Des barbares exposés pas si barbares !

 

Le mythe des invasions barbares à travers l’histoire et l’archéologie

 

L’exposition « Wisigoths, rois de Toulouse » présentée du 27 février au 27 décembre 2020 au Musée Saint Raymond de Toulouse est l’occasion de penser comment les peuples dits barbares sont présentés dans les musées et expositions temporaires depuis ces dernières années.

En histoire française, ce sujet est longtemps resté lié au mythe des invasions barbares. Étaient considérés comme barbares, les peuples ne parlant pas le latin, en opposition à Rome alors perçue comme le centre de la civilisation. Dans le champ historiographique, les invasions – c’est-à-dire des déferlements de populations guerrières et violentes sur les terres d’Europe de l’Ouest – auraient causé la chute de l’Empire romain. Pourtant, aujourd’hui, il faut se défaire de l’idée des « grandes invasions barbares » pour lui préférer celle des migrations de populations qui ont eu lieu entre le IIIè et le VIè siècle1. Cette deuxième approche revêt en effet l’intérêt de mettre en avant les causes de ces déplacements qui ne sont pas uniquement celles de la conquête guerrière. Au contraire, ces déplacements relèvent plus souvent d’une question de ressources, d’accès à la terre et de recherches de moyens de survivance ou de survie en fuyant une menace extérieure. La preuve en est l’entrée des Goths dans l’Empire romain, présentée ici dans l’exposition du Musée Saint Raymond.

 

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Carte des peuples « barbares » en Europe au Ve siècle © C.L.

 

L’archéologie et les progrès faits dans la recherche nous montrent aujourd’hui que ces peuples appelés barbares ne sont pas sans civilisation, loin de là. En France, il a fallu attendre le tournant des années 2000 et le développement de l’archéologie préventive pour que la recherche en histoire et en archéologie se tourne réellement vers ces cultures. Les nouvelles recherches nous montrent le degré de civilisation que ces peuples avaient atteint et la richesse des objets découverts témoignent de leur mode de vie. De plus, les migrations de ces peuples impliquent de nombreux phénomènes d’acculturation ou de brassages culturels, développant un peu plus leur savoir-faire. La présentation de leurs modes de vie, traditions et de leur culture dans les expositions actuelles met en avant leur système et permet de mieux comprendre une partie de l’histoire souvent passée sous silence, tout en déconstruisant les images collectives et préjugés encore présents dans l’imaginaire. Ce renouvellement de la connaissance a permis une bien meilleure connaissance qu’auparavant de ces cultures et civilisations, ainsi qu’une mise en lumière pour le public visiteur de musées.

 

Quand les musées s’emparent du sujet des barbares

 

Les expositions tentent alors de sortir du mythe du barbare brutal et sanguinaire afin de mettre en avant la richesse de sa culture et de sa civilisation. Depuis une quinzaine d’années, nous assistons à un renouvellement des expositions temporaires sur ce sujet en lien avec les évolutions historiographiques, historiques et les découvertes archéologiques. Elles permettent notamment de revenir sur cet imaginaire du barbare longtemps malmené. Comme le dit Laure Barthet – conservatrice du musée toulousain et commissaire de l’exposition –, « le public aujourd'hui, peut redécouvrir complètement ces cultures matérielles et ces peuples »2.

On note cependant qu’une majorité des expositions récentes sur le sujet est tournée vers des peuples considérés comme fondateurs pour la nation française, et donc très présents dans la construction du récit national et l’histoire enseignée. En effet, nous pouvons penser à l’exposition sur les Francs à Saint-Dizier en 2008, « Nos ancêtres les Barbares » ; à celles sur les Gaulois à la Cité des Sciences en 2011, « Gaulois, une expo renversante » et au musée d’Aquitaine l’année suivante, « Au temps des Gaulois, l’Aquitaine avant César » ; ou encore les Mérovingiens présentés au Musée de Normandie en 2018, « Vous avez dit barbares ? ».

Bien qu’elles offrent une réflexion sur ce que sont les barbares et ce en quoi le nom n’a de sens que par rapport à un schéma bien précis de civilisation qu’il faut revoir, elles restent des présentations de peuples largement connus dans l’histoire française, quand beaucoup d’autres sont quasiment inconnus du grand public. C’est en cela que l’exposition sur les Wisigoths à Toulouse apporte un regard nouveau sur la recherche en archéologie et la connaissance des peuples qui ont traversé l’Europe. L’objectif du Musée Saint Raymond est de combler cette absence dans les expositions, grâce à la présentation de résultats de fouilles encore inédits sur les Wisigoths installés dans le Sud de la France du Vè au VIIè siècle. Le site internet du musée précise d’ailleurs : « Parce qu’ils ne sont pas les Francs, héros du récit national, les Wisigoths ont été longtemps ignorés par l’archéologie dite "mérovingienne" (de Mérovée, ancêtre mythique de Clovis) ». Cela montre bien le décalage qu’il y a entre le roman national basé sur les Francs et les Mérovingiens, et l’oubli des autres peuples barbares pourtant nombreux sur le territoire français : Alains, Vandales, Burgondes, Wisigoths pour n’en citer que quelques-uns.

