Jusqu'au 8 mai 2022 se tiendra, au musée des Confluences, l'exposition Jusqu'au bout du monde, regards missionnaires qui choisit d'évoquer l'un des épisodes de la constitution de ses collections. L'exposition présente des objets ramenés du monde entier en les associant aux parcours de vie des missionnaires qui les ont collectés.
À l'origine, un dépôt des Œuvres Pontificales Missionnaires. Dépôt participant à la constitution et à l'enrichissement des collections du musée des Confluences. En son sein, une multitude d'objets divers rapportés par des missionnaires catholiques français partis évangéliser le monde à la fin du 19ème siècle. Avec l'exposition Jusqu'au bout du monde, regards missionnaires, le musée des Confluences choisit d'aborder la question des Missions à travers plusieurs prismes. Tout d'abord c'est là l'occasion d'interroger le rôle du musée, démarche déjà à l'origine de l'exposition Les trésors d’Émile Guimet sur la création d'un musée des religions à Lyon en 1879 par le voyageur et collectionneur du même nom, et de Dans la chambre des merveilles réinterprétant les cabinets de curiosités lyonnais.
L'introduction du parcours d'exposition revient sur la création, à Lyon, de l’Œuvre de la Propagation de la Foi en 1822, qui soutient le départ de milliers de jeunes hommes et femmes religieux vers l'Océanie, l'Asie, l'Afrique, ou les Amériques, afin d'évangéliser les populations. Celle-ci fut créée sous l'impulsion de Pauline Jaricot, qui dès l'âge de 20 ans, en 1819, imagine une collecte afin de recueillir des fonds matériels et financiers pour les Missions. Cette idée mènera trois ans plus tard à la création de l’Œuvre.
Pauline Jaricot, initiatrice de la fondation de l’Œuvre de la Propagation de la Foi
© Jean-Loup Charmet / O.P.M.
Dans le but de contribuer à attirer des soutiens mais aussi de susciter de nouvelles vocations, sont diffusés périodiquement les récits de vie des missionnaires dans un journal, les Annales de la Propagation de la Foi, rédigées et imprimées à Lyon dès 1822. Une entreprise réussie au vu du nombre de tirages important, qui témoigne d'une curiosité et d'une soif d'aventure bien réelle chez un public pour qui les Annales sont bien souvent la seule source de connaissances des cultures étrangères. Cette publication continuera en 1868 sous le nom de Les Missions Catholiques et se tournera davantage vers les aspects les plus pittoresques des pays de mission.
L'envoi à l'Œuvre de la Propagation de la Foi des objets collectés sur le terrain par les missionnaires, constitue la preuve de leur présence sur place. Ces objets étaient maladroitement exposés (en ce sens qu'ils ne bénéficiaient d'aucune mise en lumière pour être appréciés) dans le musée de l'Œuvre, dont l'une des photos de la salle est visible dans l'introduction de l'exposition, imprimée en grand format sur une cimaise. Cette photographie a d'ailleurs permis aux conservatrices de reconstituer un objet dispersé à plusieurs endroits.
Salle du Conseil et du musée de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, 1943
© O.P.M.
Autel funéraire familial reconstitué, butsudan
© musée des Confluences – Olivier Garcin
Une exposition riche
Une fois l'introduction passée, notre voyage expographique peut commencer. Sur le plan visuel le visiteur n'est pas déçu : le contenu est riche sans trop l'être et les objets sont attractifs. Leur variété, justifiée par la diversité des lieux de collecte et par les préoccupations des missionnaires lorsqu'ils en ont : démontrer l'état de misère religieuse dans lesquelles se trouvent les peuples autochtones, valoriser un savoir-faire, illustrer un trait culturel, ou simplement explorer un centre d’intérêt, empêchent une lassitude de s'installer.
Exposition "Jusqu'au bout du monde, regards missionnaires" au musée des Confluences
© musée des Confluences – Bertrand Stofleth
Les objets exposés sont regroupés en cinq grandes parties : quatre d'entre elles restituent simplement l'origine géographique continentale de ces derniers (dans l'ordre de visite : Océanie, Asie, Afrique et Amériques). La dernière partie réunit quant à elle des objets dont le lien entre eux est directement lisible par le visiteur : instruments de musique d'une part et maquettes de bateaux d'autre part.
