Emilie Wadelle est créatrice sonore, technicienne du son et formatrice en radio. Passionnée de sciences, d’art, de montagne et de médiation, elle réalise et produit des contenus sonores pour la scène culturelle grenobloise avec le souhait de travailler bientôt plus largement dans le monde francophone. Avec elle, nous discutons des potentialités du média sonore dans et hors les murs de nos institutions culturelles.
Emilie Wadelle en fieldrecording, Jardin de Ville de Grenoble, juin 2020 © Esther Kouadio
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Émilie, vous avez fait vos armes à Radio Campus Grenoble, avant de vous lancer, il y a un peu plus d’un an, dans un projet d’auto-entrepreneuriat baptisé Skadi & Co. Pourquoi ? Quels étaient alors vos objectifs ?
Skadi c’est un personnage de la mythologie scandinave, en lien avec la montagne, la neige, un milieu qui me parle et dont je suis originaire. En novembre 2018, c’est le pseudonyme que je choisis pour le site Internet sur lequel je diffuse mes créations sonores. Je ne voulais pas utiliser mon nom personnel pour qu’on ne puisse pas associer mes propres productions à celles de radio Campus Grenoble, où je travaillais comme coordinatrice et formatrice pour les nouveaux bénévoles. J’occupais alors un emploi tremplin et je commençais à réfléchir à l’opportunité de me lancer dans une aventure plus personnelle : devenir documentariste pour développer mes propres contenus, sur diverses thématiques : la montagne, les sciences, la société...
Mais dans le monde des producteurs indépendants de médias, il faut cumuler plusieurs activités dans les premières années. J’ai eu la chance d’être recrutée en 2019 pour intervenir dans le master Diffusion de la culture, puis par le service Culture et culture scientifique de l’Université Grenoble Alpes, pour former des adultes en radio, enfin par l’école de Courchevel, pour animer des ateliers pour enfants. À partir de septembre 2020, j’interviendrai dans le master Communication et Culture scientifique, dirigé par Mikaël Chambru, pour une initiation au podcast
La formation permet d’avoir un socle d’activité. Ensuite, j’espère avoir le temps de fabriquer beaucoup plus de contenus, toujours de manière indépendante, pour pouvoir travailler avec de multiples acteur·trices, de la radio associative à des chaînes nationales francophones. Mais cela ne veut pas dire pour autant que j’abandonnerai la formation parce que j’adore ça !
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Vous utilisez la radio et le podcast comme instruments de vulgarisation scientifique. En quoi le son vous parait-il un bon outil de médiation scientifique ?
C’est même le meilleur ! D’abord, c’est un média immersif, qui laisse une place incroyable à l’imagination. Parce que c’est un média très complet où on utilise autant la voix de son inteviewé·e, que la sienne, que l’ambiance, que des sons d’archives…
Ensuite c’est un média qui n’est pas cher à produire : il n’y a qu’à comparer le coup d’un bon micro avec celui d’une bonne caméra ! Et il permet une expression par tout un chacun : pour « faire du son » un enregistreur à 90€ ou une micro-formation à un matériel un peu plus complexe suffisent.
Et puis, le son a un aspect thérapeutique. Quand j’étais à la coordination de radio campus, nous avons organisé un atelier pour des personnes en situation de handicap. À partir du moment où nous les avons installées en studio et qu’elles ont pu parler au micro, quelque chose a changé dans leur perception d’elles-mêmes, un truc s’est passé !
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C’est aussi une forme d’empowerment le son alors ?
C’est complètement ça ! Et c’est aussi pour cela que je suis très attachée à mon activité de formatrice : transmettre, éduquer aux médias et surtout proposer à tout un chacun de produire des contenus citoyens et participatifs, c’est très important pour moi. La formation, ça permet aussi de rester humble, d’être au contact du public. On ne peut pas être journaliste, proposer des contenus pour tous, si on ne va pas à la rencontre des gens. Cela ne correspond pas à l’idée que je me fais de ma profession.
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Parmi vos réalisations, on peut citer Echos de Sciences, un podcast scientifique bimestrielle édité par la Casemate, le CCSTI de Grenoble. Comment cette collaboration est-elle née et comment ce projet s’est-il structuré ?
Tout a commencé par une rencontre avec Pascal Mouttet [chef de projet web et responsable du média lab de la Casemate, ndlr] et Marion Sabourdy [chargée des nouveaux médias à la Casemate et responsable éditoriale d’Echosciences Grenoble, ndlr] lors de la remise du prix Diderot 2018. J’en assurais l’animation et le projet, Echosciences, qu’illes portaient pour la Casemate [le centre de culture scientifique de Grenoble, ndlr] a été lauréat à cette occasion. Illes m’ont recontactée quelques mois plus tard car illes étaient intéressé·es par le podcast. Ensuite je leur ai proposé plusieurs formes jusqu’à arriver à la structuration actuelle de l’émission
Dans la première moitié de l’émission, il y a un entretien de 15 minutes avec un·e chercheur·euse grenoblois·e, autour d’une thématique particulière, souvent d’actualité. Quand je mène ces interviews, je pense toujours à ma grand-mère : je n’en ai rien à faire de passer pour une imbécile, je fais répéter les scientifiques jusqu’à ce que j’estime qu’elle pourrait comprendre leur discours ! Je les laisse utiliser tous les termes techniques qu’illes veulent mais cette technicité, il faut l’expliquer. Les gens ne sont pas stupides : transmettre des sujets complexes c’est une question de médiation, de communication et d’information. D’ailleurs, pour ces entretiens, on a un partenariat avec radio Campus France. Ainsi, des formats plus longs, entre vingt et quarante minutes sont proposés à France culture conférences. Pour moi, c’est important que les gens qui aient envie d’aller plus loin puissent le faire.
