Place de la Concorde à Paris : la gigantesque esplanade, bien qu’envahie par le dense trafic parisien, reste un des lieux les plus emblématiques de la capitale. Sur cette place, dans l’hôtel particulier jumeau de l’actuel Hôtel de Crillon, vient de s’ouvrir au public un monument dont la gestion a été confiée au Centre des monuments nationaux (CMN) : l’Hôtel de la Marine. Daté du XVIIIe siècle et très rarement ouvert au public, ce lieu a été le témoin de siècles d’Histoire, aujourd’hui relatés aux visiteurs par un parcours dans des reconstitutions de décors d’époque et agrémenté de dispositifs numériques innovants.

 

Un destin mouvementé


C’est la Ville de Paris qui, souhaitant rendre hommage au roi Louis XV, entreprend de faire construire une place royale monumentale dans la capitale, organisée autour d’une statue équestre du monarque. Ange-Jacques Gabriel, premier architecte du roi, se voit confier la tâche.


Le bâtiment est érigé à partir de 1757 et il est décidé dès 1765 d’y installer le Garde-Meuble royal (ancêtre de l’actuel Mobilier National), et ce jusqu’en 1798. Ses intendants, Pierre-Elisabeth de Fontanieu puis Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray, sont chargés de l’aménagement du bâtiment et de la conservation du mobilier et des arts décoratifs de la collection royale, mais aussi des bijoux de la couronne et des armes d’apparat. Ils étaient également en charge de l’aménagement des résidences royales et de l’entretien du mobilier.

En 1776, le peuple avait la possibilité, à certains moments de l’année, de venir y admirer les collections royales. C’est le premier « musée des arts décoratifs » de Paris.

Après la Révolution Française et pendant plus de 200 ans, le bâtiment abrite le siège du ministère de la Marine. Beaucoup d’évènements s’y sont tenus, et c’est d’ailleurs dans une de ses salles qu’a été signé le décret pour l’abolition de l’esclavage en 1848.
C’est finalement en 2015 que les militaires quittent le lieu et que se pose la question de l’avenir du monument.

 

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                        Salle à manger de l’Hôtel de la Marine © V.E.

Après une longue réflexion et la menace pendant un temps de sa privatisation, il est décidé en 2017 de restaurer l’hôtel et de lui redonner ses éléments d’origine des XVIIIe et XIXe siècles. Les peintures d’origine ont été mises au jour en retirant les multiples couches de peinture qui s’étaient succédées au fil des siècles, jusqu’à une vingtaine par endroits.

Les décorateurs chargés du projet, Michel Carrière et Joseph Achkar, ont eu pour mission de reconstituer le mobilier de l’hôtel en s’aidant des 900 pages de l’inventaire du lieu. Ils ont identifié les éléments qui ont été conservés, et cherché des équivalents chez les antiquaires pour ce qui a été perdu. Plus habitués aux commandes pour des particuliers qu’aux monuments historiques, ils n’ont pas hésité à ajouter des objets du quotidien pour donner aux appartements un aspect « habité ».

Les travaux ont duré cinq ans, et le monument a été inauguré le 10 juin dernier. Il compte en plus d’un parcours permanent de visite un espace d’exposition temporaire, un restaurant, un café et une librairie-boutique. 

Le bâtiment accueille aussi des bureaux disponibles à la location, dans lesquels se sont installés le siège de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage, ainsi qu’une antenne de la Fédération internationale de football (FIFA).

 

Une muséographie classique mais enrichie par une visite sonore


Le parcours de visite et la muséographie sont assez classiques, le visiteur va de pièce en pièce et se laisse guider à travers des reconstitutions de décors d’époque, comme dans la plupart des châteaux et monuments historiques. Mais la présence de nombreux dispositifs numériques de médiation permet à l’Hôtel de la Marine de se démarquer et de proposer une visite plus riche.

 

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                  Visiteurs dotés d’un « Confident » © V.E.

Un casque connecté nommé « le Confident » est remis à chaque visiteur avant le début de la visite. Il a été conçu en partenariat avec le Studio Radio France, dont les équipes sont spécialisées dans le son binaural et la narration immersive. Ce ne sont pas moins d’une centaine de personnes qui se sont investies dans ce projet, dont le tournage a eu lieu au Château de Rambouillet : plus de soixante comédiens, une vingtaine de musiciens ainsi qu’une équipe de production de vingt personnes. Les scenarii de ces parcours ont été imaginés par Didier Laval, Anne Carles et Karine Chaunac. Il constitue le fil rouge de la visite, sans lui, elle perdrait une grande partie de son intérêt puisqu’il n’y a aucun cartel ou support de médiation dans les salles. 

Le visiteur doit d’abord faire son choix parmi trois parcours : « Voyage dans le temps », « En famille » ou « Le Siècle des lumières ». Puis la visite commence automatiquement, le casque détecte chaque mouvement du visiteur jusqu’à la direction de son regard, afin de le guider à travers les salles. Après un petit temps d’adaptation, il se laisse donc porter par le son. Ambiances sonores, musicales, scènes jouées par des comédiens se succèdent et invitent le visiteur à s’imaginer des personnages déambulant dans les reconstitutions qu’il a sous les yeux. Ainsi, il peut mieux saisir les préoccupations de l’époque et l’ambiance qui devait régner dans ces lieux au quotidien.

L’utilisation du son binaural rend la visite très immersive. Par exemple, un personnage peut nous interpeller dans notre dos, et il suffira de se retourner pour l’entendre de face. 

