Au cinéma, dans la littérature, la musique, les arts plastiques, leur représentation nous fait trembler, pleurer, hurler de peur parfois. Les cimetières. Qui n’a jamais secrètement rêvé de se retrouver enfermé.e dans un cimetière en pleine nuit, seul.e ou accompagné.e pour une séance de spiritisme inoubliable ?  Dans la vraie vie, cette séquence dramatique est généralement plus expérimentale, serré.e.s les uns contre les autres, dans le grenier de la maison familiale, avec des pots de yaourts vides en guise d’oracle.

L’univers inquiétant des cimetières, de la mort et la vie post-mortem fascine. Instinctivement, cet univers est associé à un environnement lugubre, des couleurs sombres et des sentiments douloureux. Cette association est pourtant très judéo-chrétienne et occidentale. Traversons l’Océan Atlantique en survolant Cuba pour atterrir au Mexique. El Dia de los muertos, le jour des morts, est une période de fête et de célébration ancrée dans la culture mexicaine contemporaine. Depuis 2003, ces célébrations sont d’ailleurs inscrites au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, reconnues comme « chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité ». Pendant ces jours de célébration des photos des personnes défuntes dont on célèbre la mémoire sont installées sur des autels, décorés de nappes, de fleurs, de nourritures colorées. 

 

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Photographie d’un autel El dia de los muertos © Eneas de Troya source https://www.flickr.com/photos/eneas/4072192627/ 

 

Pourtant en France, la mort est taboue et le chemin est encore long avant que l’on puisse désacraliser les cimetières et séparer de nos imaginaires le noir, le chagrin et le décès. Ce cheminement a peut-être été entamé en 2017 au couvent des Jacobins de Toulouse, avec l’événement "Ci-je Gis !". Par le biais d’expositions de photographies, et de performances théâtrales, les visiteur.se.s étaient invité.e.s à s’approprier l’idée de la mort sur un ton décalé, « avec humour et poésie ». C’est un couvent qui dispose d’un patrimoine funéraire par la présence de crypte et de tombes. Par ailleurs, il est plus commun aujourd’hui de pouvoir suivre une visite guidée au sein d’un cimetière. Cette initiative existe notamment au cimetière de Saint-Pierre à Saint-Pierre et Miquelon. La visite est l’occasion d’évoquer l’histoire de la population. C’est également le cas, dans la petite commune de Couture, au Nord d’Angoulême, où il est proposé aux visiteurs de découvrir le patrimoine funéraire du Ruffécois. L’objectif de cette visite est précisément de distancier cimetière et tristesse. Et plus connu, visiter le cimetière du Père-Lachaise seul.e ou accompagné.e d’un guide permet de découvrir les tombes d’illustres chanteurs, artistes, peintres etc.

 

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Affiche de l’événement Ci-je Gis ! au Couvent des Jacobins à Toulouse © Conception graphique VIF Design

 

Chez nos voisins belges, le rapport à la fin de la vie est déjà moins lourd. Depuis 2002, l’euthanasie active est dépénalisée. La Belgique est l’un des - très - rares pays au monde à l’autoriser. Prenons un autre exemple : Jacky Legge, conservateur au Musée du Folklore et des imaginaires de Tournai dispose déjà de son monument funéraire, réalisé par un artiste contemporain, au cimetière du Sud de Tournai.

 

Un cimetière vivant  

Le cimetière du Sud de Tournai est un cimetière vivant. Il est créé en 1784 et s’étend sur plus de sept hectares. Une importante équipe de bénévoles travaille à la conservation de son patrimoine funéraire et de nombreuses initiatives sont mises en place pour le faire vivre. Et notamment pour valoriser la plus ancienne partie du cimetière, le périmètre historique. Dans ce périmètre, des artistes contemporains sont invités à créer, parfois directement sur les monuments funéraires. Ainsi, dans l’esprit de la méthode japonaise de restauration de porcelaines ou de céramiques, le Kintsugi, l’artiste français, Emmanuel Bayon a pu réparer une tombe en y ajoutant un morceau de bois peint en rouge mais tout en laissant apparentes les marques laissées par le temps. Un petit musée a également vu le jour dans le bâtiment qui n’est autre que l’ancienne morgue. Là où l’on exposait avant les corps des personnes décédées, sont désormais présentés aux visiteur.se.s différents éléments du patrimoine du cimetière. 

