Il est bien connu qu’au musée, on en prend plein les yeux, des objets partout, des salles aux couleurs vives, des dispositifs numériques. Mais on en a aussi vite plein les oreilles, les bruits de pas, les voix des guides, les annonces au haut-parleur, tout cela peut vite devenir envahissant et dérangeant pour des publics plus sensibles à ces surstimulations sensorielles, notamment pour les visiteurs avec troubles du spectre autistique. Si les troubles autistiques représentent un spectre très large, je m’efforcerai dans cet article, de respecter cette variété. Chaque visiteur aura besoin d’un accompagnement différent, et les musées peuvent évoluer vers plus d’inclusion en connaissant leurs besoins. 

Malheureusement, les visiteurs avec des troubles du spectre autistique (TSA) sont peu représentés dans les musées. Pour beaucoup, les visites au musée ne sont pas compatibles avec les difficultés qu'ils peuvent éprouver, car le musée est vu comme une ouverture sociale alors que, de manière tout à fait caricaturale, les visiteurs neuro-différents sont identifiés comme des individus repliés sur eux-mêmes, et ayant des intérêts culturels restreints.

Les musées américains ont été parmi les premiers à tenter de comprendre ce handicap afin de leur proposer un accueil adapté, comprenant que ces lieux chargés d’histoire sont parfaitement adaptés et adaptables aux visiteurs avec des besoins spécifiques.

 

Pour l'égalité des chances, la participation des personnes à handicaps

Ainsi, stimulés par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, de nombreux musées ont mis en place des outils offrant une plus grande autonomie aux visiteurs en situation de handicap mental. Malgré de louables efforts de la part des institutions françaises, le public avec troubles du spectre autistique est bien souvent absent des politiques muséales pour l’accessibilité sur notre territoire.
Même si la structure culturelle est accessible (rampes d’accès, adaptation du discours …), cela reste inutile si le visiteur en situation de handicap ne peut pas sortir de chez lui ou arriver jusqu’au musée. C’est pourquoi toute une chaîne d’accessibilité concernant tous les handicaps est réfléchie en amont.

 

Permettre à ces visiteurs de préparer leur visite sereinement

Souvent, les publics avec troubles du spectre autistique (TSA) ont besoin de bien préparer leur visite en amont. Ce besoin d’anticiper est dicté par de possibles difficultés à appréhender l’inconnu, une volonté de ne pas être surpris, de connaître son environnement, ses interlocuteurs afin de pouvoir visiter le site en toute sérénité, loin de tout déclencheur possible d’un mal-être ou d’une crise.

Le Metropolitan Museum of Art de New York l’a bien compris. Afin de satisfaire ces besoins, il met à disposition des documents permettant aux visiteurs de préparer leur visite en amont (comme le Social Narrative). Ce document raconte comment leur visite va se dérouler dans le détail. Ces pratiques mettent en confiance des publics avec TSA pour l’avant-visite, mais cela ne suffit pas, il est également nécessaire d’apaiser leurs sens lors de la visite du musée pour éviter une souffrance ou un inconfort.

 

La nécessité d’un apaisement sensoriel pour certains visiteurs

Plein les yeux, plein les oreilles

Car dans le cas de l’hypersensibilité aux stimuli sensoriels qui nous intéresse ici, la réception aux sons, goûts, à la lumière ou à la stimulation tactile peut être plus intense et ainsi être plus difficile à gérer pour certains visiteurs. Ces troubles sensoriels surviennent souvent chez les personnes avec des troubles du spectre autistique (TSA). Comme Cyrielle Leriche l’explique, ces troubles sensoriels peuvent varier en intensité, affecter plusieurs sens, et sont causés par un dysfonctionnement du traitement de l’information par le système nerveux.  Or les musées regorgent de stimulations : la lumière parfois vive dans les salles, de nombreuses couleurs, des changements de température voire un bruit envahissant qui peut gêner ou faire souffrir.

 

Items sensoriels classés par catégories © Cyrielle Leriche

 

Cette surstimulation sensorielle peut entraîner une anxiété que certains musées tentent d’apaiser en aménageant des espaces calmes ou en créant des circuits évitant les lieux “violents” pour ces visiteurs. C’est le cas du Metropolitan Museum of New York qui, dans sa “Sensory Friendly Map”, recense tous les espaces du musée plus calmes et moins bondés.

 

Lieux plus et moins fréquentés du MET de New York (Sensory friendly map) © MET Museum

 

Diminuer les sollicitations sensorielles envahissantes

Outre ces exemples, il existe des dispositifs de médiation permettant de diminuer la sollicitation sensorielle superflue. Les sacs à dos sensoriels du Victoria & Albert Museum de Londres en sont un exemple reconnu. Ils contiennent un casque anti-bruit permettant aux visiteurs sensibles aux bruits ambiants d’apaiser leurs sens et de pouvoir continuer leur visite sereinement. Ces sacs sont prêtés gratuitement à l’accueil du musée, sans condition de ressources et sans avoir à présenter des documents pouvant les déranger, voire amener à une stigmatisation.

