Vous cherchez une idée originale pour une sortie ? Vous êtes intéressés par le patrimoine culturel et industriel ? Vous êtes gourmands et aventureux, sans être frileux ? Alors voici de quoi vous rassasier : une « mine gourmande » au cœur des Ardennes belges. Le principe est simple : combiner la visite d’une mine d’ardoise et une découverte gustative à 25 mètres de profondeur et par 10°C !
Une mine d’ardoise au cœur des Ardennes belges
L’ardoise est une roche sédimentaire et métamorphique, de la famille des schistes, qui est exploitée dans les Ardennes depuis le XIIe siècle, afin notamment de fournir un matériau de couverture. L’ardoisière de la Morépire – la « pierre sombre » en wallon – se situe non loin de la petite ville de Bertrix, dans la vallée de l’Aise. Son exploitation s’industrialise dès 1889, sous la direction de la famille Pierlot, fournissant du travail à de nombreux mineurs, appelés les « scailtons ». Cependant, les seuls éléments de mécanisation mis en place sont les pompes à eau, la mine étant creusée sur le passage d’une rivière souterraine. Elle est l’une des dernières de la région à fermer, en 1977, ce qui provoqua de grosses difficultés économiques.
L’exploitation de la pierre se faisait sur trois niveaux, respectivement à 25, 45 et 60 mètres sous terre. La méthode utilisée est dite « de bas en haut », ou « rehaussement ». C’est-à-dire qu’on l’extrayait par le plafond des chambres. Le principe est simple : on laisse dans la chambre la totalité des déchets de taille pour créer une sorte de tapis amortisseur, puis on fait tomber le plafond à l’aide d’explosifs. Les énormes blocs qui se détachent alors ne se brisent pas en tombant grâce au matelas pierreux. Il fallait ensuite le tailler en blocs plus petits pour être ensuite remontés à la surface. Cet exercice se faisait à dos d’homme ! Simplement muni d’un sac en toile de jute rempli de paille d’orge posé sur le dos, le porteur, courbé en avant pour que la pierre ne glisse pas, tenant sa lanterne dans une main, l’autre servant à s’assurer sur les échelles en bois, peut porter ainsi des blocs allant de 40 à 120 kg ! Ces derniers ne sont alors pas attachés sur son dos, afin d’éviter qu’ils ne l’entrainent dans sa chute, ils tiennent uniquement grâce à la surface rugueuse du jute. Recrutés parmi les mineurs les plus robustes, les porteurs avaient le travail le plus pénible, et le plus risqué.
Une fois les blocs remontés à la surface, les fendeurs prenaient la relève. Travaillant à l’extérieur de la mine – un privilège ! – ils étaient chargés de découper les énormes blocs remontés des profondeurs en fines ardoises de 3 à 5 millimètres d’épaisseur prêtes à être posées. Payés au nombre d’ardoises découpées, ils travaillaient jusqu’à 10h par jour, pour sortir quotidiennement plus d’un millier d’ardoises. Celles-ci étaient ensuite chargé directement dans des camions pour être livrés.
Vestiges d'outils dans une galerie ©Chatenet A.
Du paternalisme au renouveau économique
Le système mis en place par les exploitants de la mine correspond complètement au schéma du début de l’industrialisation. Afin d’attirer les travailleurs, la paie est meilleure que celle des journaliers dans les champs et le travail ne dépend pas des saisons, provoquant un petit exode rural. Les salaires sont versés toutes les semaines – sauf pour les porteurs et les fendeurs – en fonction de la production des équipes, encourageant un travail acharné. En contrepartie, toutes les infrastructures appartiennent au patron, notamment le magasin général et surtout le bar, qui récupère ainsi une bonne partie de l’argent investi. Le patron contrôlait alors tous les domaines de la vie du mineur, de l’offre du travail à l’approvisionnement en biens de première nécessité, en passant par le divertissement.
La région de la Wallonie a particulièrement souffert de la fermeture des mines, et de manière plus générale, du déclin industriel de toute l’Europe de l’Ouest. De même qu’en Allemagne de l’Est, en Lorraine ou dans les Hauts-de-France, la disparition des grands employeurs et l’arrêt des usines a provoqué une crise économique et un chômage de masse dont les effets sont toujours visibles de nos jours. De nombreux savoir-faire ont alors disparu en même temps que les métiers, qui sont aujourd’hui remis en valeur comme partie intégrante de notre patrimoine historique.
