Vous avez sans doute déjà écouté un podcast, ce contenu audio numérique « à emporter » que l’on  peut écouter n’importe où et n’importe quand, sans la contrainte temporelle des émissions de radio à heures fixes ? Peut-être en avez-vous déjà écouté un, par hasard ou par curiosité, au hasard de vos errances sur le web ? Peut-être même êtes-vous un·e véritable adepte de ce format, il faut le dire, un tantinet addictif ? Que vous soyez inconditionnel·le du podcast, novice ou simple curieux·se, ajustez vos oreillettes, appuyez sur « play » et laissez-vous guider : nous allons ensemble explorer des podcasts particuliers, ceux des musées et sur les musées. Prêt·e·s ? Jingle !  

Naissance et gloire du podcast 

Impulsé par l’arrivée de l’internet en 1991, qui facilite l’accès à du contenu sonore en ligne, le podcast  connaît un essor et une diffusion de plus en plus importante depuis les années 2000. Ce néologisme anglais, inventé par hasard en 2004 par le journaliste britannique Ben Hammersley et repris par Apple l’année suivante, renvoie à une contraction des termes « Ipod » et « broadcast » (diffusion). Si l’usage  du mot anglais s’est répandu en France, son équivalent en français est l’expression imagée  « baladodiffusion », courante au Québec. Le terme renvoie aussi bien aux rediffusions à la demande  d’émissions radiophoniques qu’aux podcasts natifs, créés en vue d’une diffusion directe auprès du public, soit exclusivement en ligne et sans passage à la radio. Il existe aujourd’hui plus de 1 500 000  podcasts disponibles à l’écoute (chiffre de novembre 2020 de la plateforme PodMust), indépendants ou en réseaux, amateurs ou professionnels, traitant de sujets de société, de politique et de création.  
Les musées ne sont pas en reste et s’emparent eux aussi de ce nouveau media à succès : l’un des  précurseurs des podcasts de musées est la webradio d’art contemporain lancée par le centre d’art newyorkais MOMA PS1 anima de 2004 à 2009. Ce phénomène d’appropriation du podcast par les institutions muséales, tous domaines confondus, s’est particulièrement accentué dans le contexte de  fermeture des institutions culturelles françaises liée à la crise sanitaire de la Covid-19. Ce format audio, facilement accessible sur internet, constitue l’une des voies par lesquelles les musées ont tenté de se réinventer et de proposer une offre culturelle sous une forme dématérialisée, comme en  témoigne le titre du podcast Ecoutez ! Y’a rien. Podcast des musées confinés du Réseau de musées départementaux de l’Isère, dont la première série est consacrée à la figure de Rose Valland à l’occasion de l’exposition dont elle fait l’objet au Musée Dauphinois. Son jingle évoque de façon très éloquente l’importance du rôle attribué au podcast dans la  diffusion de la culture en période de fermeture des musées :  « Alors que ce printemps 2020, les musées sont fermés au public pour cause de pandémie de  coronavirus, ceux qui les font vivre s’invitent chez vous et vous partagent en version audio les  concentrés d’humanité dont ils sont les infatigables médiateurs. » 
En parallèle des podcasts réalisés par les musées existent également des podcasts indépendants  traitant du monde artistique et muséal : les podcasts de musée et sur les musées se côtoieront tout au  long de cet article, qui s’intéresse spécifiquement aux créations sonores françaises.  

