par définition, les œuvres sont figées dans le temps. L’exposition présentée au musée d’Orsay nous invite à comprendre le mouvement par la représentation des danseuses dans leurs univers. Pour lui, le mouvement né de l’effort. Effort, qui transparait autant dans ses dessins au pastel que dans ses peintures. D’ailleurs, contrairement à Claude Monet, Degas détestait peindre en dehors de son atelier. Les danseuses posaient donc devant le maitre qui réussissait à peindre les jeunes femmes dans leur intimité de danseuse. Des backstages aux planchers, des musiciens aux habitués des lieux, Degas représente également tous les acteurs de l’Opéra. Avec ses œuvres cadrées à la façon d’un photographe, il témoigne des mœurs de la société bourgeoise.

 

Peinture Degas

Edgar Degas La classe de danse© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

 

Cette exposition nous invite à découvrir ou à redécouvrir un artiste, qui pendant plus de 50 ans de carrière n’a cessé de peindre des femmes en tutus, n’hésitant pas à expérimenter des palettes de couleurs audacieuses. Deux ans auparavant, en 2017, le Louvre avait présenté son exposition au public, intitulé Corps en mouvement. La danse au musée se veut pédagogique puisque l’exposition donne au public les clés pour comprendre l’art et décortiquer gestes, postures et émotions dégagées par les corps peint. Chose innovante, quoi de mieux qu’un chorégraphe pour parler danse. C’est sur ce parti-pris que le Louvre a décidé de travailler de concert pour cette exposition en conviant le chorégraphe danseur Benjamin Millepied, en tant que co-commissaire de l’exposition.

 

Sculpture Degas

Edgar Degas, La petite danseuse de 14 ans © National Gallery of Art, Washington DC

 

A l’exposition Corps Rebelles au musée des Confluences

 

Seconde exposition, Corps Rebelles au musée des Confluences à Lyon en 2017, qui fut conceptualisée par le musée de la Civilisation de Québec. Contrairement à l’exposition Degas à l’Opéra où le public venait aux danseuses, la tendance s’inverse aux Confluences. L’exposition est immersive, invitant à découvrir la danse contemporaine. S’armant de casque, le public se laisse bercer par les danseurs exerçant leurs chorégraphies dans un ballet sans fin. L’exposition est construite autour de six thématiques - danse virtuose, danse vulnérable, danse savante, danse populaire, danse politique, et danse d’ailleurs – liées par le fil rouge du mouvement. L’angle d’approche est plus innovant que l’exposition Degas à l’Opéra, plus académique. L’exposition Corps Rebelles tisse un lien entre évolution sociétale et les grandes avancées artistiques dans le domaine de la danse contemporaine au XXème siècle. L’exposition voulue par nos cousins québécois s’appuie sur des films (extraits de pièces dansée, d’archives d’actualités) et pléthore d’images.
 
Exposition Corps rebelles
Vue de l'exposition Corps Rebelles © Bertrand Stofleth, Hétéroclite

 

Pour ceux qui souhaitaient avoir l’eau à la bouche avant de tenter l’aventure, le musée des Confluences a mis à disposition sur son site internet des textes sur chacune des six thématiques accompagnés des clichés de danseurs en plein exercice de leur art. Mais le contenu du site internet sert davantage à teaser l’exposition qu’à documenter l’exposition en elle-même.

 

Danse et musée ne font pas bon ménage ?

 

Que retenir de ces deux expositions ? Qu’il est difficile de faire cohabiter des artistes danseurs dans les collections des musées. La première raison est sécuritaire. Les musées n’ont pas été conçus comme des lieux de spectacle vivant, hormis les nouvelles structures qui se dotent d’auditorium ou d’espaces dédiés. Boris Charmatz releva le défi en 2016 avec Danse de nuit dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Il réalisa ainsi sa chorégraphie dans la cour Carrée du musée du Louvre. L’espace n’étant pas aménagé pour recevoir le public venu en masse, l’accessibilité au spectacle fut complexe. Mettant ainsi le public proche de la performance et à la fois éloigné, puisqu’il était difficile pour un grand nombre d’apercevoir l’artiste au cœur de sa pratique. La deuxième raison est financière. Les musées ne produisant pas les spectacles d’art vivant, les enjeux ne sont pas les mêmes. La rémunération des danseurs peut peser, surtout quand le projet est conséquent. C’est le cas de l’exposition Carte blanche à Tino Sehgal où les 13 000m² d’exposition du Palais de Tokyo furent entièrement dédiée à la performance dansée du chorégraphe et de plusieurs de ses compères. La dernière raison s’accorde sur la gestion de l’humain. Il est complexe de faire intervenir des danseurs durant tout le temps que l’exposition est présentée au public.