 

L’exposition « Wisigoths, Rois de Toulouse », une nouvelle approche du sujet

 

L’exposition du Musée Saint Raymond retrace donc l’histoire des Wisigoths, peuple qui a traversé l’Europe depuis l’est, passant par l’Empire romain d’Orient et d’Occident avant de s’installer à Toulouse sur le territoire français puis enfin à Tolède sur le territoire espagnol. A l’occasion du 1600ème anniversaire de leur installation à Toulouse, le musée d’archéologie de la ville retrace leur parcours à travers l’Europe et l’instauration d’un nouveau royaume dans la région toulousaine. Rappelons que le Royaume des Wisigoths a été le plus grand des royaumes barbares en Occident à la suite de la chute de l’Empire romain, et qu’il a, par conséquent, une richesse indéniable qui nous est montrée dans cette exposition.

Particulièrement intéressante, elle présente dans une première partie ce peuple goth, et ce, sous un angle peu connu : celui de sa très grande migration depuis l’Europe de l’Est. La scénographie de l’exposition propose un parcours à sens unique qui permet d’avancer dans la chronologie et de suivre les pérégrinations des Goths en Europe, avant la distinction en deux branches : Ostrogoths (Goths de l’Est) et Wisigoths (Goths de l’Ouest). En débutant par le bassin de la Vistule (actuelle Pologne) où ils sont installés, la visite se poursuit par leur arrivée au bord de la mer Noire puis enfin l’entrée dans l’Empire romain d’Orient. En parallèle des panneaux d’explication, de nombreux objets archéologiques sont présentés sous vitrine, provenant d’Europe de l’Est. Ils mettent ainsi en avant les cultures de Wielbark (dans le bassin de la Vistule) et de Tcherniakhov (sur les bords de la mer Noire) avec de nombreuses poteries et objets d’apparat. Une maquette reprenant la bataille d’Andrinople opposant les Romains aux Wisigoths fait la transition entre cette période de pérégrination en Europe et leur entrée dans l’Empire, accompagnée de la reproduction d’un équipement militaire mettant en lumière les échanges culturels entre les Wisigoths et les Romains. La visite continue en présentant les migrations des Wisigoths au sein de l’Empire romain d’Occident : en Italie du Nord, en Gaule et finalement dans la péninsule ibérique.

A mi-parcours de l’exposition, la scénographie offre aux visiteurs la possibilité de fouler une carte présentant les différents peuples barbares installés en Europe, avant de passer à la deuxième partie de l’exposition dédiée au Royaume de Toulouse.

 

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Fibules et objets d’apparat de type germanique oriental ©

 

Celle-ci, intitulée « Langue, culture et droit dans le Royaume de Toulouse », est davantage dédiée à la présentation des modes de vie des Wisigoths et à leur installation dans la région où ils fondent leur royaume. De nombreux objets découverts lors de fouilles archéologiques y sont présentés et mettent en avant la richesse de ce peuple. Ils proviennent majoritairement du Sud-Ouest, sur les traces de l’ancien royaume – notamment dans les centres de pouvoir – et sont les témoins de leur culture, mais aussi de leur adaptation à la vie romaine déjà implantée en Gaule. Le Bréviaire d’Alaric par exemple est un texte de lois qui témoigne de la richesse du système de droit wisigothique, le plus ancien barbare connu aujourd’hui. Il met en avant un trait caractéristique des Wisigoths : celui de leur adaptation au territoire et aux populations locales de ce même territoire. En effet, une fois installés à Toulouse, ils ont conservé l’administration déjà en place, donc romaine, mise à jour au fil du temps par leur système rendant possible ainsi une cohabitation des peuples dans leur Royaume.

Leur implantation dans Toulouse est signifiée par une maquette du quartier goth et de leur palais. Ces deux sites étaient implantés entre la ville antique et l’espace hors les murs de la ville. Elle permet de se rendre compte de l’appropriation de la ville et de l’espace urbain par les Wisigoths. Les visiteurs découvrent ensuite des objets d’apparat tels que des fibules et des boucles de ceinture aux figures d’aigle, symbole très présent dans les cultures germaniques. Ces objets sont qualifiés de type germanique oriental. Encore une fois, ils sont le signe des migrations de ce peuple et du brassage culturel qu’il a connu. Les Wisigoths ont gardé dans leur tradition ce motif de l’aigle germanique, que l’on retrouve encore sur des bijoux lors de fouilles archéologiques dans le Sud-Ouest de la France. La visite s’achève par la présentation des sépultures wisigothiques et notamment un outil de médiation numérique qui présente le plan d’un chantier de fouilles, et qui permet de découvrir les tombes en 3D et de voir ce que chacune contenait ainsi que les particularités des squelettes découverts.

L’exposition toulousaine sur les Wisigoths complète une nouvelle approche historiographique qui questionne les barbares et leur rapport à la civilisation en même temps qu’elle met en lumière une culture peu connue de l’histoire française. 

 

Clémence Lucotte

1 Dumézil, Bruno, « Les « invasions barbares » : sources, méthodes, idéologies », Dominique Garcia éd., Archéologie des migrations. La Découverte, 2017, pp. 243-254.

2 « Les Wisigoths, barbares comme les autres », France Culture, Émission Carbone 14, le magazine de l’archéologie présentée par Vincent Charpentier, avec Laure Barthet, 29/08/2020, 30’ : https://www.franceculture.fr/emissions/carbone-14-le-magazine-de-larcheologie/les-wisigoths-barbares-comme-les-autres

Lien de l’exposition : https://saintraymond.toulouse.fr/Wisigoths-Rois-de-Toulouse_a1193.html

 

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