Avec la promotion des Master 1, nous sommes parti.es en résidence d’écriture à Boulogne-sur-Mer. Accueilli.es pour l’occasion au musée de la ville, nous avons pu découvrir la collection Alaska en compagnie d’Elikya Kandot, directrice de l’institution, et de Justine Vambre, en pleine rédaction de sa thèse sur la transmission et le patrimoine partagé autour de cette même collection composée de 270 objets. Donnée en 1875 au musée, cette collection rassemblée lors du voyage d’Alphonse Pinart, un explorateur ethnologue du 19ème siècle, possède une histoire bien particulière. Tombée dans l’oubli de 1900 à 1980 et divisée entre la France et Berkeley aux Etats-Unis, elle se caractérise par un manque de connaissance et une perte de sens pour la ville de Boulogne-sur-Mer. Elle soulève ainsi la problématique de son interprétation et sa réappropriation qui pourrait être initiée à travers un échange et un partage entre les deux parties de la collection et le lieu d’origine de ces objets.
Durant trois jours, nous avons donc fait la connaissance de la collection et plus particulièrement des masques associés aux chants rituels, de leurs histoires et nous avons écrit à leur sujet, accompagné de Catherine Berthelard, animatrice de résidences d’écriture. Nous avons pu, à travers l’écriture, nous approprier cette collection, comprendre leur histoire, leur origine. La résidence d’écriture et tous ces exercices ont su tisser un lien au fur et à mesure entre les participant.es et la collection. Cet article est donc l’occasion de se pencher sur l’intérêt des résidences d’écriture, ou plus particulièrement de l’écriture comme médiation.
Image d'en-tête : Le château-musée de Boulogne-sur-Mer © M.D
Qu’est-ce que l’on entend par résidence d’écriture ?
Une résidence, de manière générale, est une forme de soutien à la création ou à l’action culturelle. Fournissant les conditions financières et techniques nécessaires, la résidence permet à tout écrivain ou artiste (chorégraphe, musicien, plasticien, …) de créer, écrire et produire une œuvre, en dirigeant éventuellement quelques actions de médiation. Institutionnalisées depuis les années 80, les résidences peuvent prendre des formes variées selon la structure et le projet que ce soit de l’ordre de la valorisation, de jeunes artistes, d’une pratique artistique, de l’expérimentation, de l’animation ou générateur de rencontre, sociale, intergénérationnelle, interprofessionnelle, ect.
La résidence peut ainsi s’apparenter à de la médiation culturelle dans la mesure où le projet et ses acteur.ices ou l’artiste en question décident de mener des actions avec les publics. Dans ce cas, la résidence ne se cantonne pas à la création de l’artiste mais vise à créer des liens entre l’œuvre réalisée et des publics. (Carole Biseniues-Penin, « Les résidences d’écrivains et d’artistes : des dispositifs de créations et de médiation »). En ce sens, la résidence incarnerait alors un médium pour mettre en relation les publics et leurs intersubjectivités avec l’objet culturel. Il s’agirait de mettre en dialogue les sujets et l’artefact, le regardeur et le regardé et d’ainsi offrir aux publics un moyen de s’approprier un objet culturel, une collection.
Une partie de la collection « Alaska » © M.D.
Des textes dans une exposition à la médiation littéraire, il n’y a qu’un pas
Cette médiation peut tout à fait se vivre avec l’écriture. L’écrit dans les expositions est, effectivement, omniprésent. Les visiteur.euses, en arpentant une exposition, découvrent des œuvres d’art, des objets et des textes. On les retrouve sur tout type de support, des cartels aux fiches de salles en passant par les panneaux et les murs. Sur un ton scientifique, humoristique, philosophique ou poétique, ils viennent partager des connaissances sur ce qui est exposé, sur la thématique de l’exposition. Ils fournissent du sens, un discours, un point de vue sur un sujet en particulier. Les clés de compréhension semblent donc, le plus souvent, passer par l’écrit. Néanmoins, ils restent lointains car écrits par une tierce personne, le(s) commissaire(s) de l’exposition ou le(s) muséographe(s) et pas toujours à la portée de tous.tes. Le vocabulaire utilisé, le ton semblent essentiels pour permettre de toucher et d’intéresser le plus grand nombre. La réception des textes d’expositions, des écrits dans les expositions reste tout de même différente en fonction de chacun.es.
Comment le public peut-il s’approprier ces écrits et se saisir du sens d’une exposition et de son discours ? En gardant à l’idée que cette médiation écrite contribue à produire du sens pour les visiteur.euses, ne serait-il pas judicieux que ces dernièr.es puissent le produire eux-mêmes ?
Venir écrire sur une exposition, une collection, un objet, une œuvre en particulier ne serait-il pas un moyen de venir s’approprier le sens, de créer sa propre interprétation et de devenir acteur de sa visite comme ce fut le cas pour la promotion des Master 1 lors de leur résidence d’écriture au Musée de Boulogne-sur-Mer ?
