Je me suis intéressée durant mon stage en muséographie au Vaisseau, un centre culturel et scientifique pour les enfants, à Strasbourg, à son état après une journée à recevoir des publics. 
Le matin, tout est beau, chaque chose est rangée à sa place, cela fait plaisir à voir. J’aime m’y balader durant la quiétude matinale une heure avant l’arrivée des premiers visiteur.euses. Quand vient la fermeture, on découvre une tout autre facette du Vaisseau. Il est revenu au calme, mais pas sans avoir connu une grosse tempête. Il a comme prit vie pendant quelques heures grâce aux enfants qui ont manipulé, rigolé, lancé, défié, gagné, parfois perdu ... Les plus grands aussi ont donné vie à ce Vaisseau, par des regards bienveillants, des mots d’encouragement et en se prenant également au jeu ! Mais voilà, dès que les publics disparaissent, les lieux, alors tout désordonnés, ne se rangent pas tout seuls. Il faut remettre les pièces de jeux dans leur boîte, relever les tabourets tombés à la renverse, retrouver les billes qui ont roulé à l’autre bout de la pièce. Qui se charge de cela ? Les enfants mettent-ils aussi la main à la pâte ? Revenons quelques semaines en arrière pour vous présenter le point de départ de mes interrogations et ce qui a suscité mon intérêt sur la question …

Le jour de la réouverture, le 19 mai dernier, après des mois sans voir de visiteur.euses, l’heure était à la fête. Nous venions tout juste de terminer un nouvel espace d’exposition permanente : La Pépinière. C’est un espace d’exposition permanente où les enfants de 3 à 6 ans peuvent explorer le tinkering – qui signifie littéralement la bricole, faire quelque chose avec ses mains –, viennent bidouiller et semer les graines de la créativité en composant des réactions en chaîne et en inventant des circuits de billes. Cette parcelle haute en couleur s’incarne comme un prolongement du jardin.

 

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La Pépinière éclairé par la douce lumière du matin © M.D

 

Il était donc temps de le faire découvrir aux publics. Nous avions tous et toutes hâte ! 
Tout était alors bien rangé, étincelant de nouveauté pour, d’abord, accueillir quelques enfants pour une séance photo. « Toujours important de bien communiquer sur les nouveautés », me souligne la graphiste du Vaisseau, qui eut la charge de la conception scénographique de ce nouvel espace. 
Clic Clac. Super : les enfants adorent. Ils jouent et touchent à tout. La Pépinière fait mouche et plait au tout petit comme au plus grand. Quel bonheur de les voir pousser la brouette créée par la nouvelle designer du Vaisseau avec l’aide de l’équipe de production. L’heure d’ouverture approche, il est temps de refaire une dernière beauté à ce nouvel espace. On range les derniers éléments qui trainent. Les billes dans un seau, les tunnels dans la brouette, chaque chose est à a sa place. 10h pétante, c’est l’heure de l’ouverture. Chacun.e regagne son poste. Ravi.e que le Vaisseau accueille à nouveau du public. 
16h45, 15 minutes avant la fermeture. Je vais, par curiosité, jeter un œil à La Pépinière. Quelle n’est pas ma surprise quand je découvre un joyeux bazar. Tout est au sol, les caisses ont été vidées de leurs éléments, les seaux et la brouette sont renversés et les tuyaux à l’intérieur étalés par terre. Ma tutrice me rejoint et s’exclame : « Je dois faire un protocole de rangement ! ».
Qu’est-ce que c’est ? Il était temps pour moi de mener ma petite enquête pour en apprendre plus sur ce fameux protocole et découvrir comment était abordée la question du rangement dans un lieu dédié aux enfants. 

 

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La Pépinière à la fin de la première journée d’ouverture © M.D

 

Nathalie Coulomb, médiatrice scientifique au Vaisseau et référente de l’équipe médiation pour l’espace de La Pépinière et Margot Coïc une des muséographes en charge de cet espace et ma tutrice durant mon stage, ont bien voulu répondre à quelques-unes de mes interrogations.
Depuis 2011, Nathalie a connu de nombreuse fins de journée où le rangement est de rigueur. Oui mais voilà, elle n’entend pas le rangement de la même manière. Il y a bien des éléments à remettre à leur place, des pièces de jeu à ranger. Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, il faut aussi démonter ce qui a été construit, résolu, réussi. Au Vaisseau, les enfants sont, effectivement, amenés à résoudre des casses têtes, construire des igloos, des ponts, mais pour les prochains jours d’ouverture, il faut tout enlever pour laisser la chance à tous.tes. Ainsi, quand vient l’heure d’évacuer les publics et de fermer les portes du Vaisseau, les médiateur.trices poussent les enfants à ranger.  « Cela fait également partie de l’activité et permet de clôturer la fin de la journée à travers le rangement » me souligne Nathalie. L’équipe de médiation aborde ce temps de rangement comme un moment privilégié pour « lui faire vivre le rangement comme un jeu afin de faciliter le retour au calme ». Bien que les enfants soient volontaires, l’équipe d’exploitation repasse derrière.