 

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Extrait du Carnet de jeu de piste, photographies de monuments funéraires créés par des artistes contemporains © Labelpages

 

L’initiative la plus récente est la participation du mouvement de jeunesse de Tournai, Patro NDA, à la 9ème édition du concours Musées(em)Portables organisé par Museumexperts. C’est un concours qui consiste à tourner un film, à l’aide d’un téléphone portable, d’une durée de 3 minutes maximum dans un lieu culturel ou patrimonial. Pour l’occasion, et toujours dans cette optique de valoriser le patrimoine funéraire, l’équipe des bénévoles du cimetière a accepté que le petit film du Patro y soit réalisé.   

Auparavant, lors de l’ouverture des journées européennes du Patrimoine de 2018, le cimetière avait accueilli la compagnie de danse Danses & Cie de Tournai. La compagnie présente le spectacle Aux Portes du temps, un dialogue onirique à la tombée du jour entre les danseurs et l’architecture. Ce spectacle faisait partie d’une ambition plus large de revaloriser le patrimoine funéraire du lieu. Il a été mené en collaboration avec la Commission pour la Sauvegarde du Patrimoine Funéraire des cimetières de Tournai et l’école primaire Saint-Piat de la ville. 

 

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Photographie du spectacle de Danse Aux portes du temps, par la compagnie Danses & Cie de Tournai © Jacques Desablens

 

Des Os, des enquêteurs et une tombe mystère

En septembre 2018, est donc inauguré au cimetière un outil de médiation conçu spécialement pour lui. C’est un jeu de piste qui permet de découvrir le lieu en famille, muni d’une valisette et d’une énigme à résoudre. Il s’adresse aux enfants à partir de 8 ans et à « toutes celles et ceux qui ont gardé leur âme d’enfant ». Ils sont invités à jouer aux détectives pour retrouver une tombe mystère. Le lieu et ce qu’il représente sont désacralisés et pour le temps de l’enquête, Tournai prouve qu’il est possible de jouer et d’apprendre dans un environnement a priori lugubre. 

La Commission pour la sauvegarde du patrimoine funéraire des cimetières de Tournai a eu l’opportunité de mener à bien ce projet grâce à Prométhéa, une référence en Belgique en matière de mécénat. Prométhéa se donne pour mission de développer le mécénat d’entreprise dans le domaine de la culture et du patrimoine. Tous les ans, un appel à projet a lieu et offre au lauréat une somme d’argent permettant au projet de voir le jour. En 2018, le Cimetière du Sud de Tournai devient lauréat et le jeu de piste "Des Os & Moi" est réalisé en quelques mois. C’est une initiative originale à plusieurs titres. En rédigeant cet article, j’ai recherché d’autres actions culturelles de ce type dans des cimetières, "Des Os & Moi" semble véritablement faire figure de proue en la matière. Son originalité ? Avoir été conçu par des enfants et proposer une approche ludique du cimetière. La Commission du lieu a fait appel à des élèves de 4ème, 5ème et 6ème primaire de l’école libre fondamentale Saint-Piat de Tournai. Ce qui correspond aux classes de CM1, CM2 et 6ème en France. Dans le carnet de jeu de piste, les élèves ayant participé à la création de cet outil de médiation, sont d’ailleurs nommément remerciés.