Ce mode de visite a tout de même quelques inconvénients : le casque isole les visiteurs de leur environnement et de leur entourage. Certaines personnes font sonner des alarmes et ne s’en rendent même pas compte ! Difficile alors pour les agents chargés du gardiennage des salles de se faire entendre.

Précisons que la visite est accessible aux personnes sourdes ou malentendantes, certes sous une autre forme moins captivante : une web-application disponible sur smartphone ou sur des tablettes fournies à l’entrée. Cette interface propose une visite complète en langue des signes.



Un parcours mettant les dispositifs numériques à l’honneur


Dans les salons de réception, marquant la dernière partie du parcours, relevons cinq dispositifs numériques innovants permettent au public d’approfondir ses connaissances de manière plus théorique, mais toujours dans des formes originales.

 

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 Miroirs dansants © V.E.                                 Galerie des portraits © V.E.                        Table des marins © V.E.

 

  • Les Miroirs dansants : plusieurs miroirs-écrans numériques rotatifs reconstituent les évènements qui ont pris place dans l’Hôtel de la Marine au fil des années, notamment les grands bals du XIXe siècle. 

  • La galerie des portraits : sur ce paravent s’animent des portraits de personnalités importantes pour l’histoire du monument. Interprétés par des comédiens, des dialogues permettent de mieux comprendre qui ils étaient et les relations qu’ils entretenaient.
  • La table des marins : il s’agit d’une grande table ronde dotée d’un planisphère animé au centre. Différents écrans tactiles sont disponibles, sur lesquels les visiteurs peuvent choisir une expédition navale menée par la France. Une fois le navigateur sélectionné, on peut suivre son itinéraire sur le grand planisphère au centre, tout en écoutant le déroulé de l’expédition dans son casque.

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Table de l’urbanisme © V.E.              

 

  • La table de l’urbanisme : un grand écran présentant un panorama vidéo de l’histoire de la place de la Concorde et de ses deux hôtels particuliers

 

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L’Hôtel de la Marine à la loupe © V.E.

 

  • l’Hôtel de la Marine à la loupe : il s’agit d’un plan de coupe de l’Hôtel animé par des silhouettes dont on entend les dialogues directement dans les Confidents. Ce grand écran illustre le déroulé d’une journée type au sein de l’Hôtel de la Marine. 

Ce sont donc des dispositifs très modernes qui rendent la visite plus mémorable pour le public.

 

Quelques points à soulever

Toutefois, malgré la modernité des dispositifs de médiation, quelques bémols sont à apporter : le besoin de s’adapter aux contraintes du bâtiment existant implique parfois peu d’espace pour la circulation des visiteurs, ce qui pourrait s’avérer gênant en cas de forte affluence. C’est malheureusement un inconvénient que l'on retrouve fréquemment dans les monuments historiques, du fait qu’ils n’aient pas été créés à l’origine pour recevoir des visiteurs.

Autre point plus problématique pour le confort de visite : aucune assise n’est proposée au public durant toute la durée du parcours, long tout de même d’environ deux heures. Cela peut être fatiguant en particulier pour les personnes âgées ou les femmes enceintes.

Dernier point : il est important d’être conscient de la provenance des financements qui ont permis ces importantes restaurations. Ces travaux de réhabilitation ainsi que la mise en place de dispositifs numériques coûtent cher, et c’est par le biais de certains partenariats que le CMN a pu assumer de telles dépenses. En effet, Philippe Bélaval, le président du CMN, a indiqué que sa restauration n'avait "quasiment rien coûté aux contribuables" puisque moins de 10% de son coût de 130 millions d'euros a été supporté par l'Etat, le reste étant autofinancé (par la location de d’espaces professionnels notamment) ou soutenu par le mécénat à hauteur de 20 millions d’euros. 

Parmi les accords de mécénat les plus importants citons la fondation Al Thani, organisme gérant la collection privée de la famille royale du Qatar. En échange d’une participation financière conséquente, celle-ci se verra disposer à partir de l’automne 2021 d’un espace d’exposition de 400m2 au sein du monument pour une durée de vingt ans. Ainsi, l’Hôtel de la Marine s’ajoute à la liste de plus en plus longue de lieux culturels français tissant des liens avec le gouvernement du Qatar. Le Qatar ne compte ni parti politique, ni force d’opposition, et cet état a bâti sa fortune économique sur des énergies non renouvelables (pétrole et surtout gaz). C’est aussi le pays le plus émetteur de dioxyde de carbone par habitant au monde. Un choix de mécène peu cohérent avec notre époque marquée par le réchauffement climatique.

Après quatorze ans de débats, sept ans de chantier, 135 millions d’euros de travaux, c’est un nouveau lieu qui ouvre ses portes à Paris, rendant accessible un hôtel particulier resté jusqu’ici très secret. Les Parisiens et les touristes du monde entier peuvent ainsi profiter de la vue sur de nombreux monuments parisiens et sur la Place de la Concorde réservée jusqu’à présent aux quelques privilégiés fréquentant le Palace le Crillon.

L’Hôtel de la Marine veut devenir un véritable lieu de vie au cœur du quartier de la Concorde avec ses espaces de restauration et ses cours intérieures accessibles gratuitement.

 
Valentine Equy

 

A voir :

 Documentaire en replay sur Arte.tv sur le chantier de restauration : https://www.arte.tv/fr/videos/084723-000-A/hotel-de-la-marine-renaissance-d-un-palais/ 

 


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