L'attrait du vivant
Le vivant est indéniablement un atout pour les musées et les centres de science qui en exposent. L’exposition temporaire Venenum, un monde empoisonné (Musée des Confluences) présentait par exemple entre autres 64 spécimens de 12 espèces venimeuses et vénéneuses pour appuyer son propos. Il s’agissait d’une première pour le musée, qui n’avait encore jamais exposé de spécimens vivants, car les spécimens naturalisés que possède le musée sont en trop mauvais état. Mais il s’agissait de démythifier des animaux fantasmés, et l’équipe connaissait aussi et surtout la force d’attraction du vivant. Il n’y a qu’à regarder les chiffres : à sa clôture, l’exposition Venenum, un monde empoisonné était l’exposition la plus visitée du musée, avec 600 000 entrées enregistrées. Le succès est aussi bien quantitatif que qualitatif. Une enquête a été menée en interne par le service de l’évaluation et des études du musée en mêlant entretiens avec les visiteurs et observations dans l’exposition. Les résultats démontrent que le vivant est effectivement un produit d’appel, mais qu’il ne fait pas écran à l’acquisition de connaissances. Les agents de surveillance, quant à eux, ont été valorisés : formés pour gérer les pensionnaires vivants de l’exposition, ils se sont retrouvés plus d’une fois en situation de médiateurs.
Des grenouilles qui fascinent : voilà tout l’intérêt du vivant dans l’exposition Venenum, un monde empoisonné. ©AFP – La Croix
Comme les reptiles, des insectes aussi communs que les fourmis peuvent déplacer les foules : à la fin des années 1980, Luc Gomel – ingénieur agronome de formation et actuel directeur du parc zoologique de Lunaret - a monté une exposition sur les fourmis, où six fourmilières était présentées. L’exposition, qui ne devait tourner que quelques mois dans la région toulonnaise, a finalement itinéré une quinzaine d’années dans une vingtaine d’endroits en France, en Suisse et en Belgique. Le Palais de la Découverte a également loué l’exposition, qui a été la plus fréquentée du site, après Autour des dinosaures, datant de 2015.
Cet attrait pour l’animal vivant ne se dément pas, et devient même un argument pour augmenter la fréquentation de certains espaces. Le Muséum-Aquarium de Nancy propose ainsi un espace doté d’aquariums contenant des espèces exotiques et locales, ainsi qu’une galerie de zoologie plus classique à l’étage. Dans les années 1970 le musée, ne contenant auparavant que des expôts classiques de muséum, décide de faire un grand tri et transformer la moitié de ses espaces en aquariums, réduisant d’autant son espace de présentation pour les spécimens naturalisés. Ce succès ne se dément pas. Il n’y a qu’à se balader dans le musée pour se rendre compte de l’attrait : les espaces dotés d’aquariums sont pleins en période de vacances scolaires, tandis que la galerie de zoologie connait une fréquentation plus classique. Dans la programmation annuelle, les aquariums sont tout autant mis en avant que les spécimens naturalisés. La page Facebook du musée relaie quant à elle aujourd’hui encore des articles relatant les poissons les plus connus du muséum.