Tous.tes inspiré.es pour écrire sur la collection « Alaska » © M.R
Petit tour d’horizon des actions de médiation littéraire …
Dans le département du Nord, on pense à la Villa Marguerite Yourcenar, un centre de résidence d’écrivains européens. Il s’agit ici pour un.e écrivain.e ayant publié au moins un livre chez un éditeur professionnel de participer à une résidence d’écriture de un à deux mois sans devoir produire un ouvrage mais en devant participer à trois rencontres lors d’événements littéraires organisés par l’institution. Ici, cette résidence a pour objectif d’offrir aux écrivain.es sélectionné.es les moyens de rédiger un livre tout en participant à quelques rencontres. Il n’est cependant pas question d’une animation de production d’écrits avec un public autour d’une thématique, d’une collection.
Evidemment, beaucoup de musées littéraires proposent des résidences d’écriture à des écrivain.es. Parmi elles, la maison de l’écrivain Michel Butor à Lucinges dans la Haute-Savoie ou encore le Musée Rabelais, à Seuilly dans le Centre-Val de Loire, qui accueille depuis 2015 des écrivain.es en résidence. En Nouvelle Aquitaine, on retrouve le Chalet Mauriac, fréquenté par l’écrivain François Mauriac durant son enfance, qui possède un espace dédié à toutes les formes contemporaines d’écriture : de l’écriture numérique ou graphique en passant par l’écriture littéraire, cinématographique et aussi audiovisuelle ou musicale... Accueillant des auteur.es/réalisateur.trices d’une semaine à deux mois, la structure vient alors soutenir la création cinéma et audiovisuel par l’accompagnement dans l’écriture et le développement d’un long métrage.
Bon nombre d’autres musées et institutions se sont prêtés au jeu de cette action de médiation littéraire venant offrir un regard neuf et extérieur sur l’objet/le sujet en question, et bien au-delà de musées littéraires. Parmi eux, Le Muséum National d’Histoire naturelle de Paris, en 2017, qui a mis en place un atelier d’écriture pour des personnes à partir de 15 ans avec l’écrivain en résidence, Patrice Pluyette. Avec pour thème La nature exposée, l’écrivain et les participants ont écrit à la manière du roman initiatique. Ce genre littéraire, nourri par les expéditions passées et par le travail actuel de chercheurs, vient faire la jonction entre le public et cette histoire culturelle.
Autre exemple : une initiative plaçant les publics au cœur de la rédaction d’un recueil fut organisée en janvier 2017 par le Musée National de l’Histoire de l’immigration. Bernado Toro, auteur en résidence, a proposé pendant dix mois des ateliers d’écritures dans différents quartiers de la capitale. Avec des publics variés ayant un lien avec l’immigration, il a produit un recueil de dix nouvelles sur l’immigration à Paris et le regard que les migrants portent sur la société française.
Une action plus récente d’ateliers d’écriture durant l’automne 2020 dans ce même musée a eu pour thématique Ecrire sur soi ; Kidi Bebey, écrivaine, a, dans le cadre de sa résidence d’auteure au musée, animée six ateliers d’écriture à un groupe d’élèves d’une classe d’unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPEAA) d’un collège de Grigny en Essonne conduite par Bénédicte Vermogen. Ces ateliers, effectués à distance en raison du contexte sanitaire actuel, avait pour but de permettre à des élèves marqués par l’expérience migratoire d’écrire un récit sur soi et sa famille.
Vous l’aurez compris les résidences d’écriture et ateliers d’écriture ont de multiples objectifs. Elles viennent soutenir la création littéraire, elles invitent un.e auteur.e à porter un regard extérieur et singulier sur une institution, un territoire et ses habitants ou encore occasionnent pour les publics la rencontre avec un.e artiste, une œuvre, une collection et/ou une pratique artistique. Ainsi, la médiation littéraire semble être avantageuse pour les deux parties avec d’un côté, les participant.es qui deviennent acteur.ices d’un projet en étant inclus dans ce processus de production de sens, et de l’autre les institutions, à l’origine du projet, qui viennent enrichir les approches et les discours autour de l’objet culturel en question. Il semblerait que ces actions soient encore minimes et concentrées chez certains musées adeptes de ces formes de médiation. Les résidences d’écriture et plus particulièrement les médiations littéraires peuvent aider à l’inclusion des publics au cœur des expositions et actions que proposent les musées et institutions.
Manon DEBOES
Venez découvrir le carnet réalisé lors de la résidence d’écriture par la promotion des MEM1
http://formation-exposition-musee.fr/formation/projets-et-actions/37-workshops-museographie-expographie
Bibliographie
« Les résidences d’écrivain et d’artistes : des dispositifs de création et de médiation », sous la direction de Carole Bisenius-Penin, avril 2017
https://journals.openedition.org/culturemusees/1487
« La médiation écrite au musée : miroirs et jeux de miroirs », Pascal Ancel, décembre 2010
https://journals.openedition.org/ocim/378
Pour aller plus loin sur la question des résidences d’artistes
La résidence d’artiste : Enjeux et pratiques, Nicole Denoit, Catherine Douzou, Collectif, 2016.
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