Le hors les murs pour repenser le musée du 21e siècle (suite)

Des moyens

Si le hors les murs implique une réflexion sur les objectifs de l’action culturelle en milieu muséal, il exige aussi de repenser les moyens d’actions dont disposent les musées. Ces moyens sont d’abord financiers. Aujourd’hui, les structures publiques sont largement dépendantes des financements garantis par leurs autorités de tutelle. Ces financements sont limités et les services des publics sont rarement les mieux servis lors de la répartition du budget en interne. Aussi, pour mener des actions de médiation sur le long terme, incluant divers prestataires extérieurs, une recherche de financements supplémentaires est souvent nécessaire. La majorité des dix-neuf contributions rassemblées dans cet ouvrage mentionne ainsi la réponse à des appels à projet portés par différentes collectivités territoriales. Le projet « Marins à l’Ancre »,  déjà évoqué ci-dessus, a été en partie financé dans le cadre d’un appel à projets de la région Bretagne sur les « héritages littoraux ». Le musée des Beaux-Arts de Quimper a financé le projet « Pen’eyes » (p. 143 à 153) en l’élaborant en conformité avec les critères d’attribution du label « Le musée sort de ses murs » du ministère de la Culture et ceux du Projet éducatif local de la ville de Quimper. 

Outres les moyens financiers, le hors les murs nécessite des moyens humains conséquents. Lorsqu’ils investissent de nouveaux territoires ou s’adressent à des populations qui ne font pas partie des visiteur·euses traditionnel·les, les médiateur·trices s’entourent de partenaires. Leur statut et leur rôle est éminemment variable d’un projet à l’autre. Dans certains cas, celui de « Marins à l’Ancre » par exemple, la gouvernance du projet est complètement déléguée à un prestataire extérieur - en l’occurrence l’association Emglev Bro Douarnenez. Plus souvent, les partenaires associatifs ou institutionnels co-élaborent et co-pilotent le projet. Néanmoins le rôle du·de la médiateur·trice du musée reste crucial : « [ille] est au centre de l’organisation du hors les murs » rappelle Hakima Benabderrahmane, responsable du service Politique des publics du Musée de la Poste (p.36). Les médiations innovantes dont il est question dans cet ouvrage nécessitent un fort investissement des personnels du musée qui apprennent à apprivoiser un nouvel environnement de travail et de nouveaux interlocuteur·trices. Ces apprentissages peuvent à terme constituer une vraie ressource pour les institutions qui les emploient. À condition bien sûr, que les médiateur·trices qui en sont dépositaires n’occupent pas un statut précaire qui conduise à un turn-over important du personnel. Le Musée de l’École rurale de Trégarvan a remarquablement su contourner cet écueil. En 2015, le musée engage une volontaire en service civique qui participe à ses projets de médiation culturelle. Cette volontaire se montre particulièrement intéressée par le public des personnes âgées dépendantes. Après son volontariat, elle effectue plusieurs stages en EPHAD pour mieux connaître cette population et acquérir des compétences en animation. En 2017, elle est embauchée au Musée comme médiatrice dans le cadre d’un contrat aidé, pérennisé par la suite en CDI. Ce recrutement permet au Musée de l’École rurale de mettre en place une véritable stratégie de développement centré sur ce public très spécifique. Il développe notamment une offre d’ateliers hors les murs proposé à tous les établissements situés dans un rayon de 50 kilomètres autour du musée (p. 63/64). 

A l’instar du musée de Trévargan, bien des structures sont conscientes de l’importance de disposer, en interne, d’un service des publics solide. Elles développent pour cela des stratégies diverses. Le Muséum du Havre a opté pour une transformation des postes d’agents de surveillance en agents d’accueil et de médiation afin de développer ateliers et « visites flash » dans les murs du musée (p.71). Le Pôle Musée de la ville de Strasbourg a hérité d’un service éducatif et culturel municipal pionnier dans les années 1970. Il est aujourd’hui composé d’une équipe permanente de 18 personnes « dont 11 chargés de médiation qui fonctionnent par binôme ou par trinôme sur les projets » (p.114). À l’inverse, le Musée dauphinois, quand il dresse le bilan de son « Muséobus olympique », constate que son principal écueil réside dans les moyens humains mis à disposition ; une seule médiatrice devant assurer, pendant trois mois, itinérance et animation du bus, dans des conditions matérielles difficiles (p. 242).

Au-delà d’une nécessaire consolidation des services de médiation, le hors les murs incite à repenser en profondeur la gouvernance des institutions. Une longue tradition muséologique, entérinée par la « loi musée » de 2002, fait des musées des lieux de conservation avant d’être des lieux de partage. Cela induit, dans l’organisation interne des structures, une préséance des services dédiés à la conservation sur ceux dédiés à la médiation. Ajoutons que ces services fonctionnent souvent en vases clos, services des publics et services des collections ayant peu souvent l’occasion de travailler à des projets communs. La proposition du hors les murs n’est pas de renverser la hiérarchie de ces services mais de penser une nouvelle forme de gouvernance, plus communautaire. L’élaboration d’un cabinet de curiosités itinérant a ainsi été l’occasion pour le musée de Picardie d’instaurer une nouvelle dynamique en interne : « ce projet a été très fédérateur pour l’équipe du musée. Ainsi, un dialogue riche s’est noué entre les conservateurs, la régie des collections, les enseignants-relais et l’équipe de médiation mais aussi avec l’unité sécurité, les services administratifs et techniques. » (p.156).