Sur les réseaux sociaux comme dans le musée, les poissons sont à l’honneur. ©C.dC - MAN
Même la presse locale se passionne pour eux. ©C.dC – L’Est républicain
Exposer des animaux vivants dans un musée se fait depuis des décennies et le succès ne se dément pas. Pour des raisons évidentes, les animaux présentés se résument souvent à des spécimens de taille modeste (comme les insectes et les arthropodes) et qui sont relativement faciles à entretenir (il est plus facile de s’occuper de poissons et de reptiles que de grands mammifères). Pourtant, l’arachnophobie et la peur des serpents sont la plupart du temps classées comme les peurs les plus communes dans le monde occidental. Cette relation d’attraction-répulsion joue aussi dans l’attrait que peuvent provoquer ces espaces. Les musées et les centres de sciences peuvent alors travailler sur ces a priori pour changer l’image de ces animaux. De nombreux centres proposent ainsi des médiations où les animaux sont sortis de leurs espaces pour être présentés au plus près du public. Le musée d’histoire naturelle de Lille sort régulièrement les phasmes de leurs vitrines pour les présenter aux plus jeunes et à leurs parents. Sous la surveillance du médiateur, le visiteur peut, s’il le souhaite, porter l’insecte sur sa main, tandis que le médiateur lui en apprend plus sur l’animal. Ces présentations sont très régulièrement couronnées de succès et font du moment un souvenir important pour le visiteur. De la même manière, le musée d’histoire naturelle et vivarium de Tournai a proposé en 2019 un stage alliant danse contemporaine et découverte des insectes. Au musée, les enfants ont pu ainsi toucher et porter des insectes. L’opération a été un franc succès : le côté tactile de la médiation est un véritable atout, mais cela apparente également le musée au parc zoologique*, qui s’en rapproche déjà avec les différentes autorisations que le musée doit posséder pour gérer les animaux.
La vitrine des fourmis champignonnistes du musée d’histoire naturelle de Lille, qui fait souvent de l’ombre à ses congénères naturalisés ©C.dC
Plus encore, les centres spécialisés font de ces a priori le véritable fer de lance de leur discours. « Développer des attitudes positives à l’égard des insectes » fait partie des missions principales de l’Insectarium de Montréal, qui explique sur sa page Internet :
« À l’instar des autres institutions d’Espace pour la vie, l’Insectarium souhaite accompagner l’humain pour mieux vivre la nature, tout particulièrement pour reconsidérer sa relation aux insectes.
En plus de présenter l’extraordinaire diversité de formes et de comportements des insectes, le musée met en lumière leurs rôles essentiels dans l’équilibre écologique de la planète et, par extension, leur importance pour le devenir des humains.
[…] Pour changer durablement le regard des humains envers les insectes, l’Insectarium mise sur des approches intimistes, expérientielles et riches en émotions. »
Cette démarche s’inscrit dans une mission plus large que se donnent les muséums et les centres de sciences. Le fait d’exposer des animaux vivants est l’opportunité aujourd’hui de porter un discours sur la biodiversité et de sensibiliser le public à ces questions. L’animal vivant est une porte d’entrée pour aborder ces problématiques, qui deviennent concrètes à l’aune de ces présentations. Elles sont alors un tremplin vers des actions de plus grande ampleur. En ce sens, l’insectarium de Montréal produit de nombreuses missions avec ses publics pour la sauvegarde de l’environnement. Il propose au public des missions de sciences participatives, comme Les sentinelles de Nunavik, ou encore La nature près de chez vous. Un onglet complet est dédié à ces missions sur le site internet de l’Insectarium. Dans la même veine, le Vivarium du Moulin (Lauthenbach) travaille avec le public sur la réhabilitation des insectes locaux. Créé en 1991 sur le modèle de l’Insectarium de Montréal, le Vivarium du moulin se donne pour mission d’être le médiateur entre les scientifiques et le public. :
« Les insectes ont souvent mauvaise réputation. Pourtant ils jouent un rôle indispensable dans l’équilibre écologique. Afin de leur redonner la place qu’ils méritent, un jardin aux insectes spécialement aménagé à leur intention a été conçu au pied de la roue à aubes. Dès le printemps, empruntez le sentier de découvertes jalonné de refuges à insectes : mare, tas de vieux bois, haie champêtre, talus ensoleillé, compost, prairire fleurie, etc. Autant de micro-habitats facilement reproductibles dans votre jardin et qui offrent le gîte et le couvert à un cortège d’insectes dont la richesse vous étonnera ! »
L’Insectarium de Montréal présente à la fois des spécimens naturalisés et vivants. ©Claude Lafond
Exposer le vivant est sans aucun doute un atout pour les musées et les centres de sciences, qui accroissent ainsi leur fréquentation. Mais les animaux peuvent également être le support de discours de sensibilisation comme un première étape pour soulever les a priori négatifs qui les entourent. Néanmoins, conserver du vivant dans un espace aussi contrôlé qu’un musée n’est pas chose aisée.
