Une touriste chez les Helvètes

Camarades de voyage, adieu !

Vous l’avez peut-être deviné, c’est en Suisse que je vous emmène, pour un roadtrip* au Musée d’ethnographie de Neuchâtel ! Sa formule « Black Box » à durée limitée m’a immédiatement séduite et j’ai fait mes bagages. Si vous n’avez pas le mal du voyage, n’attendez surtout pas pour en profiter, l’offre s’arrête le 28 mars 2021 !

Mais avant le départ, voici les incontournables à avoir dans son sac à dos :

  • Le livre « L’idiot du voyage » de Jean-Didier Urbain
  • De bonnes chaussures pour arpenter les 8 étapes du voyage

 

Jour 1 : Ce goût du voyage

 

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📍 Round Pushpin Emoji on Apple iOS 6.0 Le temple de la morale – Exposition Le mal du voyage, Musée d’ethnographie de Neuchâtel © L.C.

 

« Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas. »

Me voilà enfin embarquée dans l’avion, l’occasion rêvée pour une petite réflexion sur le voyage. Avez-vous déjà écouté les conversations des gens dans les transports ? Ne dites pas le contraire. En baladant mes oreilles, j’ai remarqué que mes compagnons de vol semblent tous connaître la « bonne » manière de voyager. Entre le youtuber écoresponsable (paradoxal n’est-ce pas ?), la bénévole qui se donne bonne conscience en tweetant #helpafrica, et le couple de begpackers* qui part en tour du monde, tout y est. La perle reste cet étudiant Erasmus en anthropologie qui jure que non non, il ne va pas du tout au Brésil pour faire la fête ou visiter le pays, mais pour étudier la culture des autochtones et qui, vraiment, aurait préféré rester chez lui pour lire du Lévi-Strauss. Finalement est-ce qu’une bonne manière de voyager existe vraiment ? Pour ma part, j’assume mon statut de touriste. Après tout, je le fais aussi pour vous, mes fidèles followers !

Jour 2 : Plage aux mille visages

 

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 📍 Round Pushpin Emoji on Apple iOS 6.0 Welcome to everywhere – Exposition Le mal du voyage, Musée d’ethnographie de Neuchâtel © L.C

 

Des vacances sans journée plage sont comme un touriste sans appareil photo : un sacrilège. Munie de ma crème solaire (respectueuse des océans attention !), je repère un transat libre : la parfaite invitation à se poser. Objectif : bronzage au top ! J’ai passé la soirée d’hier à me préparer pour venir à la plage, je compte bien la rentabiliser. Heureusement mon summer body* était prêt à temps ! Mais ne croyez-pas que je viens ici juste pour me dorer la pilule, j’ai aussi tout prévu pour une séance de snorkeling* afin de découvrir la faune et la flore marine. Du moins c’est ce que je croyais… ! Je n’ai vu pratiquement aucun poisson, et seulement quelques coraux blancs, c’était vraiment décevant. Alors que je barbotais au milieu d’autres groupes de touristes, j’ai entendu quelqu’un dire qu’il y avait eu une attaque de requin le mois dernier. C’est vrai qu’avec tout ce monde, on oublie parfois que l’on est sur le territoire d’autres animaux. Finalement, je crois que je vais regagner mon transat, me laisser bercer par la musique et méditer sur le slowtravel*. Mais à la deuxième chanson, la radio grésille. Une voix explique qu’un bateau de migrants s’est échoué sur une plage d’un pays voisin… Il me semble que des nuages jettent une ombre menaçante sur la plage. Il est temps de rentrer.

Jour 3 : Boulimie culturelle

 

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📍 Round Pushpin Emoji on Apple iOS 6.0L’appétit du monde – Exposition Le mal du voyage, Musée d’ethnographie de Neuchâtel © L.C

 