La scénographie est semblable à ce à quoi le musée des Confluences nous a habitués : le tout est épuré, l'espace est sombre mais les lumières bien dirigées et assez fortes (une intensité faisant parfois défaut dans d'autres expositions du musée). L'espace entre les différents plateaux est bien calculé et les couleurs, sobres et complémentaires, mettent en valeur les expôts. Notons ici le fait que plusieurs des objets ethnographiques exposés ne sont pas sous vitrine, chose rare mais appréciable lorsqu'on peut se le permettre.
Exposition "Jusqu'au bout du monde, regards missionnaires" au musée des Confluences
© musée des Confluences – Bertrand Stofleth
Enfin, le mobilier central contenant différents audiovisuels qui restituent la parole de missionnaires, se fond dans l'espace et permet une accessibilité confortable pour une personne en fauteuil.
Plongée sonore au cœur de récits missionnaires
Si la collecte d'objets fait partie des Missions, celle-ci n'occupe cependant qu'une place secondaire dans ses objectifs. L'enjeu de l'exposition apparaît alors clairement indiqué : derrière les objets présentés, faire état du parcours de vie de certains missionnaires les ayant collectés. Ces récits sont peu connus du grand public, encore moins des plus jeunes, et participent à la restitution d'une histoire riche, même si le manque de sources pour restituer la vision des différents peuples autochtones rend le regard unilatéral (exception faite de Jean-Baptiste Pompallier, missionnaire mariste parti en Nouvelle-Zélande auquel une vidéo est consacrée). En plus des présentations de chaque missionnaire et de citations à proximité des objets présentés, l'exposition fait le choix d'incarner certains récits en les faisant interpréter par des comédiens. La sélection s'avère révélatrice d'un ensemble de faits : partir en Mission est une entreprise périlleuse, les voyages sont longs et difficiles, le missionnaire est bien souvent livré à lui-même sur un territoire qu'il ne connaît pas, aux conditions climatiques parfois très rudes (évoquons notamment Joseph Bernard parti en Alaska), parlant une langue qu'il ne pratique pas, et ayant en tête l'idée d'y finir sa vie. Si les Missions peuvent être souvent vues, dans l'imaginaire commun, comme liées à une entreprise coloniale, l'exposition permet de restituer la réalité de l'engagement missionnaire. Nous sont rapportés plusieurs témoignages de missionnaires mobilisés dans différentes parties du monde. Ainsi, Joseph Gabet et Évariste Huc, partis ensemble en 1844, nous content leur périple de 18 mois, à dos de cheval, de mulet ou de chameau, de la Mongolie jusqu'à Lhassa, capitale du Tibet. Alexandre Le Roy, premier français à gravir le Kilimandjaro, fut un défenseur du rôle scientifique du missionnaire : ses dessins, qui témoignent de cultures rencontrées et de la faune et flore observées en Tanzanie et au Gabon, sont remarquables.
Oiseaux du Tana d’après les dessins d’Alexandre Le Roy
© Archives générales du Saint-Esprit
Enfin, Joseph Bernard, surnommé « le curé le plus proche du pôle Nord », nous parle de sa mission en Alaska, où il vécut la plupart du temps seul avec son attelage de chiens, au rythme des autochtones. L'ensemble des récits audio est illustré par des photographies d'époque ou des dessins.
Joseph Bernard avec ses chiens, St Mary's Igloo, 1910
© O.P.M.