Un atout contraignant : l’exemple de Venenum, un monde empoisonné
Bien qu’étant un produit d’appel phare pour les musées qui possèdent du vivant, les législations qui entourent son exposition sont complexes et importantes. L’exposition Venenum, un monde empoisonné au musée des Confluences en est un bon exemple. L’exposition présentant des espèces venimeuses et vénéneuses, le musée a été soumis à une réglementation très lourde administrativement. Celui-ci a dû produire un dossier d’Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (ICPE) de 130 pages pour la Direction Générale de la Protection et des Populations (DDPP). Pour toute la durée de l’exposition, le musée a été soumis à la même règlementation que les parcs zoologiques et les aquariums. Cela présente de nombreuses contraintes : nettoyage des eaux usées, pas de nuisances sonores et olfactives, gestion des déchets à la suite du décès d’un animal… La liste est longue. Le musée s’est entouré de deux capacitaires, qui l’ont aidé à préparer le dossier et à gérer les animaux durant la totalité de l’exposition. La venue d’animaux vivants a également demandé la formation du personnel d’accueil et de surveillance, et la mise en place de protocoles pour envisager tous les incidents. Enfin, le musée a dû se doter de protocoles de sécurité stricts, comme du double vitrage pour les terrariums et l’équipement des salles de travail avec les animaux de digicodes et de serrures à clé. Un message d’avertissement au début de l’exposition ainsi que des stickers sur les vitrines ont enfin été mis en place à destination du public pour les prévenir et leur expliquer la position à adopter face aux animaux. Pendant l’exposition, le musée a également été contrôlé deux fois par la DDPP pour vérifier dans quelles conditions étaient exposés les animaux.
Malgré tous ces efforts, l’exposition reste une source de tension. Le personnel est toujours sur le qui-vive, et le musée a connu une fausse alerte : un serpent s’étant échappé de son terrarium. Le personnel a alors enclenché une procédure lourde, faisant évacuer l’exposition et avec l’intervention d’un des capacitaires pour retrouver l’animal.
L’exemple de l’exposition du musée des Confluences présente les principales difficultés face auxquelles les musées peuvent se retrouver confrontés s’ils décident d’exposer du vivant. Mais plus encore, cela demande une véritable logistique. Qui nourrit les animaux ? Comment expliquer l’achat de grillons sur les lignes de comptes d’un musée ? Quelle formation et quels recrutements à long terme pour assurer le bien-être des animaux ? Quel statut pour ces animaux ?
Exposer le vivant reste donc une situation contraignante pour les musées, qui doivent bien réfléchir avant de se lancer dans ce type de projet. Dans le cas des musées de sciences, les animaux exposés sont le plus souvent passifs, et présentés à des fins contemplatives. Mais les muséums et autres centres de sciences ne sont pas les seuls à présenter le vivant. L’art contemporain se sert régulièrement d’animaux, ce qui pose d’autres contraintes.
Le cas du vivant dans l'art contemporain
L’exposition d’animaux dans le cas d’œuvres d’art contemporaines posent tout d’abord les mêmes contraintes que dans les musées de sciences. Le musée doit assurer le bien-être de l’animal en suivant les mêmes protocoles stricts. Le musée d’art de Nantes a présenté quatre œuvres utilisant des animaux ces vingt dernières années. Parmi elles, l’œuvre de Laurent Tixador, Potager, en 2018 sur le parvis du musée. L’œuvre utilise le modèle de l’aquaponie pour questionner les nouveaux modes de production. Il fallait donc acheter des poissons pour activer l’œuvre. Exposée six mois, l’œuvre a présenté quelques difficultés, notamment pour le nourrissage des poissons et l’ajout d’eau. De même, le parvis étant en plein soleil, il a fallu refroidir l’espace pour le bien-être des poissons. A la fin du projet, les équipes, d’accueil, au départ réticentes, ont jugé la présentation trop longue au vu de l’entretien que demande l’œuvre. De même, à la fin de la présentation de ce type d’œuvre, que faire des animaux ? Dans le cas de Potager, le musée avait préparé une convention avec les services de la ville pour que les poissons rouges soient disposés dans la mare d’un parc municipale à la fin de l’exposition.
