Lieu de diffusion de la culture scientifique au même titre qu’un muséum, le jardin botanique ne répond cependant pas aux mêmes contraintes d’exposition – et d’ailleurs, s’agit-il d’un lieu d’exposition comme un autre ? Peut-on le considérer comme une structure muséale, et quelles sont les contraintes inhérentes à ce type d’établissement particulier ? Avant de tenter de répondre à ces questions, intéressons-nous à trois grands facteurs qui influencent l’organisation d’un jardin botanique :

  • La nature majoritairement vivante (et donc en constante évolution) de ses collections
  • Ses espaces généralement situés en extérieur, soumis aux intempéries ainsi qu’à une luminosité, une hygrométrie et des températures changeantes
  • La nécessité de ne pas dénaturer le paysage ni empiéter sur l’espace vital des espèces présentées

Gérer des contraintes environnementales spécifiques

Si les musées d’intérieur peuvent la plupart du temps concevoir leur scénographie et leur programme d’expositions sans se soucier de facteurs météorologiques, ces derniers impactent beaucoup le fonctionnement des jardins botaniques. Citons par exemple le jardin du Haut Chitelet, situé au cœur des Vosges : une importante épaisseur de neige le recouvre en hiver, et la route le reliant au reste du monde est alors coupée. Les lieux restent donc fermés une grande partie de l’année (d’octobre à juin), avec un taux de visiteurs très dépendant de la météo. D’autres structures telles que le Jardin des Plantes de Paris bénéficient de conditions plus stables mais doivent faire preuve de vigilance quant au critère de respect des paysages, les architectes ayant imposé des consignes strictes liées aux perspectives et à l’organisation spatiale des différents éléments. L’esthétique d’un jardin repose en effet sur son décor végétal, entretenu de façon à créer une harmonie de couleurs et de formes grâce à l’agencement précis des diverses espèces de plantes. Un trop grand nombre de supports écrits ou de dispositifs de médiation risquerait de gâcher le tableau en créant des obstacles visuels et en faisant de l’ombre aux végétaux. Contrairement à un musée d’intérieur, il est ici impossible d’utiliser des murs pour optimiser l’espace (sauf dans les bâtiments de type serres). Par ailleurs, n’oublions pas que l’aspect du jardin évolue en fonction des saisons et que cela doit être pris en compte par le muséographe : un dispositif proposant d’observer les fleurs d’une plante non pérenne pourra s’avérer pertinent pendant la période printemps/été, mais il perdra tout son intérêt en automne/hiver, quand les fleurs en question seront fanées.

Certains établissements présentent aussi une contrainte topographique. C’est le cas du jardin Jean-Marie Pelt à Villers-lès-Nancy, où le relief très vallonné rend le terrain inégal et complique l’accessibilité de certaines zones pour les publics ayant des difficultés de déplacement. Malgré tout, les jardins botaniques ne sont pas toujours dénués d’éléments scénographiques : au jardin Jean-Marie Pelt, des microarchitectures en bois viennent s’ajouter aux panneaux pédagogiques et se fondent harmonieusement dans le paysage. Un parcours thématique sur la faune sauvage exploite quant à lui le décor naturel pour illustrer le contenu textuel grâce à des « fenêtres d’observation ».

 

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FDispositif et élément scénographique exploitant le milieu naturel (jardin Jean-Marie Pelt) – © M.T.

 

Etant donné la difficulté d’installer des écrans dans la partie extérieure où ils risqueraient de se dégrader rapidement, les dispositifs numériques se présentent souvent sous forme de QR codes et autres applications pour smartphones, ou encore de locations de tablettes et audioguides. Seuls les espaces intérieurs offrent des conditions plus propices à l’installation de dispositifs fragiles – quoique cela ne se vérifie pas toujours : les serres tropicales, par exemple, ne sont pas forcément adaptées puisque parfois très humides. Les contraintes liées à l’environnement peuvent cependant être compensées par la mise en place d’activités de type ateliers, jeux de pistes, conférences, soirées à thème, etc. Une programmation culturelle dynamique et des expositions temporaires peuvent ainsi hisser le jardin botanique au même niveau de médiation que n’importe quel musée d’histoire naturelle.