 

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Eléments composant la valisette du jeu de piste © Commission pour la sauvegarde du patrimoine funéraire des cimetières de Tournai

 

Les enquêteurs partent donc carnet et carte du cimetière en main, à la recherche d’une tombe perdue. Cette tombe se situe au cœur du périmètre historique du cimetière, qui détient les monuments funéraires les plus anciens et le patrimoine que la Commission cherche en premier lieu à valoriser. Est également fourni aux Miss Marple et Hercule Poirot en herbe, une valisette qui complète l’outil de médiation. S’y trouve une loupe, des lunettes, les pièces d’un puzzle, un sablier et des impressions 3D permettant de reconstituer, en modèle réduit, une sépulture. Le jeu de piste est l’occasion d’arpenter les allées du cimetière, d’observer son patrimoine funéraire et ses caractéristiques. Les enfants, et les plus grands, peuvent appréhender les matériaux des monuments funéraires, la signification derrières des abréviations latines communément présentes sur les stèles, mais apprennent également à « lire » les sépultures. Et à savoir notamment quel était le métier de la personne défunte en regardant les éléments composant la tombe, comprendre les éléments de décoration comme les sabliers, les colonnes brisées, les flambeaux retournés etc. Mais également des informations plus pratiques comme apprendre à savoir à qui incombe la charge de l’entretien d’une tombe.

La mort n’est pas un sujet facile à aborder avec des enfants. Cet outil étant complet et pédagogique, il peut permettre d’amorcer un premier pas vers ce sujet en dédramatisant l’image de la mort et en se familiarisant avec les cimetières et leur patrimoine.

Ce type d’initiative est intéressante mais rendue possible grâce à l’existence d’une commission bénévole de conservation du patrimoine funéraire. Si ce type de commission est répandue au sein des cimetières belges, en France elles demeurent rares. La question de la conservation du patrimoine funéraire soulève de nombreuses questions, notamment quant au respect des droits des familles. En 2018, un sénateur pose une question ouverte au ministre de la Culture relative à la question de la conservation du patrimoine funéraire français, conscient de leur nature historique et leur intérêt artistique et mémoriel. Dans sa réponse, le ministre rappelle qu’à ce jour, « environ 450 cimetières ou parties de cimetières, tombes et tombeaux, caveaux, mausolées, stèles, dalles funéraires et pierre tombales sont classés ou inscrits au titre des monuments historiques ». Mais cette protection n’a pas vocation à gérer les cimetières. Pour le reste le patrimoine relève du droit et du domaine privé et est géré par les familles. Ce qui entraîne de nombreuses pertes lorsque les familles ne sont plus à même d’entretenir les stèles, pierres tombales etc. Quand bien même ces monuments ont un intérêt patrimonial.

Cette question fait suite à une initiative prise par le Patrimoine Aurhalpin, une fédération régionale des acteurs du patrimoine d’Auvergne-Rhône-Alpes. En 2014, afin de trouver des réponses aux problématiques de sauvegarde de ce patrimoine particulier, la fédération met en place une commission Patrimoine funéraire. L’enjeu est alors d’organiser un événement culturel « permettant la découverte du patrimoine funéraire sur l’ensemble de la région ». Le Printemps des cimetières voit le jour en mai 2016 et depuis se tient tous les ans à cette période. Il permet de visiter les « jardins de pierres » lors d’animations dans et hors cimetières. L’objectif visé est de « raconter l’histoire locale, de mettre en lumière des personnalités, de présenter les savoir-faire liés à la pierre ou au métal, de découvrir l’art et la symbolique funéraire, de sensibiliser à la biodiversité… ». L’an dernier, l’événement a réuni plus de 2200 visiteurs. Et devant la réussite de l’initiative, elle s’est étendue au printemps, le 26 mai dernier à Paris dans plusieurs cimetières de la capitale.

Alors rendez-vous les 15, 16 et 17 mai 2020, en région Auvergne-Rhônes-Alpes, pour apprécier la richesse du patrimoine funéraire local, sous l’angle de « l’Histoire et les histoires de nos cimetières » !

 

Manon Lévignat

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