La contemplation n’est pas la seule option face à la violence sexiste de certaines représentations innocemment exposées dans les musées. Aujourd’hui, il est temps pour les structures culturelles d’ouvrir la porte à la discipline de l’éducation sexuelle. Objectif : déconstruction des regards.

Education sexuelle et musées : compatibles ?

Villa Borghèse, Rome, il fait une chaleur de plomb, le corps du touriste sue à grosses gouttes mais soudain, son regard se fige. Sous ses yeux, une main toute en tension, veines saillantes, s’est emparée de la chair d’une femme. Le duel, peau contre peau est époustouflant. La main, si ferme, semble être née au creux de sa cuisse. Le touriste recule, encore étourdi devant le détail, pour lire le cartel de l’œuvre : « Gian Lorenzo Bernini, L’Enlèvement de Perséphone, marbre, 1621-22 ». La vérité éclate, la fureur de cette main, la puissance de ce geste est d’une violence certaine. Le récit mythologique prend le pas sur la beauté du marbre : Proserpine est enlevée, elle sera violée par Hadès. Quel esthète, amateur d’histoire de l’art, n’a pourtant pas succombé à la beauté de cette main ?

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Figure 1 – (détail) Gian Lorenzo Bernini, L’Enlèvement de Proserpine, marbre, 1621-22 © Antoine Taveneaux, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:The_Rape_of_Proserpina_02.jpg 

 

Dans les musées de beaux-arts, au milieu des chefs d’œuvres, les pieds des visiteurs foulent un torrent de femmes dont le corps a fait l’objet de fantasmes pervers. Exoticisées par les « orientalistes » ou encore les « primitivistes », mises à nues parce que modèles-objet, agressées par Zeus, Hadès ou Apollon, au Louvre ou au Palais des Beaux-Arts de Lille, chaque musée exhibe innocemment des trésors du sexisme. Ces nombreuses pièces banalisent des violences sexistes et sexuelles. Les institutions culturelles se doivent désormais d’agir face à ce que transmet l’image mais que, jamais, ne raconte le cartel ou le guide. Le discours autour de ces représentations participe de l’éducation du regard. Etant donné qu’ils diffusent des images stéréotypées héritières d’une culture sexiste et patriarcale, les musées, lieu d’éducation, sont concernés par l’éducation sexuelle.

Des initiatives dans les musées des beaux-arts

Au British Museum de Londres, le programme « Relationship and Sexual Health Education » (ici abrégé RSHE) destiné aux jeunes de 14 à 16 ans est un bel exemple du lien qui peut s’établir entre la discipline et les pièces exposées. Quatre objectifs y sont mis en avant : apprendre l’histoire des relations et des identités à travers diverses cultures, utiliser des objets issus des collections du musée pour discuter de problématiques contemporaines sur la base de matériaux anciens, améliorer ses compétences dans la matière scolaire RSHE et pour finir, quitter l’activité en se sentant plus confortable pour aborder le sujet de l’éducation sexuelle et en ayant davantage confiance en sa propre sexualité. Menés par un artiste-éducateur, les ateliers abordent plusieurs thématiques : « Qu’est-ce que la pornographie ? », « Explorer le consentement », « L’image du corps à travers le temps », « LGBT » puis « Genre et Identité » et ce, à travers des périodes et aires géographiques différentes : Egypte ancienne, Grèce ancienne, Mésopotamie ancienne, Afrique, Asie du Sud, Japon... Un vaste programme qui reste bien rare aujourd’hui dans l’enceinte des musées de beaux-arts.

Souvent, ce sont des démarches féministes qui apportent l’éducation sexuelle au cœur des musées. Conçue par Musée des Beaux-Arts de Montréal, la plateforme en ligne EducART (https://educart.ca/fr/ ), un outil pédagogique interdisciplinaire, offre pléthore de matières à travailler ayant pour support les œuvres du musée. La thématique « féminisme » est celle qui héberge les questions liées à l’éducation sexuelle. Le consentement est exploré à travers l’œuvre d’Honoré Daumier, Femmes poursuivies par des satyres, 1850. Cette notion est développée au-delà de l’œuvre dans une courte et claire description appuyée par des données statistiques sur le harcèlement sexuel au travail. Une grille d’analyse permet ensuite, par le biais d’une dizaine de questions de décrypter le tableau : matériau, récit, artiste… Enfin, des « questions mobilisatrices » interrogent le jeune sur les jeux de pouvoir présents dans le tableau. C’est la question « Comment peux-tu t’assurer qu’une personne t’accorde son consentement sexuel ? » qui clôt la thématique. Sur la plateforme, d’autres thématiques telles que « genres », « normes esthétiques », « désir » ou encore « contraception » relèvent de l’éducation sexuelle.