 

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Atelier « Feu » au Préhistomuseum de Ramioul, décembre 2018 © Art de Muser

 

L’exemple le plus abouti de cette réorganisation interne est sans conteste celui du Préhistomuseum, musée et parc d’aventure de la préhistoire1 situé à Flémalle, près de Liège en Belgique (p. 205 à 214). Pendant une période de fermeture de l’institution, de 2012 à 2016, l’équipe s’est attelée à la redéfinition du « projet scientifique, culturel et sociétal du musée » (p.206). Parallèlement, l’institution a élargi le champ des services proposés dans le cadre de ses actions hors les murs : au-delà des activités de médiation, le Préhistomuseum a proposé des services de fouilles et de conservation préventive. Ces activités ont progressivement conduit l'institution à « ne plus [se] définir uniquement pour les fonctions-missions muséales mais bien par ces fonctions et ce dans une perspective de bénéfice social et sociétal » (p. 207). Grâce à une analyse approfondie du territoire, de ses acteurs et de leurs besoins une typologie « d’usages et d’usagers de services hors les murs » a été établie par l’équipe. La diversité des services proposés - des animations/visites animées au conseil en gestion de projet - et des usagers de ces services a rapidement nécessité une organisation interne plus souple, plus flexible. En 2017, le Préhistomuseum a donc radicalement changé son mode de gouvernance pour expérimenter l’holacratie, système anti-pyramidale qui dissémine la prise de décision en cercles-départements largement autonomes. Chaque cercle a sa raison d’être qui est au service d’une « raison d’être » commune, de l’objectif global de l’institution.  Le Préhistomuseum semble avoir exploité jusqu’au bout le potentiel du hors les murs, outil de réinvention du musée dans son rapport à un écosystème et à lui-même. 

Quels bénéfices ? 

Au terme de cette réflexion, quels bénéfices escompter de l’adoption du hors les murs comme démarche de repositionnement radical des institutions ? Cet ouvrage témoigne de résultats multiples, infiniment variables selon les situations. Malgré tout, quelques traits récurrents peuvent être dégagés. 

Déjà, un mieux être humain à différentes échelles : celle du musée mais aussi celle du territoire-d’action de celui-ci. Pour autant, la philosophie du hors les murs n’exclut pas l’échec, le résultat en demi-teinte, le conflit. Les œuvres d’artistes contemporains installées par le musée Gassendi dans la réserve géologique de Haute-Provence sont parfois mal reçues par une partie de la population locale, l’incompréhension poussant parfois à la dégradation (p. 172). Cette hostilité a poussé le musée à repenser la communication des démarches artistiques qu’il impulse. Après l’expérimentations de plusieurs formules, il est apparu que la rencontre directe des locaux avec l’artiste constitue l’espace de dialogue et de conciliation le plus efficace. Ces actions de sensibilisation sont parfois à l’origine de nouveaux projets artistiques : la création Sentier Marcel est ainsi le fruit du dialogue qui s’est instauré entre l’artiste Till Roeskens et le berger Marcel Second.

 

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Till Roeskens, Sentier Marcel, coll. Musée Gassendi. L’œuvre consiste en l’installation de stèles narrant la vie du berger Marcel Segond, le long de sentiers qu’il emprunta toute sa vie © CAIRN centre d’art

 

Sans doute faut-il conclure de cet exemple que tout projet de médiation hors les murs a pour résultat premier de produire une rencontre qui ne se serait pas opérée dans le cadre traditionnel de la médiation muséale. Les résultats en demi-teinte de l’action conduite par le musée Gassendi soulignent aussi, en creux, la nécessité impérative d’évaluer les projets de hors les murs, dans leur déroulé, pour pouvoir espérer maximiser leur impact positif.  Il s’agit également de mesurer, rétrospectivement, la conformité des actions mises en place avec les objectifs initiaux. 

Un autre bénéfice de ces expérimentations de terrain, identifié à plusieurs reprises dans les contributions de cet ouvrage, est celui de la montée en compétence du personnel du musée, mieux outillé pour se réinventer et être en prise avec les défis du présent. Le véhicule de médiation du Muséum de Bordeaux initié à la fin des années 1990 a ainsi vu son usage changer et se développer selon les contraintes propres au musée (fermeture du Museum pour rénovation entre 2009 et 2019) ou les sollicitations extérieures (proposer des ateliers pour les temps périscolaires suite à la réforme des rythmes scolaires). Comme le souligne Raphaëlle Julien, le développement du hors les murs permet et impose à la fois de « garder une réactivité face aux évolutions de la société » (p.97). 

Ce dont témoigne, in fine, cet ouvrage c’est que le musée du 21e siècle a le potentiel de devenir plus qu’un simple espace d’exposition. Afin de se mettre pleinement au service de la société et de son développement, il peut se faire référent scientifique, animateur territorial, éducateur populaire, etc. Cela, en s’inscrivant dans un écosystème local et/ou en prenant part à un maillage culturel et scientifique plus large. Loin d’être un simple jeu d’aller-retour entre le dedans et le dehors, le centre et la périphérie, le hors les murs devient alors un engagement citoyen et humaniste : contribuer, dans la mesure de ses moyens, à construire une société plus juste, plus fraternelle, plus responsable. Avec le passé dans le rétroviseur, le futur en ligne de mire et le présent comme terrain d’action.

 

C.R

 

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Le site de 30 hectares regroupe un espace muséal, un restaurant et un « parc d’aventure » où diverses activités de découvertes de la préhistoire sont proposées, y compris une visite de la Grotte de Ramioul située dans l’enceinte du Préhistomuseum.

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