Trois histoires de visite
L'esprit du lieu, un ingrédient décisif
Edouard Manet, Un bar aux folies bergères , 1881-1882, Courtauld Galler
Soudain, une personne en bouscule une autre, et il devient plus difficile de s’approcher de Suzon, derrière son bar aux folies bergères. La relation tissée auparavant est semblerait-il parasitée, les salles de la Fondation Louis Vuitton attirant une foule plus conséquente. Plus de grincement du bois au sol, les salles historiques sont devenues plus lisses. Les œuvres sont pourtant bien là, à l’occasion de l’exposition Le parti de l'impressionnisme (2019), mais la magie qui pouvait s’opérer dans leur résidence britannique semble s’être évaporée dans l’atmosphère parisienne.
La contrainte, ennemie de l'exposition
Intérieur du château de Versailles, avec le parcours contraint © Jade Garcin
Emporté.e.s par la foule
Largement attendue de par son ouverture repoussée au 1er juillet 2020 et sa présence en ligne dès la fin du printemps promettant une expérience monumentale, l’exposition Pompéi au Grand Palais se devait être une immersion dans la ville romaine, avant et pendant l’éruption du Vésuve. L’on rêve alors de déambuler dans les rues animées de Pompéi, découvrir ce qu’il se cache dans chacune des habitations et chacun des commerces ouverts de chaque côté de l’allée centrale, où s’y trouvent des objets de collections. La réalité est néanmoins bien éloignée de ces promesses. Après avoir patienté un long moment à l’extérieur du musée, il faut encore se montrer patient.e dans la salle d’exposition. Les espaces latéraux sont eux aussi soumis à une file d’attente, telles des attractions dans un parc, si bien que même avec la meilleure volonté, l’on ne les visite pas. Ici, et contrairement à l’exemple cité précédemment, c’est bel et bien l’affluence qui brise l’illusion qui était pourtant souhaitée par les concepteurs de l’exposition, nous laissant alors sur notre faim, tant du côté de l’expérience que des connaissances que nous n’avons pas pu ne serait-ce qu’approcher.
Une file d’attente pour accéder à un espace de l’exposition, bloquant la circulation © Jade Garcin
Trois visites en valent mieux qu'une ?
L’expérience que l’on vit lorsque l’on pénètre dans une exposition est alors pleinement liée à celles et ceux avec qui on la partage, qu’ils soient des inconnus, en majorité, mais aussi des proches, dont nous ne parlerons pas dans cet article. Nos vies et les expositions sont faites de telle sorte que nous voulons profiter de chaque information, découvrir chaque œuvre présentée. Une exposition est pensée comme un ensemble, ou le discours est développé de la première salle à la dernière et où chaque objet de collection présenté est censé répondre aux autres, créant ainsi du sens. Mais n’est-ce pas également une conséquence de ce besoin “d’en avoir pour son argent” ? Le foisonnement des expositions communément appelées blockbuster participe par ailleurs à une appréhension différente de ces dernières, relevant davantage de l’événement auquel il faut avoir assisté, ayant pour conséquence une affluence démesurée, que de l’expérience sensible et personnelle.
Se plonger dans deux ou trois œuvres, puis revenir plusieurs fois dans une exposition, permettrait une toute autre expérience, mais n’est malheureusement pas possible pour nombre des visiteurs. En effet, la question du temps, mais aussi financière, entre en jeu. Une entrée dans un musée tel que le Louvre peut monter jusqu’à 17€, représentant alors le budget que l’on peut envisager pour deux séances de cinéma, mais certainement pas pour - seulement - deux peintures ou sculptures. La priorité pour les musées, à l’heure actuelle, ne serait-elle alors pas de repenser le rapport aux œuvres, les liens sociaux créés au sein même des expositions ainsi que l’influence de l’effet de groupe, bien avant de chercher le spectaculaire ou l’inédit ?
Jade Garcin
*été 2016, soit bien avant la crise sanitaire
#fréquentation
#blockbuster
#expérience