Le terme anglais crowdfunding vous est sûrement familier, préférons lui l’expression française de « financement participatif ». Il s’agit d’une forme de mécénat, faisant appel à un public privé à travers des dons. Le procédé consiste pour une institution à financer un projet grâce aux dons de particuliers. La démarche se fait en ligne, il existe de nombreuses plateformes dédiées sur lesquelles les projets sont légion telles que kisskissbankbank.com, commeon.com, ulule.com pour n’en citer que quelques-unes. Pourquoi un tel engouement pour cette nouvelle forme de mécénat ? En partie, parce que depuis presqu’une trentaine d’années, le financement participatif devient un des leviers majeurs de financement pour des institutions culturelles en mal de subventions publiques, en même temps qu’il attire un public de plus en plus nombreux et curieux de participer au rayonnement culturel français. Il s’agit ici de questionner surtout les campagnes de financement à travers les plateformes en ligne. Pour autant, certains musées possèdent également un service de mécénat qui leur est propre. Le crowdfunding est également révélateur d’un déséquilibre entre les musées déjà pourvus d’un service de mécénat et ceux qui n’en ont pas ; et qui passent alors par leur service de communication pour mettre en place de tels projets d’appel aux dons.
Photo 1 : La Victoire de Samothrace, restaurée grâce à une campagne de crowdfunding en 2013 ©Musée du Louvre
Le crowdfunding : pour le musée et son image
L’avantage pour l’institution culturelle concernée est d’enrichir ses collections et de perpétuer sa mission de conservation, restauration et mise en valeur des biens possédés, dans le but de les exposer au grand public. Ce genre d’événements médiatiques et financiers que sont les campagnes de financement participatif permet alors à un musée ou à une fondation de poursuivre ses missions. Dans le cas des musées et autres institutions culturelles, les campagnes de financement visent bien souvent à donner un coup de pouce à la restauration ou à l’achat d’œuvres d’art et biens patrimoniaux, à la rénovation d’espaces d’exposition ou de lieux historiques attachés aux structures culturelles ou encore à l’ouverture d’antennes.
Le crowdfunding permet donc aux musées et institutions culturelles de financer des projets relatifs à la gestion des collections. Le plus souvent, il s’agit de financer des restaurations d’œuvres. Nous pouvons en citer plusieurs comme la restauration de la Victoire de Samothrace en 2013 au Louvre, les tableaux Judith présentant la tête d’Holopherne et La Mort de Didon du peintre italien Mattia Preti au musée de Chambéry en 2018, le cénotaphe de Michel Montaigne au Musée d’Aquitaine en 2017, etc. Il peut s’agir aussi de campagnes pour l’achat d’une œuvre, c’est le cas actuellement au Musée basque à Bayonne. L’acquisition concerne le tableau Le Paon blanc de Henry Caro-Delvaille. Parfois, les financements participatifs servent également à la rénovation d’espaces muséographiques ou d’espaces historiques des musées. C’est le cas par exemple de la dernière campagne du Musée du Louvre sur leur site tousmecenes.fr. L’objectif de ce projet est de replanter la grande allée du Jardin des Tuileries et de lui redonner son aspect du XVIIe siècle.
Photo 2 : Le Paon blanc, Henry Caro-Delvaille, campagne de financement participatif pour son achat à Bayonne en 2021 ©Musée basque
Dans tous les cas, ce qui ressort de l’appel aux dons de particuliers est le besoin pour les institutions culturelles d’obtenir une aide financière dans le but de poursuivre ses projets et de perpétuer l’image du musée. D’une certaine façon, il est plus question du musée dans son ensemble, visible par le public, que de l’œuvre ou de l’espace concerné par la campagne de financement participatif. Ainsi, le crowdfunding est une manière d’obtenir de l’argent pour un projet très précis, tout en œuvrant à l’image générale du lieu culturel en question.
La gestion des collections et du patrimoine ne passe plus aujourd’hui uniquement par le fait de conserver des biens et des objets d’art ou d’histoire dans des musées. Il est attendu que les œuvres soient montrées et visibles par le plus grand nombre. La démocratisation de la culture et l’ouverture des musées s’accentuent depuis quelques années. Et cette tendance se retrouve très bien à travers le crowdfunding, qui cherche à étendre le public d’un musée et à toucher le plus de futurs visiteurs possibles. Au-delà de la conservation, le musée se doit d’être aussi et surtout le lieu de l’exposition où les projets financés doivent être visibles pour les visiteurs qui ont participé à ce financement.