Ensuite, il y a toujours une chronique biographique sur une femme scientifique - et une autre autour d’une notion scientifique. Puis une création sonore parce que le son ce n’est pas que de l’information, c’est aussi des choses qui dérangent, qui grattent, qui rendent heureux, qui posent question, qui touchent à l’imaginaire. Et pour finir, une rubrique sur l’actualité scientifique, du territoire mais pas seulement : on promeut aussi des contenus numériques, accessibles de partout.
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Comment se déroule la réalisation ? Qui choisit les sujets abordés et les invité·es ?
La Casemate me délègue la réalisation et la production. En revanche, nous co-construisons la ligne éditoriale. La thématique générale est choisie par la Casemate, qui prend également contact avec les différents invité.e.s. Pour la création sonore comme pour la rubrique « femme scientifique », je suis très libre. Pour la rubrique « ça va arriver près de chez vous » la Casemate est force de propositions et je les suis.
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Vous avez également collaboré avec l’INRAP ou encore la cinémathèque de Grenoble.
Les acteur·trices du secteur culturel sont-ils aujourd’hui particulièrement demandeur·euses de production sonore ?
J’ai l’impression que tous les acteur·trices du secteur culturel ne sont pas sensibilisé·es au podcast et à l’utilisation du son : c’est un média très récent et on a peu de recul sur le retour sur investissement. Contrairement aux vidéastes, nous, créateur·trices sonores, on ne va pas venir nous chercher. Il faut que nous allions vers ces acteur·trices et que nous les convainquions. Pour la Casemate, c’est un peu différent, il y avait un antécédent : le centre de Toulouse, le Quai des Savoirs, avait déjà un podcast que connaissait la Casemate.
Mais bien souvent, les podcasts des institutions culturelles sont « faits maison » par des salarié·es de ces structures qui aiment le podcast, qui en voient l’intérêt, mais qui manquent de budget ou d’écoute de leur hiérarchie.
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Les acteur·trices du secteur culturel font-illes aussi appel à vos services de formation en podcast ?
Ce n’est pas encore arrivé mais c’est à moi de les démarcher. Souvent illes produisent de très beaux documentaires dont la qualité sonore est mauvaise. C’est là-dessus que je peux me positionner car à l’avenir, l’augmentation des écoutes se jouera sur ce critère. Il y a tellement de podcasts aujourd’hui ! L’offre va finir par se structurer autour de cet enjeu déterminant de la qualité sonore.
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Savez-vous si le public des institutions pour lesquelles vous travaillez est réceptif aux contenus que vous produisez ?
Je n’ai pas vraiment de retour mis à part ceux de l’équipe de la Casemate ou de la Cinémathèque. Là, on a assez vite compris que le format court, de moins de vingt minutes, était à privilégier. Le rythme est très important aussi : en radio on dit que quarante secondes c’est le temps maximal pendant lequel un auditeur peut rester connecté à une seule voix sans avoir envie de zapper. Malheureusement, les gens n’ont pas le temps… Donc il faut s’adapter. Pour « À l’Écoute », par exemple, je ne pouvais pas proposer un format de soixante minutes, alors j’ai passé trois émissions avec le même chercheur. Je découpe l’interview pour rester cohérente avec ce que je défends de la médiation. Je ne pourrais pas bâcler en annonçant : « bon alors on a vingt minutes pour parler de trois sujets. ».
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D’ailleurs ce podcast hebdomadaire que vous proposez depuis avril, À l'Écoute des paysages sonores, comme plusieurs de vos projets, mêle arts et sciences. Pourquoi ce parti pris ?
Ça vient sans doute de mon parcours universitaire. J’ai commencé par une fac de physique car j’avais une appétence particulière pour la science. Ensuite j’ai fait une licence d’histoire, qui a développé mon goût pour le patrimoine et enfin un master « Diffusion de la culture »
C’est peut-être aussi parce que je n’ai pas été formée de manière conventionnelle : j’ai appris sur le terrain, dans une radio associative avec des gens très créatifs. Grâce à cette expérience, je suis plus libre des formats : je fais de l’art sonore pour amener une information mais pas de la même manière que les journalistes traditionnel·es. Pour les radiophiles, la création sonore, c’est du documentaire, du reportage. Pour moi il y a aussi de l’art, de la poésie. Le rythme de la voix, la manière dont on amène les sujets sont tout aussi importants que la préparation des interviews ou que la maîtrise du sujet.
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Avez-vous déjà - ou serait-il envisageable pour vous - de proposer vos créations sonores à des musées ?
Oui, complètement, même si je n’y ai jamais vraiment pensé. C’est la limite d’être auto-entrepreneur et d’être seule ! Le temps qu’on passe aux propositions commerciales est très restreint. Et le temps qu’on passe à la vente – ou même à la proposition non-commerciale – de nos créations est très, très restreint lui aussi.
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Quel est votre plus grand rêve, sonore et culturel ?
Un des rêves que j’aimerais bien réaliser ces prochaines années, c’est de développer une carte sonore ludique et dans laquelle les gens peuvent se déplacer physiquement. Ce serait incroyable de voir les points qui se déplacent en même temps que la narration sur le territoire. Cette notion de géographie sonore, d’urbanisme sonore est très intéressante et va l’être de plus en plus. Pour l’instant, j’essaye de produire le meilleur son possible avec le matériel le plus basique : c’est une histoire de placement de micro au bon endroit. Et puis dans quelques années, je voudrais passer à du matériel plus perfectionné et commencer à me lancer vraiment dans cette vague incroyable qu’est le fieldrecording, ou l’enregistrement de paysages sonores.
Logo du podcast À l’Écoute © Emilie Wadelle
Propos recueillis par Camille Roudaut
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