La diversité des témoignages nous permet surtout de comprendre ce qui nous apparaît finalement si logique : le regard posé sur l'autre dépend, une fois sur le terrain, en majeure partie de la personnalité du missionnaire, bien que celui-ci soit forcément convaincu d'apporter la civilisation salvatrice à ces peuples. Missionnaires qui ont pu contribuer à la connaissance de cultures méconnues, non seulement grâce aux objets envoyés ou rapportés, mais aussi au travers de lexiques ou dictionnaires cherchant, par nécessité de compréhension et d'intégration dans une culture, à retranscrire phonétiquement des langues jusque là seulement héritées d'une tradition orale. Notons par ailleurs l'effort fait par l'exposition pour rendre compte de l'implication des femmes parties en Missions. Plus nombreuses encore que les hommes et pourtant restées peu visibles, elles partent souvent dans le but d'échapper à leur condition et leur perspective d'évolution dans leur société d'origine. Ces dernières ayant la possibilité d'accéder plus facilement à la sphère intime du noyau familial, leur mission est centrée sur le soin, l'éducation des femmes et des enfants, et la diffusion des valeurs chrétiennes.
Timbre représentant Françoise Perroton, première femme missionnaire à Wallis et Futuna
© Samuel Hense / Hans Lucas
Médicaments préparés par Suzanne Aubert
© Sisters of Compassion
Une contextualisation bienvenue
Un entretien avec Claude Prudhomme, ancien professeur émérite d'histoire contemporaine à l'Université Lumière Lyon 2, constitue le véritable cœur de la compréhension globale. Son intervention contextualise les Missions, leurs objectifs, leur fonctionnement, les difficultés rencontrées, leur lien avec la colonisation, l'évolution de leur perception dans le temps, ainsi que le changement d'axe d'observation opéré par les musées missionnaires pour s'adapter au regard de l'époque. Il nous permet ainsi d'apprendre que la mission d'évangélisation était conçue comme dépendante d'une mission civilisatrice, que l'école était au centre de ce dispositif, et que l'objectif était avant tout de former un clergé local. La question de la prise en considération de la culture locale est par ailleurs approfondie, nous permettant de comprendre qu'elle était une directive essentielle formulée par le pouvoir catholique. Le missionnaire devait être à même de pouvoir distinguer les pratiques païennes contraires à la foi chrétienne, de celles qui ne la gênaient pas, et de celles qui pouvaient y être rattachées. Un jugement qui variait bien entendu selon le missionnaire en question. Enfin, nous apprenons que la christianisation s'est diffusée et développée avec la décolonisation et non la colonisation, et parfois même dans des pays non-colonisés (la Chine par exemple). Si l'on aurait aimé voir ces informations mises plus en avant, d'autant plus lorsqu'on apprend à travers cet entretien que la collecte d'objets reste finalement très secondaire dans l'objectif missionnaire, elles restent une bonne conclusion à l'exposition.
Une exposition intéressante pour ce qu'elle est, mais aussi pour ce qu'elle pourrait ouvrir comme horizon. Un premier pas dans une histoire mal connue du grand public, et qui pourtant aurait sûrement des avantages à l'être, permettant une prise de recul bienvenue dans notre époque. En effet, si les musées sont des lieux de conservation, de recherche, et d'expositions, ils n'en restent pas moins des lieux d'ouverture vers le débat, tant ils peuvent laisser à penser. Ils ne devraient donc pas faire l'impasse, par crainte de réactions, sur des sujets dont l'influence, les répercussions, sont encore d'actualité, et qu'ils sont les rares à pouvoir aborder au détour d'un divertissement culturel pensé et non d'une flambée médiatique.
Lucas Perrus
Exposition : Jusqu'au bout du monde, regard missionnaires – du 18 juin 2021 au 8 mai 2022 Superficie : 250 m² Cheffe de projet : Marianne Rigaud-Roy Référentes des collections : Deirdre Emmons, Marie-Paule Imberti & Marie Perrier Scénographie : Emmanuelle Garcia & Étienne Lefrançois Graphisme : Emmanuelle Garcia |
Pour aller plus loin :
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Claude Prudhomme, Missions chrétiennes et colonisation : XVIe-XXe siècle, Éditions du Cerf, 2004.
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Claude Prudhomme (dir.), Une appropriation du monde : mission et missions, XIXe-XXe siècles, Éditions Publisud, 200.
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Lien vers l'événement et podcast sur le sujet