Si vous fermiez les yeux et que vous vous imaginiez à la découverte d’une exposition, que verriez-vous ? Seriez-vous en train de vous mouvoir d’œuvre en œuvre, perplexe ou bien happé.e par ce que votre regard peut embrasser ? Ou bien seriez-vous assis.e, sur le sol ou une banquette, en pleine contemplation ? Des gens seraient-ils dans la pièce, seriez-vous seul.e ou encore accompagné.e de quelques personnes de votre choix, pour partager ce moment ? En d’autres termes : quelle est, selon vous, la meilleure manière de profiter d’une exposition ?

 

Trois histoires de visite

 

L'esprit du lieu, un ingrédient décisif

 

Il est rare que l’on ait l’opportunité de voir une exposition deux fois, particulièrement dans des contextes absolument différents. La découverte de la collection de la Courtauld Gallery, entre ses murs, a été une expérience inhabituelle. L’été londonien* n’a pas motivé beaucoup de visiteur.euse.s à déambuler dans les salles du musée, créant ainsi une intimité certaine
entre les rares personnes présentes et les toiles impressionnistes ou les fusains exposés. Quelques respirations, le bruit du parquet qui craque, et les rayons du soleil comme seuls partenaires de visites, et c’est un monde artistique et privilégié qui s’offre alors.

 

GARCIN JADE LEFFET DE GROUPE IMG1

Edouard Manet, Un bar aux folies bergères , 1881-1882, Courtauld Galler

 

Soudain, une personne en bouscule une autre, et il devient plus difficile de s’approcher de Suzon, derrière son bar aux folies bergères. La relation tissée auparavant est semblerait-il parasitée, les salles de la Fondation Louis Vuitton attirant une foule plus conséquente. Plus de grincement du bois au sol, les salles historiques sont devenues plus lisses. Les œuvres sont pourtant bien là, à l’occasion de l’exposition Le parti de l'impressionnisme (2019), mais la magie qui pouvait s’opérer dans leur résidence britannique semble s’être évaporée dans l’atmosphère parisienne.

 

La contrainte, ennemie de l'exposition

 

Peu de temps après la réouverture du château de Versailles à l’été 2020, le domaine semble avoir manqué à ses visiteur.euse.s, venu.e.s nombreux.ses, bien que respectant leurs horaires de réservation. Cela n’empêche pas l’attente dans la cour du palais. Un pas après l’autre, il semble que l’on s’approche du but, celui de pouvoir enfin (re)découvrir ce lieu fort du patrimoine français. Un pas après l’autre, donc, mais jusqu’où ? Le flux dans lequel chacun.e semble être pris créé un rythme monotone auquel le corps, dans son mouvement, s’accoutume. La file d’attente commence dès la cour du palais, c’est-à-dire un espace qui devrait constituer un moment de visite à part entière. Cependant, si les touristes ou encore les visiteur.euse.s régulier.e.s prennent quelques instants à admirer l’architecture extérieure du château, ils délaissent bien rapidement la vue en voyant la personne devant eux avancer,
un pas après l’autre. Ce mouvement devient tant et si bien mécanique, et le parcours contraint par les mesures sanitaires, que l’on en arrive parfois à ne s’apercevoir qu’une fois dans les appartements royaux que l’intention n’est plus de gagner quelques mètres, mais de découvrir les richesses des objets et de l’histoire présentés tout autour de nous. Pris dans ce flux, la visite est proche d’être complètement oubliée : un exemple peut-être parmi les plus parlants des conséquences des déplacements contraints dans un lieu d’exposition.

 

 Intérieur du château de Versailles, avec le parcours contraint © Jade Garcin 

 

Emporté.e.s par la foule 

 

Largement attendue de par son ouverture repoussée au 1er juillet 2020 et sa présence en ligne dès la fin du printemps promettant une expérience monumentale, l’exposition Pompéi au Grand Palais se devait être une immersion dans la ville romaine, avant et pendant l’éruption du Vésuve. L’on rêve alors de déambuler dans les rues animées de Pompéi, découvrir ce qu’il se cache dans chacune des habitations et chacun des commerces ouverts de chaque côté de l’allée centrale, où s’y trouvent des objets de collections. La réalité est néanmoins bien éloignée de ces promesses. Après avoir patienté un long moment à l’extérieur du musée, il faut encore se montrer patient.e dans la salle d’exposition. Les espaces latéraux sont eux aussi soumis à une file d’attente, telles des attractions dans un parc, si bien que même avec la meilleure volonté, l’on ne les visite pas. Ici, et contrairement à l’exemple cité précédemment, c’est bel et bien l’affluence qui brise l’illusion qui était pourtant souhaitée par les concepteurs de l’exposition, nous laissant alors sur notre faim, tant du côté de l’expérience que des connaissances que nous n’avons pas pu ne serait-ce qu’approcher.

 

Une file d’attente pour accéder à un espace de l’exposition, bloquant la circulation © Jade Garcin 

 

Trois visites en valent mieux qu'une ?

 

L’expérience que l’on vit lorsque l’on pénètre dans une exposition est alors pleinement liée à celles et ceux avec qui on la partage, qu’ils soient des inconnus, en majorité, mais aussi des proches, dont nous ne parlerons pas dans cet article. Nos vies et les expositions sont faites de telle sorte que nous voulons profiter de chaque information, découvrir chaque œuvre présentée. Une exposition est pensée comme un ensemble, ou le discours est développé de la première salle à la dernière et où chaque objet de collection présenté est censé répondre aux autres, créant ainsi du sens. Mais n’est-ce pas également une conséquence de ce besoin “d’en avoir pour son argent” ? Le foisonnement des expositions communément appelées blockbuster participe par ailleurs à une appréhension différente de ces dernières, relevant davantage de l’événement auquel il faut avoir assisté, ayant pour conséquence une affluence démesurée, que de l’expérience sensible et personnelle.

 

Se plonger dans deux ou trois œuvres, puis revenir plusieurs fois dans une exposition, permettrait une toute autre expérience, mais n’est malheureusement pas possible pour nombre des visiteurs. En effet, la question du temps, mais aussi financière, entre en jeu. Une entrée dans un musée tel que le Louvre peut monter jusqu’à 17€, représentant alors le budget que l’on peut envisager pour deux séances de cinéma, mais certainement pas pour - seulement - deux peintures ou sculptures. La priorité pour les musées, à l’heure actuelle, ne serait-elle alors pas de repenser le rapport aux œuvres, les liens sociaux créés au sein même des expositions ainsi que l’influence de l’effet de groupe, bien avant de chercher le spectaculaire ou l’inédit ?

 

Jade Garcin

*été 2016, soit bien avant la crise sanitaire

 

#fréquentation 

#blockbuster 

#expérience