 

Boris Charmatz

« Danse de nuit », une chorégraphie de Boris Charmatz. © BORIS BRUSSEY

 

L'importance de la programmation : ateliers et résidence

 

Les musées sont rarement des lieux de rencontre entre professionnels de la danse et le public. Et pour remédier à leurs absences dans les expositions, la programmation est faite pour faciliter cette rencontre. Le musée d’Orsay a mis en place les Week-end en famille. L’édition du 9 et 10 novembre 2019 est en lien avec l’exposition Degas à l’Opéra. Aux détours de plusieurs conférences et d’ateliers manuels, le public découvre l’exposition sous un nouvel angle, celle de la visite dansée. Après avoir observé les positions et les mouvements impulsés par les danseuses, le public est invité à apprendre une suite chorégraphique initié par chorégraphe Laïla Heuberger en s’inspirant des œuvres de Degas. L’activité se poursuit par la restitution des apprentis danseurs durant un spectacle d’une vingtaine de minutes, Impromptu chorégraphique et participatif. L’intérêt de ce dispositif est double. Premièrement, de faire passer le statut du visiteur passif à celui d’actif. Deuxièmement, par l’expérience de la restitution, le visiteur se glisse dans la peau d’un danseur et passe ainsi de l’autre côté de la scène, vivant l’expérience d’une autre manière.
Tout comme l’exposition au musée d’Orsay, la danse ne se regarde pas, elle se pratique. Mais avec une certaine nuance. L’espace de rencontre est situé au cœur de l’exposition. Il y a un vrai échange entre les danseurs et le public grâce à la mise en place de résidences d’artistes. Cette résidence implique également un atelier immersif où le visiteur est invité à se glisser dans la peau de Joe, personnage principale de la pièce chorégraphiée de Jean-Pierre Perreault. Guidé par une voix-off, le visiteur participe à recréer une partie de la chorégraphie. Le studio où prend également place l’atelier est investi par des chorégraphes et autres danseurs en résidence programmée. Dispositif qui tente de résoudre le manque de la présence d’artistes durant le temps d’ouverture de l’exposition. La confrontation entre professionnels de la danse et publics est d’autant plus efficiente.
Outre l’atelier immersif de l’exposition Corps Rebelles au musée des Confluences, le MoMA propose des ateliers basés sur le travail de la chorégraphe italo-américaine Simone Forti. Le public est ainsi confronté à la façon dont la danse a été redéfinie dans les années 60.
Du musée des Confluences, en passant par le Museum of Modern Art, les musées d’art moderne et contemporain se prêtent davantage à l’exercice de la danse dans leurs espaces, contrairement aux musées des Beaux-arts moins enclins pour les raisons que l’on vient de voir. Pourtant, de la classique exposition au musée d’Orsay au projet original de Corps Rebelles, nombreuses sont les initiatives pour rendre ses lettres de noblesses à cet art vivant. Danse et musée se nourrissent l’un de l’autre. L’art de la danse cherche une autre visibilité grâce à des dispositifs au cœur des collections, essayant de trouver peu à peu sa place parmi le public. Quant au musée, la présence d’artistes donne un nouveau souffle aux collections.

 

Et comme le dit si bien Jean de La Fontaine, « Et bien, dansez maintenant ! »

 

L’exposition Degas à l’Opéra

Du 24 septembre 2019 du 19 janvier 2020

Musée d’Orsay

 

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Edith Grillas

 

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