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Figure 2 : Capture d’écran de la plateforme EDUCART,
URL : https://educart.ca/fr/theme/feminisme/#/femmes-poursuivies-par-des-satyres/cartel

 

En parallèle des musées, des initiatives voient le jour pour relire les œuvres au prisme des pensées féministes. L’objectif est alors de transformer le regard des visiteurs sur l’histoire entourant les sujets féminins des œuvres. En France, « Feminists in the city » (https://www.feministsinthecity.com/ ) propose des visites de Paris, Lyon, Marseille, Toulouse et Bordeaux. Du Louvre au cœur historique de Bordeaux, il s’agit pour ces guides de présenter l’histoire des femmes dans les collections ou dans la cité. Prix de la déconstruction de votre regard ? Une vingtaine d’euros. Outre ces visites, « Feminists in the city » propose un agenda culturel assez dense avec des conférences. Notons par exemple la masterclass « Histoire de la révolution sexuelle ». Dans ce cas, les visites ne visent pas particulièrement le jeune public.

Ces éléments de discours muséaux mettent en lumière un fait : dans les musées de beaux-arts, l’éducation sexuelle n’est pas exposée sur les murs ou les cartels, elle passe par la médiation, le dispositif numérique ou des actions temporaires. C’est donc par le biais de la contemplation que des scènes qui pourraient faire l’objet d’éducation sexuelle sont abordées. En effet, quelques exemples d’expositions liées à la thématique de la sexualité peuvent être citées : en 1995 au Centre Georges Pompidou « Masculin-Féminin : le sexe dans l’art », en 2017 au Musée des beaux-arts de Calais « Le baiser. De Rodin à nos jours » et, à venir, l’exposition « L’Empire des sens. De François Boucher à Jean-Baptiste Greuze. » au Musée Cognacq-Jay ou encore « L’amour fou. Intimité et création (1910-1940) » au Musée des Beaux-Arts de Quimper. Mais… difficile de s’éduquer sexuellement simplement en regardant des œuvres d’art.

Les musées de sciences, là où le tabou n’est plus ?

Dès 2007, la Cité des Sciences brise le tabou de l’éducation sexuelle avec l’exposition « Zizi Sexuel l’expo » (en collaboration avec Zep et Hélène Bruller). Reprenant les célèbres personnages de la bande-dessinée Titeuf, l’exposition répond à de nombreuses questions qui trottent dans la tête des jeunes entre 9 et 14 ans. Cinq thématiques rythment le parcours : « Être amoureux / amoureuse », « La puberté », « Faire l’amour », « Faire un bébé » et enfin « Ouvre l’œil ». En passant de la chambre de Nadia à celle de Titeuf puis par la salle de bain, des manipe, jeux, dessins animés sont là pour susciter la curiosité des enfants. Les règles, les préservatifs, la pilule, les rapports hétérosexuels ou bien la grossesse n’ont plus de secrets pour le jeune public. Un réel succès. L’humour employé pour traiter toutes ces questions, sur la base des illustrations de Zep, a largement contribué à supprimer les tabous et désinhiber la jeunesse. Les manipes décomplexées telles que « L’essoreuse à langue » grâce à laquelle les jeunes reproduisent avec leurs bras le roulage de pelles dans toute sa splendeur sans oublier le « zizi piquet » en érection qui éjacule gaiement sur le visiteur, la Cité des Sciences n’a pas lésiné sur le grotesque et ça fonctionne. L’institution a ainsi réussi son pari : apprendre la sexualité en s’amusant, c’est possible.

La question reste entière : pourquoi un tel écart existe-t-il entre le traitement de l’éducation sexuelle dans les musées de beaux-arts et celui qui en est fait dans les musées de sciences ? Il faut bien constater que généralement, les musées de sciences n’ont pas de collections à déconstruire (comme c’est le cas des musées de beaux-arts), ce qui donne une plus grande liberté expographique.

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Figure 3 : « Zizi sexuel l’expo » à la Cité des Sciences ©
URL : https://www.ladepeche.fr/diaporama/zizi-sexuel-l-expo-qui-fait-polemique-a-paris.html  

 

En 2014, après sept années d’itinérance européenne, l’exposition fait son retour. Mais, surprise, l’accueil ne lui est pas aussi favorable que la première fois… Une pétition de l’association SOS Education demande la fermeture de l’exposition, elle recueille plus de 45 000 signatures. Les pétitionnaires souhaitent que dans le cadre d’une sortie scolaire, les parents soient « informés et consultés » sur la venue de leur enfant dans une telle exposition et puissent s’y opposer s’ils le désirent. Ils ajoutent que « ces sorties scolaires ne doivent en aucun cas être prises sur le temps consacré aux apprentissages fondamentaux ». En outre, l’espace « interdit aux adultes » semble décontenancer les auteurs de la pétition.

Quel avenir pour l’éducation sexuelle au musée ?

L’éducation sexuelle a encore un long chemin devant elle avant de figurer sur les murs des temples des beaux-arts. Les initiatives ne sont pas nombreuses alors aux professionnels des musées d’inventer l’éducation sexuelle par la culture. Le défi est lancé !

Estelle Brousse

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Pour aller plus loin : 

Podcast Vénus s’épilait-t-elle la chatte ? https://podcast.ausha.co/venus-s-epilait-elle-la-chatte 

Bibliographie : 

Education sexuelle au British Museum 

https://www.the-tls.co.uk/articles/sex-education-british-museum/ : 

https://www.britishmuseum.org/learn/schools/ages-14-16/school-workshop-relationship-and-sexual-health-education 

Féminists in the city : https://www.feministsinthecity.com/ 

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