Créer des passerelles entre différentes branches scientifiques

Le discours des différents jardins ne se réduit pas obligatoirement au monde végétal – il peut aussi inclure des sujets en lien avec la zoologie et l’écologie, car les plantes font tout autant partie de la biodiversité que les animaux et les micro-organismes avec lesquels elles interagissent étroitement. Ainsi, le Haut Chitelet présente tout au long de son parcours des sculptures en bois représentant des espèces animales de la région des Vosges, tandis que le jardin Jean-Marie Pelt propose des dispositifs d’observation de la faune. Ces éléments, loin d’être superficiels, permettent de faire comprendre au public les interactions fondamentales existant entre tous les organismes, et ainsi éviter de transmettre l’image erronée d’une flore séparée du reste du monde vivant. Cette stratégie nécessite néanmoins d’être mûrement réfléchie, car elle possède un double-tranchant : les animaux captent plus facilement l’attention des visiteurs, au risque de faire passer les végétaux au second plan. Les parcs zoologiques et aquariums n’incluent d’ailleurs généralement pas du tout (ou très peu) de notions botaniques dans leur discours, preuve de l’existence d’un fort déséquilibre en termes d’attractivité.

 

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Exemple de sculpture animalière au jardin du Haut Chitelet – © M.T.

 

Diffuser, conserver, étudier : les trois missions du jardin botanique

Parallèlement à leur mission de diffusion des connaissances, les jardins botaniques remplissent deux fonctions moins tournées vers le public mais tout aussi essentielles, et qui les rapprochent des musées : la conservation et la recherche scientifique. Cela inclut notamment l’inventaire de la flore régionale et mondiale, l’enrichissement d’un fonds patrimonial (ouvrages, herbiers), la formation spécialisée, ainsi que les échanges de graines au sein de l’IPEN (International Plant Exchange Network). Chaque année en moyenne, le jardin Jean-Marie Pelt reçoit ainsi 1 400 lots de semences et en expédie 2 000 à d’autres membres du réseau. Il propose également des publications et s’implique dans des enjeux de société liés à la botanique – comme le problème des pollens allergisants – tout en mettant à disposition la base de données des herbiers nancéiens. Le Haut Chitelet, quant à lui, abrite une « nursery » de plantes cultivées hors sol dans l’attente d’être intégrées aux collections. Ces spécimens ont pour les uns été collectés dans la nature et pour les autres légués par des collectionneurs privés ou institutions. Ils sont gardés à l’écart pendant leur période d’adaptation, dans une zone interdite d’accès au public et uniquement dédiée à la conservation.

Le rôle des jardins botaniques dans le paysage de la recherche pose par ailleurs une question propre aux structures présentant des spécimens vivants : celle des espèces invasives. Le Haut Chitelet s’est ainsi trouvé confronté à une difficulté lorsque l’une des plantes exotiques qu’il présente, le lysichiton américain (ou faux arum), a été déclarée interdite de détention en Europe en raison de la facilité avec laquelle elle colonise les écosystèmes, au point de menacer les espèces locales. Les équipes ont déposé une demande d’autorisation de détention, mais si le jardin ne répond pas aux conditions imposées par la nouvelle législature, il pourrait être amené à devoir se séparer de cette espèce.

 

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La nursery du Haut Chitelet et quelques plants de lysichitons américains – © M.T.

 

Les jardins botaniques remplissent donc les mêmes missions qu’un musée, développent des stratégies similaires pour capter et satisfaire un large public, et sont amenés à nourrir une importante réflexion d’ordre scénographique. Les contraintes auxquelles ils sont soumis du fait de leur implantation en extérieur les rapprochent par ailleurs des zoos, et en font des structures situées à mi-chemin entre le muséum et le parc de loisirs en plein air. Cette alliance du discours scientifique à l’art paysager et aux activités de promenade offre aux visiteurs une expérience intellectuelle et sensorielle complète – un musée idéal, en somme ?

 

M.T.

 

Des liens pour aller plus loin :

Le Jardin Jean-Marie Pelt

Le Jardin d’altitude du Haut Chitelet

Le Jardin des Plantes de Paris

L’IPEN (International Plant Exchange Network)