Potager de Laurent Tixador, sur le parvis du musée d’arts de Nantes. ©Laurent Tixador
©Musée d’arts de Nantes / C. Clos et M. Roynard
La question du bien-être animal enfin, est souvent reproché à l’art contemporain. Dans le cas du musée d’art de Nantes, la conservatrice a reçu plusieurs lettres attestant du mécontentement de visiteurs face à Potager, mais aussi à l’œuvre d’Aki Inomata Why Not Hand Over a « Shelter » to Hermit Crabs ?, qui présentait des bernard-l’hermites possédant des coquillages reproduisant des villes, créés grâce à une imprimante 3D. Les lettres fustigeaient les œuvres, en reprochant au musée l’utilisation d’animaux, mais aussi de plastique dans le cas de l’œuvre d’Aki Inomata. Ici, la conservatrice a tout de suite répondu à ces lettres pour expliquer le parti pris du musée d’accepter ce genre d’œuvre d’art. Mais il arrive que les protestations soient telles que le musée retire les œuvres en question. C’est ce qui s’est passé au Guggenheim Museum de New-York. Dans le cadre de son exposition Art and China after 1989: Theater of the World présentée en 2017, le musée a fait face à des menaces de violences qui l’ont contrainte à retirer Theater of the world (Un théâtre miniature où serpents, reptiles et insectes devaient cohabiter, laissant clairement entrevoir le destin funeste de certains animaux présents), Dogs that Cannot Touch Each Other (une vidéo où des pitbulls sont attachés à un tapis roulant et ne peuvent pas se jeter l’un sur l’autre pour se battre) et A Case Study of Transference (une vidéo où des porcs s’accouplent devant les spectateurs). Ces trois œuvres remettant en cause le bien-être animal dans leur forme, ont essuyé de vives critiques.
Why Not Hand Over a Shelter to Hermit Crabs ? , Aki Inomata. ©Musée d’arts de Nantes / C.Clos
La réflexion autour du bien-être animal est une question qui n’est pas prête de disparaître. En 2002, le MAM souhaitait acheter l’œuvre de Marcel Broodthaers Ne dites pas que je ne l’ai pas dit, mettant en scène un perroquet en cage et un magnétophone répétant constamment la même phrase, de sorte que le perroquet finisse par l’apprendre et la répéter inlassablement. Bien que le musée ait reçu l’autorisation de la part des élus et de la ville pour l’achat, la vente ne s’est finalement pas faite, car le musée fit face à trop de véhémence de la part d’élus de l’opposition et d’associations en faveur des animaux.
Le vivant est donc un véritable atout pour un musée, même s’il présente des contraintes certaines pour l’espace dans lequel il est exposé. Le public est généralement ravi de cet apport dans un musée, mais le bien-être animal est un facteur à ne pas oublier. Ainsi, si les animaux présentés dans les centres de sciences ne font généralement pas d’émules, des présentations trop poussives dans le cadre de l’art contemporain peuvent facilement déclencher de vives réactions.
Clémence de CARVALHO
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*Pour approfondir le rapprochement entre parc zoologique et parc d’attraction, un autre article du blog est disponible :
http://www.formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/2092-les-zoos-vont-ils-se-transformer-en-parcs-d-attractions
Pour en savoir plus :
- Journée d’étude de l’association des élèves-conservateurs de l’INP : Plus vif que mort ! L’animal en patrimoine, le 16/04/2019
http://mediatheque-numerique.inp.fr/Colloques/Plus-vif-que-mort-!-L-animal-en-patrimoine