Photo 3 : appel au don du Musée de Chambéry pour la restauration de deux tableaux en 2018
Les atouts du crowdfunding pour les musées
Ce type de financement revêt plusieurs intérêts pour les structures qui en sont à l’origine. D’une part, les campagnes de financement sont souvent l’occasion de campagne de communication. En effet, pour espérer recevoir des dons, il faut communiquer sur le projet soutenu. Ainsi, c’est l’image du musée qui est mise en avant, dans le but de se faire connaître davantage. L’intérêt de ces événements est donc de fidéliser un public déjà averti et habitué, mais aussi de toucher un public beaucoup plus large, dans l’espoir de le fidéliser. Et rien de tel que de lui demander de financer l’achat ou la restauration d’une œuvre pour lui donner envie de venir visiter le musée, y découvrir l’œuvre qu’il a contribué à financer comme récompense, et lui donner ainsi envie de (re)venir encore et encore. De même, il arrive que certaines institutions muséales offrent des contreparties pour remercier les donateurs : entrées pour le musée, produits de la boutique et produits dérivés. Ce sont aussi des moyens de fidéliser le public tout en jouant sur la marque du musée, en développant son image.
Pour les musées, les campagnes de crowdfunding permettent donc de toucher un public très large. Elles ont principalement lieu sur internet, rendant possible et facile un don en quelques clics. De ce fait, l’arsenal de communication mis en place se trouve présent sur les réseaux sociaux et le site internet, associé selon les musées à des campagnes de publicité dans les villes et sur les transports. L’idée même de la campagne est de faire parler de soi pour être entendu par le plus de monde possible. Plus de personnes entendront parler de la campagne, plus il y aura de donateurs. Ainsi, le crowdfunding n’est pas juste une manière d’obtenir des dons, mais c’est aussi une manière de gagner un nouveau public. Pour les institutions culturelles, c’est tout autant la communication autour du projet que le projet lui-même qui importe, dans le but de créer un lien privilégié avec son public, habitué ou non.
La démocratisation de la culture passe donc par les campagnes de crowdfunding, autant que par tous les projets mis en place à l’intérieur des musées. Internet et l’explosion des réseaux sociaux rend en effet possible de toucher un public peu habitué. Dans le cadre de tels projets, certaines structures culturelles font le choix de créer des sites internet ou des blogs afin de donner une plus grande ampleur à la campagne. Ces derniers présentent le projet et l’ensemble des recherches qui l’accompagnent, afin de montrer au public comment avance le projet. Par la suite, les sites laissent une trace de la campagne, de ses bienfaiteurs, et de l’aboutissement du projet, comme mémoire collective. C’est le cas par exemple du musée d’Aquitaine qui a créé le blog « Pour Montaigne » dans le cadre de l’appel au don pour la restauration du cénotaphe de Michel Montaigne. A la suite du financement, le cénotaphe a été restauré en 2017-2018, le blog est encore en ligne pour montrer la campagne ainsi que les travaux de restauration réalisés, mais aussi pour poursuivre les recherches archéologiques en cours.
Photo 4 : Cénotaphe de Michel de Montaigne restauré grâce à une campagne de crowdfunding en 2017, Musée d’Aquitaine ©C. L.
Une réponse au manque de subventions publiques
Il en ressort dans l’ensemble que les campagnes de crowdfunding révèlent d’un manque de financement public pour les structures muséales et culturelles. Les coupes budgétaires et le tarissement de l’aide publique conduit en effet les musées et fondations à devoir se tourner vers d’autres ressources financières. Les campagnes de financement participatif, s’adressant directement au public du musée permettent alors de combler des lacunes dans les fonds et de rendre possible des projets à l’arrêt. Pour donner une idée de l’ampleur du crowdfunding en France, le site Club innovation & culture France répertorie les diverses campagnes en cours. Pour le premier semestre de l’année 2019, c’est 524 000 € qui ont été récoltés pour l’ensemble des lieux de patrimoine français.
Pour les structures culturelles, s’essayer à ce type de financement encore moderne est aussi une façon de jouer la carte de l’innovation pour son public. Ce nouveau système économique n’est plus dépendant uniquement de l’État et du Ministère de la Culture, bien au contraire, il se rapproche de son public. C’est une façon de rendre l’art et la culture à ceux qui en profitent tous les jours, au public, et de sortir de la dépendance financière de l’argent public.
En même temps, il semble qu’au vu des coupes budgétaires, le recours au mécénat continuera. Il est d’ailleurs très populaire chez le public, souvent curieux et désireux de venir apporter sa part à l’édifice de la conservation et gestion des collections. L’idée de participer à la mise en valeur des œuvres d’un musée ou d’une fondation et de voir son nom apposé sur un panneau de remerciements conduit de nombreux visiteurs habitués ou non au lieu à donner une somme plus ou moins importante pour participer à cette grande aventure.
Le numérique a largement pris place dans les musées et fondation, les campagnes de financement participatif en font partie, se tenant essentiellement sur internet et les réseaux sociaux. Les campagnes de financement participatif offrent alors aux musées l’acquisition de nouvelles œuvres ou leur restauration, ou bien encore la rénovation d’espaces de la même façon qu’elles leur offrent un nouveau public et une image de modernité.
Clémence Lucotte
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