À peine réveillée, la chanson « Voyage Voyage » me trotte encore dans la tête. Mais pas de temps à perdre, aujourd’hui est une journée placée sous le signe du patrimoine ! Armée de mon pass « 1 journée 4 monuments », je fends les foules de touristes massées devant les bâtiments patrimoniaux. L’attente est longue, mais le prix n’est vraiment pas cher, ça vaut la peine. Avant que je ne réalise, le soleil est déjà en train de se coucher. Je retourne donc dans mon Airbnb* situé en plein cœur de la vieille ville, super authentique... C’est si enrichissant, lorsqu’on part en voyage, de s’immerger dans la vie et le rythme des locaux. Franchement si c’est pour aller à l’hôtel, autant rester chez soi. Un apéro s’est improvisé avec mes voisins de palier, des Portugais, Américains et Polonais ; toutes ces rencontres sont une telle richesse multiculturelle ! Et quelle soirée… Nous avons fait la fête dans la rue jusqu’à 4h du matin, avant de nous faire réprimander par un monsieur qui a crié par sa fenêtre des mots incompréhensibles dans un patois local. C’est vrai que le bruit devait être gênant… Mais bon, c’est les vacances !

Jour 4 : Rallye photo

 

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📍 Round Pushpin Emoji on Apple iOS 6.0La jungle des images – Exposition Le mal du voyage, Musée d’ethnographie de Neuchâtel © L.C

 

Quel est le comble pour une baroudeuse qui s’apprête à faire une excursion en pleine jungle ? Oublier son appareil photo... Je suis dégoûtée en voyant tous les autres prendre des photos. Heureusement le téléphone portable me sauve et je capture tout ce que je peux, faisant fi de la mauvaise qualité. Le guide nous fait visiter un endroit connu seulement des autochtones : une oasis de verdure avec une cascade ! Mais avant que nous nous élancions, le guide nous dit de faire attention à ne pas tomber, il parait qu’un touriste s’est déjà gravement blessé en voulant prendre un selfie. C’est affligeant de penser que certains sont prêts à prendre autant de risques juste pour un selfie… Plus de 250 personnes sont déjà décédées comme ça ! Plus modeste, je me contente d’un post Instagram avec geotagging*, pour rendre mes amis jaloux.

Jour 5 : Permis de débauche

 

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📍 Round Pushpin Emoji on Apple iOS 6.0La grotte des interdits – Exposition Le mal du voyage, Musée d’ethnographie de Neuchâtel © L.C

 

Je suis bien trop fatiguée par l’excursion d’hier pour faire quoique ce soit aujourd’hui... Par chance, j’ai trouvé une émission sur le tourisme à la TV, l’excuse parfaite pour rester au lit ! Des touristes assis en cercle racontent leurs aventures de vacances plutôt douteuses. Ils avouent profiter de leurs escapades en pays lointain pour faire tout ce qu’ils ne peuvent pas faire chez eux au prétexte que « transgression, risque et déglingue forment la part initiatique du voyage ». Depuis les sports extrêmes jusqu’aux fêtes sauvages, ils profitent des lois beaucoup moins restrictives que dans leur pays d’origine. Le tourisme sexuel est un des services les plus demandés par les occidentaux aux fantasmes exotiques. Les locaux qui vivent du tourisme sont donc forcés d’offrir ces services. Et bien sûr, les hommes fortunés qui en profitent n’ont aucune contrainte ou responsabilité à assumer ensuite. D’ailleurs ils ne savent même pas qu’ils sont parfois pères…

Jour 6 :  En terre lointaine

 

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📍 Round Pushpin Emoji on Apple iOS 6.0 L’appel des confins – Exposition Le mal du voyage, Musée d’ethnographie de Neuchâtel © L.C

 

« Tentez l’ascension du plus haut pic de la région et allez là où nul n’est jamais allé ! » disait la brochure. Il est illusoire de penser que je serais la première à atteindre le pic, mais peu importe, je m’engage dans ce périple en toute conscience. En bas de la montagne, j’ai le choix entre prendre un funiculaire, monter avec les chiens de traineaux… ou à pied. Je ne me démonte pas, ce sera à pied, un point c’est tout ! J’aurai au moins le mérite d’avoir réussi seule. Néanmoins, je suis bien heureuse d’être avec d’autres randonneurs pour grimper. À la queue leu leu, un rythme s’installe et nous saluons ceux qui descendent, motivés par leurs mots d’encouragement. C’est presque comme être sur l’autoroute, on accélère, on double, on sort les casse-croûtes, on demande si c’est encore loin et on discute durant des heures avec nos compagnons de route. Je fais ma BA du jour en ramassant les déchets qui bordent les chemins. L’arrivée en haut est triomphante, mais je suis frigorifiée. Alors quel bonheur de trouver un restaurant dans lequel me réchauffer après ce périple ! Exténuée, je redescends en funiculaire et je regarde mélancoliquement les skieurs par la fenêtre. La montagne cache encore bien des secrets, mais je vous laisse le soin de les découvrir…