Le podcast-audioguide 

Les musées utilisaient déjà l’outil audio avant l’avènement du podcast, à travers l’usage de  l’audioguide disponible dès les années 1980 et dont l’essor accompagne le tournant des années 2000. L’option la plus évidente dans cette filiation, mais la moins créative et qui exploite le moins les spécificités du podcast, est la reprise du traditionnel format des pistes d’audioguide mises en ligne sous forme de podcast. C’est ce que fait le Musée de l’Armée-Invalides avec son Guide numérique disponible sur la plateforme Soundcloud, format court  d’environ deux minutes par piste présentant les pièces exposées au sein du parcours permanent et des expositions temporaires. L’avantage de cet « audioguide numérique » est sa souplesse : il est facile d’en éditer le contenu sonore. Dans le cadre d’une visite physique, les coûts sont également moindres pour le musée qui n’a pas à assurer de prêt de matériel, puisque le·la visiteur·se se charge lui-même d’accéder à la plateforme numérique à partir de son propre smartphone. La dématérialisation du support pédagogique permet en outre la visite virtuelle et autorise ainsi une diffusion plus large des collections du musée.  
Si certain·e·s professionnel·le·s de musée et une partie des visiteur·se·s peu adeptes du « tout  dématérialisé » semblent craindre le remplacement de l’audioguide par le podcast, il est aujourd’hui possible de constater que celui-ci en constitue un complément plutôt qu’un concurrent. Ecouter un  podcast peut ainsi permettre de prolonger une visite, mais peut tout aussi bien se faire de manière indépendante pour explorer le musée d’une autre manière. S’emparer d’un media sonore est en effet un gage de renouvellement pour les musées, traditionnellement très liés à la culture visuelle. Le  format sonore ouvre tout un champ de possibles et offre aux visiteur·se·s l’opportunité d’établir une nouvelle relation plus intime avec l’univers muséal. L’une des particularités du podcast est en effet l’intimité entretenue avec le sujet exploré. Le podcast est donc bien plus qu’un simple audioguide en  ligne : ses formats et les sujets abordés le font dépasser de loin le seul objectif pédagogique. A part le podcast d’apprentissage, descriptif et explicatif, que nous venons d’aborder, ce media peut ainsi  prendre les formes variées du documentaire, de la conversation et de la fiction adulte et jeunesse.  Grâce à un regard décalé ouvert à l’imaginaire, un aspect ludique voire humoristique et un réel travail sur la création sonore, ils constituent un outil précieux pour appréhender le musée et l’exposition  autrement. Ils inventent de nouvelles manières de raconter le musée et de captiver l’attention des visiteur·se·s, en variant les approches et les formats. 

Les podcasts de conversation : intimité et regards croisés

 

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De gauche à droite : © Ausha ; © Podcastics ; © Stitcher ; © Anchor  

 

Les podcasts de conversation se caractérisent par l’adoption d’un ton souvent informel, établissant un climat de proximité qui favorise chez l’auditeur·rice l’impression d’être inclus·e dans l’échange  en cours. Ils peuvent prendre la forme d’un entretien avec un·e ou plusieurs invité·e·s, d’une discussion entre présentateur·rice·s ou encore d’un monologue adressé à l’auditeur·rice.  
Le podcast indépendant Bulle d’art dédié à l’art contemporain, initié en 2018, appartient à cette dernière catégorie : sous un format court de 5 à 15 minutes, l’animateur Julien Baldacchino partage ses coups de cœur artistiques avec l’auditeur·rice, qu’il  s’agisse d’une œuvre, d’un·e artiste, d’une exposition ou d’un lieu d’art contemporain qui l’ont  marqué et dont il réalise une critique mêlée d’impressions personnelles, dans un objectif de diffusion  de l’art contemporain. Il ne s’agit plus ici de simplement décrire ou analyser les œuvres de manière neutre, mais de témoigner d’une expérience esthétique ou de visite en première personne, certes de manière informée et didactique mais dont n’est pas exclu le ressenti sensible.  
D’autres podcasts prennent la forme d’un entretien avec une personnalité du monde de l’art, tel Le sens de la visite qui aborde des œuvres d’art  en s’attachant au point de vue de celleux qui la regardent, qu’iels soient simples visiteur·ice·s, professionnel·le·s des musées, collectionneur·se·s, artisan·e·s ou même faussaires. Les invité·e·s  évoquent leur relation à une œuvre particulière qui a marqué leur vie. Pour le créateur du podcast Jérémie Thomas, « chaque témoignage devient une histoire de l’art, chaque regard éclaire l’œuvre  d’un sens nouveau et fait résonner l’art comme un partage. » 
Le podcast indépendant Le Bruit de l’Art, animé par Victoria Le  Boloc’h Salama et Florian Champagne, s’intéresse quant à lui aux métiers du monde de l’art contemporain et en invite les acteur·rice·s (artistes, commissaires, critiques, collectionneurs,  galeristes) à se raconter. Cette diversité dans le choix des invité·e·s permet de croiser les regards et  d’adopter différents points de vue complémentaires sur les métiers de l’art actuel. Là encore, l’intime  a une place importante : c’est à travers l’expérience individuelle de chaque invité·e, qui revient sur  son parcours professionnel mais aussi personnel, qu’est dressé au fil des épisodes un panorama du  monde de l’art aujourd’hui. Le même principe est adopté dans le tout jeune podcast indépendant Musealia lancé en décembre 2020 par Marianne  Fromencourt, qui interroge de jeunes professionnel·le·s du monde muséal dans une optique de diffusion de la diversité des métiers de l’art et des musées, racontés par celleux qui les vivent au  quotidien. 