 

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Nathalie, médiatrice, en plein rangement des carrés potagers © M.D

 

Pour des espaces bien spécifiques comme La Pépinière, cela ne se passe pas de la même manière. Il faut, certes, ranger les éléments qui traine au sol, mais pas tous, il faut laisser « une dose d’invitation » et « ne pas trop faire de zèle sur le rangement ». Cette parcelle d’exposition et ses manipes reposent sur la bidouille car c’est la toute l’idée du tinkering : laisser les individus se faire leur propre expérience. Pour cela les médiateur.trices sont « des catalyseurs » ;  « on est là pour aider à donner une dynamique à cette créativité là tout en ne cherchant pas à s’imposer ». La fameuse « dose d’invitation » entre donc en jeu ici. Elle consiste à dégrossir les parcours crées durant la journée tout en conservant un début de circuit, quelques éléments inspirants pour les prochains enfants. Si cet espace est « trop » bien ordonné, lui conférant, de ce fait, un aspect aseptisé, cela peut engendrer un autre rapport avec les publics. Bien que la particularité du Vaisseau incite les visiteur.euses à manipuler, ces derniers oseront peut-être moins déranger. Pour Margot, cela peut « énormément intimider les publics qui ne vont pas forcément d’eux-mêmes pour faire les circuits ». Il faut donc des amorces, des exemples donnant envie de continuer. Par l’installation de certaines pièces de manières parsemés comme des rails accrochés au mur, Nathalie explique que cela permet de montrer les différentes possibilités qui s’offrent aux enfants. Par la suite, les muséographes souhaitent rendre les éléments de départ fixes pour pouvoir avoir toujours cette amorce mise en place et ainsi démarrer cette réaction en chaîne sans se sentir désemparé. 
Bien que les enfants aient besoin de modèles, d’amorces, pour que les manipes soient utilisées de la manière dont les muséographes l’ont envisagé, dans la pratique, les diverses activités de La Pépinière peuvent être employées pour tout autre chose. Ils sont un moyen pour les publics de s’approprier les lieux et laisser parler leur créativité. En ce sens, les animateur.trices se placent de façon à « laisser une bonne dose de liberté » pour ne pas « contraindre la pensée ». Selon Nathalie, il pourrait être intéressant de rappeler aux publics que dès lors qu’iels ont fini une activité, iels pensent à la « remettre à zéro » : dans l’état qu’iels l’ont trouvée, pour les personnes suivantes. Ainsi, l’espace et l’activité ne perd pas tout son sens offrant la possibilité à chacun.es d’essayer, se tromper, tâtonner encore et finalement réussir.

 

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Nathalie, devant le cabanon de La Pépinière, en train de créer des amorces pour les circuits à bille © M.D

 

Concernant le protocole de rangement, Nathalie m’explique que cela va de la façon de ranger chaque petite pièce à leur place à la manière dont s’organise le cabanon. Ce dernier est exclusivement réservé aux animateur.trices et ne doit pas être désordonné car visible par les publics. Une partie est effectivement conçue à partir de plaque de plexis donnant directement sur l’espace d’exposition. Il fait également partie intégrante de leur fonction notamment lors des animations. Certaines ont été pensées conjointement avec la scénographie du lieu pour s’y implanter directement. Les carrés potager, support de création d’une réaction en chaîne, deviennent alors des tables pour les activités imaginées par l’équipe de médiation. Cela est possible grâce à des planches à assembler, réalisées sur mesure par le laboratoire de production interne au Vaisseau. Ainsi, ces trois carrés potagers, n’étant pas fixés au sol, peuvent être déplacés en fonction des besoins des activités. Ils sont évidemment remis en place à l’issue de ces dernières : « Les muséographes ont fait des photos qui nous servent de modèles pour pouvoir replacer chaque carré à sa place initiale. » 
Pour Margot, le protocole de rangement est un moyen de faire passer l’espace d’exposition dans les mains du service face publics qui comprend les médiateur.trices et le service d’exploitation. Il énonce la façon dont doivent être rangés les espaces d’expositions, il en existe donc un par espace. « Pour les circuits de billes, il faut ranger les pièces pour que ce soit accessible et donc créer des séparations dans les boîtes de rangement. » Margot souligne par là qu’il y encore quelques modifications à apporter à cet espace : « des détails à régler comme les finitions pour les rangements pour que ce soient plus claires autant pour les publics que pour l’équipe de médiation. »
Effectivement après l’ouverture d’un espace d’exposition, comme ici, La Pépinière, il y a une période de 3 mois durant laquelle les muséographes viennent observer comment les visiteur.euses se comportent, noter ce qui marche, ce qui marche moins bien et ce qui pourrait ainsi être modifié, amélioré. Le tout est de voir comment vit l’exposition dans la pratique. Celle-ci peut donc être amenée à évoluer durant ces prochains mois. 

 

A travers cette petite enquête, je découvre donc une autre facette de la vie d’une exposition. Ici, au Vaisseau, ces dernières ont un destin bien particulier et sont imaginées et réalisées dans le but d’être manipulées, détournées, faisant partie d’un ensemble de découvertes et d’expériences propice aux développements de l’enfant. Le « bazar » fait donc partie intégrante du cycle de vie d’un espace d’exposition et doit donc être envisagé par les muséographes à l’aide de leur protocole de rangement et est vu comme une opportunité d’apprentissage pour les animateurs et animatrices. 
Alors si vous aussi vous avez des enfants dans votre entourage, que vous êtes friands d’expériences qui boostent l’imagination et la créativité et que vous rêvez d’apprendre la science en vous amusant, le Vaisseau est fait pour vous. Mais n’oubliez pas, ranger fait également partie de l’activité et sera apprécié des autres visiteur.euses et même de l’équipe ! 

 

Manon Deboes

 

#Rangement #Centreculturescientifique #Enfants