Pour relever la tête, la Wallonie cherche alors à développer le tourisme, pour profiter de ses retombées économiques, en mettant en valeur à la fois son patrimoine naturel comme la Grotte de Han, et son patrimoine historique tel que le château de Bouillon ou l’abbaye d’Orval. Dans ce contexte de renouveau, d’anciens mineurs réhabilitent l’ardoisière en 1997 en créant « Au cœur de l’ardoise ». Ce ne fut pas une mince affaire ! Il a d’abord fallu pomper une grande partie de l’eau qui avait envahi la totalité de la mine (six mois de pompage furent nécessaires), puis nettoyer les montagnes de déchets envahissant l’espace. Aujourd’hui, seul l’étage le plus haut – à 25 mètres de profondeur – est accessible au public, l’étage intermédiaire servant de zone de sécurité par rapport au niveau de l’eau. La visite est libre, avec l’installation de plusieurs bornes interactives et multilingues (français, néerlandais et wallon), ou guidée. L’option qui vous est proposée ici est plus originale : la visite « mine gourmande ».
La Grotte de Han ©Chatenet A.
Un pari risqué
Vous voici donc prêts pour cette visite hors du commun. Votre chance ? Les trois guides qui se relaient sont d’anciens mineurs du cru, qui aiment partager leur histoire et leurs expériences ! L’un d’eux fut notamment embauché à 15 ans, d’abord comme fendeur, en surface, puis au fond de la mine en tant que porteur. Lorsque la mine ferme, il travaille dans les villages alentours avant de décider de rouvrir le site avec ses deux compagnons pour faire connaître leur histoire aux générations suivantes. De dates en anecdotes, il va vous emmener dans les entrailles de la mine, au cœur de l’obscurité.
La visite commence par une grande descente, durant laquelle on croise un mineur – oublié lors de la fermeture ? – poussant son wagonnet plein d’ardoises. Vous en croiserez d’autres au cours de votre parcours, équipés de divers outils ou accrochés à une échelle, un bloc sur le dos... Au détour d’une galerie, vous voici dans la plus grande des salles, sur deux étages. Vous surplombez le dernier morceau de plafond arraché à coup d’explosifs, de la taille d’un petit camion… C’est la première pause, pour boire l’apéro ! Une dégustation d’un apéritif chaud local, alcoolisé ou non selon les préférences, vous est servi. Une chaleur plutôt bienvenue ! La température dans la mine reste stable tout au long de l’année, aux alentours de 10°C avec un taux d’humidité très élevé ! Après un petit topo sur la géologie des lieux et la structure des galeries, vous voilà repartis.
Vous traversez alors différentes galeries, dont les parois sont consolidées de murs de blocs de schiste, montés par les mineurs, une manière pratique de « ranger » les déchets. L’étape suivante se fait dans une grande salle d’extraction de blocs d’ardoises. Des tables et un brasero vous attendent pour déguster l’entrée. Le menu est composé selon les traditions des mineurs et la saison. Vous commencez donc par une bonne soupe servie dans une miche de pain, pratique tout se mange ! L’occasion est également idéale pour poser toutes vos questions à votre guide, qui se fera un plaisir de vous raconter ses histoires. Comme celle sur un défi lancé entre porteurs, à celui qui soulèvera le plus lourd bloc… Gardez alors une place dans l’estomac, il faut repartir, le plat du jour est chaud !
La salle à manger ©Chatenet A.
Tout en découvrant les techniques d’extraction et les conditions de travail des mineurs – dans un univers sombre, humide et très poussiéreux –, vous arrivez alors dans une salle légèrement plus chaude (jusqu’à 14°C, un luxe !), pour la suite du repas. Sous un barnum bienvenu – gare aux gouttes qui tombent de partout, le taux d’humidité est de 100% – vous vous attablez enfin devant ce qui était le plat du dimanche chez les mineurs : les « canadas aux rousses ». Il s’agit de pommes de terre marinées accompagnées de trois viandes fumées et d’oignon. Vous étiez prévenu, il fallait garder une petite place ! Vous voici arrivés au terme de la visite, il ne vous reste plus qu’à remonter à la surface, et pour les plus courageux prendre un dessert à la terrasse du restaurant. Ou simplement un petit café, voir un « pousse-café » agrémenté au genièvre, comme vous préférez.
C’est un pari risqué que d’allier une expérience gourmande et agréable à un lieu pour le moins inhospitalier et chargé d’histoires parfois douloureuses. Mais c’est un pari gagné pour Au cœur de l’Ardoise. L’alchimie fonctionne grâce à ces guides, anciens mineurs, qui sont désireux de partager leurs souvenirs, et, sans oublier les difficultés et les souffrances, préfèrent transmettre la fraternité et la solidarité qui unissaient ces travailleurs. La question qu’on peut se poser est, que se passera-t-il lorsqu’ils ne seront plus là ? De jeunes médiateurs prendront-ils leur place ? La question n’est pas simple… D’autres lieux ont malheureusement perdu ces atouts, comme la Cité des Electriciens à Bruay-la-Buissière, on passe alors d’un lieu de mémoire à un lieu d’histoire, de témoignages poignants à des faits plus froids – même si parfois plus justes d’un point de vue historique. Il faut donc vous dépêcher d’aller rencontrer ces scailtons tant qu’ils sont encore là ! Bonne visite !
Chim Chollin
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Pour réserver votre visite gourmande : http://www.aucoeurdelardoise.be/fr