Les podcasts documentaires : la science mêlée au récit  

 

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De gauche à droite : © Deezer ; © Centre Pompidou ; © Musée de l’Homme ; © Acast ; © Anchor 

 

Les podcasts documentaires, entre reportage radiophonique et création sonore, mêlent récits non fictionnels en première personne et apports scientifiques pour construire une narration autour d’un  sujet de société abordé sous un angle original. Chaque sujet peut être développé tout au long d’une saison de plusieurs épisodes ou bien se concentrer en un épisode unique. L’auditeur·rice peut donc  satisfaire sa curiosité sur un sujet précis tout en nourrissant son imaginaire au fil du récit.  
De nombreux musées s’emparent de ce format pour valoriser leurs expositions ou renouveler l’attractivité de leurs collections en les abordant selon une perspective insolite. Le Louvre a ainsi élaboré une série de podcasts aux allures d’enquêtes :  le premier épisode s’intéresse à l’iconique Radeau de la Méduse de Théodore Géricault sous l’angle du fait divers et de la criminologie, rendant à l’œuvre le parfum de scandale qui avait accompagné sa réception au Salon de 1819. Assumant son parti-pris sensationnel, le « podcast qui mêle art et crime au cœur du plus célèbre musée du monde » croise les témoignages d’un conservateur du département Peinture du musée et d’un historien de l’art avec ceux, moins attendus, d’une capitaine de police à l’Identité judiciaire, de la navigatrice Isabelle Autissier et de l’artiste star Paul McCarthy. Le Louvre avait déjà utilisé la forme de l’enquête, cette fois plutôt historique et journalistique, dans la série de podcasts consacrée au Marquis Campana qui accompagnait l’exposition dont il a fait l’objet en 2018.  
Au-delà de la visée ludico-éducative de ces séries, dont l’objectif est de rendre plus attractives et  accessibles les collections du Louvre au grand public, le podcast documentaire peut être un moyen  pour les musées de s’emparer d’enjeux sociétaux contemporains tels que l’écologie, le féminisme, les  droits LGBTQI+, les luttes anti-racistes ou encore le rapport au corps et à l’intime. Le Centre  Pompidou s’attache ainsi à mettre ses collections en relation avec ces sujets de société dans la série documentaire Un podcast, une œuvre, subdivisée en séries thématiques (Art et Féminismes, Art et Utopies, Art et  Consommation, Art et Thérapie, Art et Ecologie). Chaque épisode est consacré à l’analyse d’une  œuvre sous ce prisme particulier. Ces thématiques sociétales sont également très présentes dans les  séries de podcasts du Musée de l’Homme : produite en collaboration avec le magazine Slate à  l’occasion de l’exposition Nous et les Autres, la série de podcasts du même nom qui en est l’extension et le  complément aborde en trois épisodes les différents aspects du racisme. Le podcast décortique ce  processus historique complexe, ses enjeux et ses manifestations quotidiennes, à travers des  témoignages personnels d’histoires vécues étayés par les analyses de spécialistes.  
Au-delà des créations sonores produites par les musées, plusieurs podcasts indépendants entreprennent également de déconstruire l’histoire de l’art occidentale à travers un point de vue  féministe et inclusif, à l’image de Vénus s’épilait-elle la chatte, animé par Julie Beauzac, qui propose des épisodes biographiques et thématiques sur des sujets tels  que les autoportraits féminins, la représentation des noir·e·s ou encore la grossesse dans l’art. S’intéressant au thème spécifique de la représentation du corps et de la sexualité dans l’art toutes  périodes confondues, Dessine-moi un corps – le « podcast pour tous les amoureux du corps et de l’histoire de l’art » créé par Maurine Roy – aborde de front des sujets  habituellement invisibilisés ou tabous, allant du voyeurisme au fétichisme, en passant par le poil, l’érotisme et la déformation corporelle. 
Le secteur de l’histoire de l’art et le monde muséal ne sont donc pas en reste face aux dizaines de podcasts féministes – et plus généralement liés à des enjeux politiques et sociétaux – qui ont éclos au cours des dernières années sur les plateformes audio !  