 

Apaiser ses sens, se réapproprier son corps

Exprimer sa gêne face à un environnement bruyant peut stigmatiser les visiteurs avec TSA, c’est pourquoi les agents d’accueil et de salle ont besoin d’être formés à repérer les familles ou visiteurs qui présentent des besoins supplémentaires. 
Pour les publics fragilisés par une hypersensibilité, il est possible de se retirer dans des espaces plus calmes, appelés “snoezelen room” ou “pièces multisensorielles”. Gratuites, elles sont accessibles toute la journée.

 

Pièce multisensorielle © Snoezelen-France

 

Comme le montre cette pièce multisensorielle, l’éclairage est doux et tamisé, les lumières vives et agressives des salles d’exposition laissent ici place à des éclairages colorés. On préfère la multiplication des sources lumineuses à l’utilisation d’une lumière forte, l’espace est réduit. Les sons sont contrôlés et doux, du bruit blanc peut être diffusé. Le sens du toucher est également stimulé par des panneaux texturés sur les murs, des couvertures lestées et bien d’autres modules sensoriels.
Ces espaces sont conçus pour se recentrer sur soi, sur ses sens, pour respirer, se détendre et couper avec la surstimulation de la vie quotidienne ou du musée en l’occurrence. Bien qu’ils soient conçus pour les personnes avec TSA notamment, ils peuvent être bénéfiques pour tous les visiteurs qui en ressentent le besoin. Ces espaces existent depuis des années chez les particuliers et dans les hôpitaux et depuis quelques années, une véritable révolution est en marche dans les musées américains où ces espaces de mieux-être à destination des publics avec TSA fleurissent.

Ces salles multisensorielles gagnent à être associées à des salles de mise au calme, dépourvues de stimulation sensorielle, permettant une rupture avec l’environnement source de stress et d’inconfort. Ces salles peuvent être utilisées en cas de crise ou bien simplement en réponse à une surcharge sensorielle.

 

Alors en France, on attend quoi ?

Dans les musées français aussi la sursimulation des sens est présente. Prenons la grande galerie de l’évolution du Museum d’Histoire Naturelle de Paris où les visiteurs peuvent activer des haut-parleurs diffusant le barrissement de l’éléphant, ce qui peut déranger les publics malvoyants, autant que les familles et les publics avec TSA, ces sons se rajoutant aux annonces diffusées et au brouhaha naturel de la galerie. C’est là un des principaux problèmes des expositions contemporaines, que l’on veut interactives et sensorielles. 

 

Caravane africaine, Grande Galerie de l'Évolution © MNHN - Agnès Latzoura

 

En France, les musées sont certes moins avancés en termes d’apaisement sensoriel, pourtant, ils sont nombreux à proposer des heures calmes pour que les publics avec TSA puissent profiter du musée. Lors de ces temps calmes, les stimulations lumineuses et auditives sont diminuées.
Mais, pourquoi ces dispositifs d’apaisement sensoriels ne sont-ils pas aussi répandus en France qu’outre-manche ? Une des premières raisons reste la méconnaissance de ce handicap. Certes, depuis la loi de 2005, il est obligatoire d’améliorer l’accessibilité des structures muséales, mais les troubles du spectre autistiques restent largement méconnus et leurs besoins sont mal compris. Le public neuro-différent est aussi bien souvent considéré comme peu présent au musée. En 2020, selon les chiffres de l’INSERM, moins d’un pourcent de la population française vivrait avec un trouble du spectre autistique.
Cette réticence française à intégrer les publics avec TSA au musée naît ainsi de la confrontation de plusieurs difficultés inhérentes à la variété des troubles et besoins que représentent le spectre de l’autisme, le tout ajouté à la sensation que ce public n’a pas sa place au musée, ce qui est faux, les bénéfices de la culture pour les visiteurs en situation de handicap mental n’étant plus à prouver. Cela a été prouvé, la culture fait du bien, les musées permettent à ces publics de gagner en autonomie, de s’ouvrir au monde et de développer leurs intérêts. Des outils de médiation sont créés pour eux, alors, qu’attendons-nous pour améliorer leur expérience face à ces stimuli ?

 

Claire Hammoum--Faucheux

 

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Sources 

  • Cyrielle Leriche, « Accueillir les publics autistes au musée », La Lettre de l’OCIM, 186 | 2019.
  • Cyrielle Leriche, « Musée et troubles du spectre autistique », Les Cahiers de l’École du Louvre, 14 | 2019.

Fanny Bougenies, Julie Houriez, Simon Houriez et Sylvie Leleu-Merviel, « Musée pour tous : un dispositif de découverte dans les murs et son évaluation », Culture & Musées, 26 | 2015, 115-139.

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