Jour 7 : C’est le souk

 

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📍 Round Pushpin Emoji on Apple iOS 6.0Le fabuleux laboratoire – Exposition Le mal du voyage, Musée d’ethnographie de Neuchâtel © L.C

 

Maman, papa, mamie, tonton et tata, les neveux et nièces, la catsitter, le petit copain… Ok je crois que je n’oublie personne. Mon séjour touche bientôt à sa fin, ainsi le marché de souvenirs est un passage obligé ! Chaque étal attire mon œil et je sens déjà que le choix va être difficile devant la quantité d’objets proposés. On y trouve autant des attrape-nigauds stéréotypés, limite estampillés Made in China, que des objets d’artisanat tels que je n’en ai jamais vu ailleurs et qui illustrent parfaitement la dynamique de mondialisation. Par le tourisme, une nouvelle créativité émerge, inspirée par les attentes des voyageurs et qui se trouve au carrefour d’une multitude de cultures. Ces objets transculturels ne nous parlent pas des traditions du pays, mais de la manière dont les locaux pensent que l’on perçoit leurs traditions. C’est un dialogue, incarné dans un objet destiné aux touristes. Pour moi, ce dialogue prendra la forme d’une statuette « traditionnelle » faite main par un artisan. Celle-là rejoindra directement ma vitrine !

Jour 8 : Vous reprendrez bien un peu de mon voyage ?

 

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📍 Round Pushpin Emoji on Apple iOS 6.0Le blues du retour – Exposition Le mal du voyage, Musée d’ethnographie de Neuchâtel © L.C

 

Bagages pliés et prêts au retour, le mental un peu moins… Je profite du voyage en bus, direction l’aéroport, pour visionner mes 849 photos de voyage. Je vais préparer un diaporama, au cas où quelqu’un demande ! Je sais ce que vous allez dire : avalanche d’images superflues, déjà capturées par les milliers de touristes me précédant. Aujourd’hui presque tout le monde voyage et chaque voyageur suit les pas de ceux qui le précèdent. Mais pour ce voyageur, c’est une expérience unique et la tentation de la revivre avec ses proches, à travers des photos et récits est irrépressible. Or, l’expérience du voyage se vit et ne se raconte que difficilement. Alors vous qui me lisez encore, j’espère vous avoir transmis un peu de la magie de ce voyage et assez intrigués pour que vous ayez vous-mêmes envie de l’entreprendre !

Si ce voyage m’a appris quelque chose, ce sont les multiples facettes du statut de touriste et leur nature paradoxale. La découverte d’autres cultures et la confrontation avec d’autres modes de pensées sont essentielles pour sortir des préjugés et apprendre la tolérance et le respect. Le tourisme pose néanmoins des problématiques environnementales, économiques et sociales. Il n’existe sans doute pas de solution parfaite, mais il est important de repenser nos manières de voyager. D’abord en prenant conscience du caractère exceptionnel d’un voyage, mais aussi en étendant sa conception à plus qu’un hôtel demi-pension au bord d’une eau turquoise. Et si un voyage était aussi une nuit sous la tente dans le jardin, une découverte des villages de notre région ou… une visite au musée ?

 

Lexique des dessous du voyage :

Roadtrip : expérience indispensable sur un CV.
Begpackers :  touristes occidentaux sans gêne, mendiant le luxe de voyager.
Summer body : référence corporelle irréaliste valorisée par les magazines féminins.
Slowtravel : dans la lignée de la tendance « slow ». Voyager lentement pour mieux s’imprégner du pays.
Airbnb : illusion d’authenticité sur fond de colonisation des villes et de disparition de la vie de quartier.
Geotagging : l’équivalent humain d’une lumière pour un papillon de nuit. Fléau pour les espaces naturels soudainement envahis de touristes.

 

Laurie Crozet

 

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