Les podcasts de fiction : cultiver l’imaginaire 

 

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De gauche à droite : © Arte Radio ; © Centre Pompidou ; © Ausha ; © Les petits M’O 

 

Les fictions audio sont des récits imaginaires racontés par des acteur·rice·s, s’étendant sur une série  entière ou prenant la forme d’épisodes indépendants. Les formats, souvent courts (de cinq à dix  minutes), font la part belle à la création sonore. Qu’ils soient destinés aux adultes ou aux enfants, ils  invitent l’auditeur·rice à laisser libre cours à l’imagination et adoptent souvent un ton humoristique  et/ou poétique. 
Le Centre Pompidou, en collaboration avec Arte Radio, s’approprie ce format pour se moquer, avec facétie et autodérision, des travers de l’art contemporain dans certains épisodes de Museum Fictions tels que « Rest In Powder blush ». Caricature d’audioguide, cette création propose une visite décalée de collections fictives détournant par l’humour  les habituelles critiques d’opacité, de snobisme intellectuel ou d’inconsistance faites à l’art actuel, tout en faisant référence en filigrane à des œuvres emblématiques de ses collections : « Mixant videogame, téléréalité et comédie musicale, le suisse néopop Mayer Mayer négocie l’équilibre du vide comme personne. Et comme le montre cette salle pleine de rien, dite Du Grand  Vide, par opposition à la salle du Petit Vide Ephémère, avec sa succession d’œuvres de moindre  envergure, comme le Cercle Blanc sur Fond Blanc en hommage à Malevitch, L’absente de tout bouquet, un couteau sans lame auquel manque le manche, Flocon dans la neige, Ceci n’est pas une  toile (…), Moins que rien, Toujours plus de rien, Encore moins que rien ce serait vraiment trop. »  
D’autres épisodes dévoilent avec originalité les coulisses du musée et de ses métiers, tels que « Sans  Titre », qui fait le récit poétique et loufoque du convoiement d’une œuvre, protagoniste personnifié,  depuis les réserves du Centre Pompidou jusqu’au Turkmenistan à l’occasion d’un prêt. La poésie se  retrouve dans une autre série du même musée, Journal d’un marcheur : cette fable écologique et futuriste relate le cheminement d’un vagabond après l’effondrement, en quête d’une œuvre du musée Pompidou vue par le passé à une époque où la culture est jugée non essentielle et où les musées ne sont plus que des épaves abandonnées hantées par des marginaux.  
La fiction peut aussi prendre pour appui une œuvre en particulier : c’est le principe du podcast indépendant Ferme les yeux et regarde, écrit et réalisé par l'équipe de Nuits Noires, qui élabore de courts récits imaginaires et imagés autour d’une  œuvre dont le nom n’est pas explicité, en immersion sonore grâce à l’usage du son binaural. Il s’agit alors pour l’auditeur·rice de retrouver l’œuvre à l’origine du récit. Ce même principe de partir d’une  œuvre pour élaborer une histoire est repris dans le podcast jeunesse Promenades imaginaires au  Musée d’Orsay. Incarné dans un personnage dont nous suivons les pensées, chaque épisode brosse un univers narratif fourmillant donnant vie à l’œuvre qui en est à l’origine, stimulant l’imagination des jeunes auditeur·rice·s et instaurant une relation  affective à l’art propice à une première approche des musées. Plusieurs épisodes sont ainsi consacrés à Edgar Degas. Si le podcast est principalement adressé aux enfants, il est tout aussi addictif pour un  public adulte !  
Outil de choix pour diffuser un savoir autour d’une collection, apporter un regard nouveau sur une  thématique muséale et sociétale, rencontrer les professionnel·le·s et le public du monde de l’art ou  stimuler l’imagination, le podcast est un média protéiforme qui donne à entendre la multiplicité des  réalités du monde artistique et muséal aujourd’hui. Son originalité et la liberté de création qu’il  autorise laissent présager une expansion de son usage par les institutions culturelles et les  passionné·e·s de musées et de création sonore dans les années à venir, alors ne lâchez surtout pas vos écouteurs et tendez l’oreille !  
Marion Roy 
#podcast #créationsonore #musée 

Quelques références 

Evelyne Cohen, « La baladodiffusion : de la réécoute à la création sonore de podcasts », Sociétés &  Représentations, Publications de la Sorbonne, 2019, n° 48 (2), pp.159-167 (disponible sur Cairn :  https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2019-2-page-159.htm).  
« Petit lexique récréatif de la création sonore et radiophonique », Syntone. Actualité & critique de  l’art radiophonique [en ligne], 16/02/2018 (http://syntone.fr/projets/petit-lexique-recreatif-de-la creation-sonore-et-radiophonique/#d).  
Siméone, Christine, « Le podcast tuera-t-il le bon vieil audioguide de musée ? », France Inter [en  ligne], publié le 18/05/2019 (https://www.franceinter.fr/culture/le-podcast-tuera-t-il-le-bon-vieux audioguide-des-musees). 

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