L’odeur alléchante des viennoiseries et du café qui nous accueille à l’entrée de l’exposition, située à quelques pas de la cafétéria du musée, donne le ton. Une belle entrée en matière qui met en appétit. Visuellement attractive grâce à des graphismes enfantins, l’exposition Je mange donc je suis s’attaque à une question cruciale autour des pratiques alimentaires.
Un contenu aussi riche que notre alimentation
Des boîtes de céréales et des conserves de corned-beef côtoient des crânes de plusieurs milliers d’années. L’exposition nous révèle tout d’abord l’origine de nos aliments, à travers les âges, en nous plongeant dans un univers tantôt décalé et humoristique, tantôt poétique et engagé.
Les boîtes de céréales et de corned-beef présentées dans la première partie de l'exposition © Camille Fromager
D’autres sujets plus délicats sont également abordés incitant à s’interroger sur ses propres pratiques : comme la place de l’animal dans l’alimentation, le poids des injonctions sociales dans nos choix alimentaires ou les enjeux écologiques liés à la production de notre nourriture. La mise en parallèle du gavage des femmes au Niger et de la maigreur des mannequins illustre une partie du propos, posant la question de l’existence d’une nourriture genrée. La sensualité de certains aliments et leurs effets sur la sexualité sont également présentés sans tabou, huitres, chocolat ou gingembre en illustration.
Puis l’exposition explore, dans un second temps, nos habitudes alimentaires à travers le patrimoine culinaire et la culturalité de l’alimentation. Des vidéos montrent à cet effet les différentes coutumes relatives à la prise du repas dans le monde. Parallèlement, des objets ethnographiques contextualisés sont présentés, comme les baguettes et les bols utilisés en Asie ou le bureau et l’ordinateur aux Etats-Unis.
La reconstitution d'un bureau aux Etats-Unis, à l'heure du repas © ML
Le parcours est parsemé d’œuvres d’artistes modernes et contemporains qui se sont emparés du sujet de l’alimentation. Il est possible de contempler La Cène de Léonard de Vinci revisitée par différents créateurs, que l’original d’une nature morte de Pablo Picasso, Verre, citron et pichet. L’installation propose ainsi, sous l’angle de l’histoire de l’art, un autre éclairage : celui de la nourriture comme un art visuel.
Une représentation de la Cène par Cécile Plaisance © ML
Des clins d’œil à la Pop Culture sont adressés au public tout au long de ce parcours qui inclut la diffusion d’extraits d’émissions populaires comme Master Chef ou Top Chef, du film L’aile ou la cuisse de Claude Zidi et de compositions musicales de Philippe Katerine, dont la chanson « Poulet n°728120 » qui évoque la problématique de l’élevage intensif.
Un extrait de L'aile ou la cuisse de Claude Zidi, présenté sur écran © Camille Fromager
La visite se termine par un troisième espace de réflexion sur les enjeux écologiques liés à la production des ressources pour nourrir l’humanité aujourd’hui et demain. Y sont présentées les différentes techniques d’agriculture, qu’elles soient intensives, horticoles, ou arboricoles. L’artificialisation de la nature est dénoncée au travers du discours de l’exposition. De façon engagée, le musée prend part au débat global sur l’alimentation et ses modes de production.
Je mange donc je suis est donc une grande exposition, qui aborde un large éventail de sujets liés à l’alimentation et dont le discours est constamment renforcé par les objets et les représentations qui sont proposés dans les différentes salles.
Une scénographie à la sauce aigre-douce
Divisée en trois grands espaces, l’exposition repose sur des choix scénographiques qui interpellent, donnant l’impression que trois scénographes différents ont travaillé sur le projet, et créé un effet de rupture.
Le premier espace dédié aux origines de l’alimentation plonge le public dans une ambiance sombre, où les teintes rouges et noires prédominent, avec de longues chainettes rouges qui séparent les modules les uns des autres. Il semble que ce soit une entrée dans l’organisme vivant d’un être humain.
Entre le premier et le second espace, qui porte sur la dimension sacrée de l’aliment, une transition s’opère par l’intermédiaire d’une vitrine noire éclairant par intermittence des objets de culte appartenant à diverses cultures.
Ce deuxième ensemble se détache ensuite totalement du premier avec une ambiance plus éclairée, combinant objets ethnologiques, multimédia, objets d’art, art moderne et contemporain, dans des mises en scène de prise de repas à travers les différents continents et la présentation des arts de la table et leur diversité culturelle.
Reconstitution d'une prise de repas en Asie, accompagné d'une vidéo montrant la gestuelle © ML
Le dernier espace de l’exposition, consacré à l’impact environnemental de notre alimentation, se différencie encore des deux autres par des volumes plus stylisés et des couleurs beaucoup plus claires. Le graphisme y est impactant, particulièrement dans la dernière salle où de grandes toiles blanches s’élèvent en forme d’arbres dont la couronne s’étend au-dessus de chaque module et sur lesquels des dessins d’animaux tracés en noir s’enchevêtrent sans se mêler, rappelant le feuillage.
Dernière partie de l'exposition portant sur les risques liés à la production agro-alimentaire sur l'environnement et la santé © ML
Les choix scénographiques ont su mettre en valeur chaque espace en relation avec les thèmes qui y sont traités. Quant aux variations de mobilier, d’éclairage et de couleurs entre chacun des trois grands espaces qui conforment l’exposition, celles-ci semblent correspondre à une volonté de bouleverser la scénographie pour faire évoluer le visiteur dans le temps, de l’obscurité vers la lumière, pour aboutir à la fin du parcours à cette remise en question de ses pratiques et à s’interroger sur l’avenir. Trois ambiances différentes qui contribuent à créer des ruptures dans le discours pour modifier notre perception tout au long du parcours, puisque tout changement, tout apprentissage requiert en définitive une rupture.
Des médiations au goût du jour
Par ailleurs, l’exposition propose un large panel de médiation allant de l’espace d’écoute relaxant au multimédia ludique. Dès la première salle, un module propose d’écouter, confortablement assis dans des canapés rouges, l’épisode de la madeleine de Marcel Proust, narrée par une voix off, offrant un intermède poétique reposant avant d’aborder la suite.
Alcôve dans la première partie de l'exposition diffusant l'épisode de la "Madeleine" de Marcel Proust © ML
Un autre dispositif à retenir est sans doute l’écran interactif situé avant l’espace de transition qui conduit à la deuxième partie de l’exposition. Les questions complexes liées à notre alimentation, matières de controverse, y sont traitées. C’est le cas de la condition animale, les interdits alimentaires et la consommation d’insectes comme une nouvelle alternative, en s’appuyant sur des contenus vidéo, audio et photographique.
Dans le dernier espace, chaque module propose des contenus audio et vidéo supplémentaires, ainsi que des témoignages et des interviews.
Présentation de l'un des éléments scénographiques du décor de la dernière partie de l'exposition © Camille Fromager
D’une manière générale, l’exposition explore avec humour et inventivité l’humain à travers ses pratiques de consommation alimentaires actuelles et leur impact environnemental, pour mieux comprendre au bout du compte ce qui est en jeu : notre avenir. Les choix scénographiques surprenants, intrigants, parfois dérangeants, maintiennent l’illusion du changement en rendant tout à la fois l’immersion possible. Un seul regret pour les gourmands attirés par le thème de la nourriture, où est passé le côté sensoriel ? Le goût n’aura pas été mis à l’honneur cette fois-ci.
Margaux Louët
http://www.museedelhomme.fr/fr/programme/expositions-galerie-lhomme/je-mange-je-suis-3970
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