Fêtes antiques de Bibracte, fêtes d’Arkeos, fêtes galantes de Chambord, ces structures culturelles ont fait le choix de la reconstitution historique pour valoriser leur patrimoine. De plus en plus nombreuses chaque année, ces manifestations de l’« histoire vivante » se déclinent sous un large panel, de la fête, au marché en passant par les spectacles et les ateliers. Bien que fort plébiscités par les publics et connaissant un fort succès, ces événements de valorisation du patrimoine historique sont considérés par de nombreux experts comme des événements folkloriques qui desservent les sciences historiques. La reconstitution historique médiévale se développe majoritairement dans les châteaux ou centres d’interprétation, peu dans les musées, là où la reconstitution historique de la grande guerre s’y développe largement. Faisons un tour rapide de ces pratiques et de ce qu’elles révèlent d’une nouvelle approche de la médiation du patrimoine.

image d'intro : Reconstitution historique au parc archéologique d’Arkéos, (Source : Cédric Arnould pour département du Nord)

Qu’est-ce que la reconstitution historique ?

Issue d’un mouvement anglo-saxon de la fin des années 1960, la reconstitution historique est une pratique de mise en avant du patrimoine, de manière vivante, en faisant vivre aux visiteurs des moments de l’histoire. La reconstitution historique joue sur le sensible et la mise en scène auprès du visiteur. Dans le cadre des visites de musée, elle sert d’appel aux publics peu habitués des musées qui participent alors activement à la médiation qu’elle représente. Souvent issus du milieu associatif, les reconstitueurs sont des bénévoles passionnés d’une époque donnée, intervenant en fêtes historiques à la demande des musées ont pour objet la réintégration de l’espace (architecture, collections, musée, bâtiment architectural …) dans son époque (sa chronologie réelle ou d’évocation par la fête médiévale).
Le souci archéologique dans ces manifestations historiques s’éloigne à mesure que l’endroit où il prend place s’éloigne des lieux de conservation du patrimoine (MH, musées…), poussant le principe de la reconstitution historique jusque dans ses limites, en reniant parfois l’historicité.


A la reconstitution historique, s’opposent ainsi aux mouvements moins scientifiques que sont l’évocation, ou encore le grandeur nature (GN), à ne pas confondre avec la reconstitution historique. L’évocation désigne les compagnies qui cherchent à restituer l’ambiance d’une époque donnée, parfois au détriment de l’historicité des objets restitués. Le GN désigne quant à lui une rencontre entre des personnes, qui interagissent physiquement dans un monde fictif à travers le jeu de personnages. Le GN n’a pas de teneur historique.

Toucher un nouveau public, faire rentrer de l’argent

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Carriers, château de Guédelon (Source: château de guédelon, tous droits réservés)

 

Cette visée de rentabilité de la reconstitution historique tient particulièrement au succès du Puy-du-fou, célèbre parc à thème historique vendéen. Ce parc donne l’impression de reconstituer l’histoire pour les visiteurs qui ne connaissent pas le milieu, pour autant, il ne s’agit pas là de reconstitution mais de divertissement. Au sein des reconstitueurs, le Puy-du-fou fait débat, son manque de rigueur historique lui est reproché, alors que selon ses propres termes, le parc ne vise pas l’exactitude historique mais a plutôt pour objectif de mettre en scène une image collective d’une époque selon la manière dont elle est imaginée par les visiteurs. Là où les reconstitueurs cherchent à déconstruire des préjugés, le Puy-du-fou les renforce.

Ces démarches au sein des musées français restent marginales, en comparaison avec la croissance qu’elles connaissent dans les châteaux français, et plus encore dans les musées américains. C’est ce que rapporte Maryline Crivello, professeur d’histoire à l’université Aix-Marseille. Elle insiste sur le fait que la plupart des musées américains ont mis en place cette dimension ludique qui mêle parc d’attraction et reconstitution. Entre l’argument patrimonial et l’argument économique, le compromis est au service d’un “tourisme ludo-économique”.
Cet attrait de la reconstitution historique a bien été repéré, notamment par de nombreuses collectivités et structures culturelles qui succombent au charme des événements de reconstitution historique plus “classiques”. Elles ont la plupart du temps pour objectif d’attirer un nouveau public dans leurs structures muséales, notamment le « non public » (qui ne va pas au musée), ou ceux qui s’y rendent peu.

Entre 2016 et 2017, Jacqueline Eidelman, conservatrice générale du patrimoine a mené la mission “Musées du XXIe siècle”. Il en ressort que sur les visiteurs interrogés, 91% estiment que les musées sont insuffisamment adaptés au jeune public. La reconstitution historique permet de renouer le lien avec le public d’une manière informelle, sans visite guidée. Lors des camps ou de reconstitution, organisés par les associations, les reconstitueurs vivent selon les principes de l’époque restituée. Les visiteurs sont invités à découvrir un camp médiéval par exemple, dans ses moindres détails, des tables aux tentes, en passant par la nourriture ou encore l’artisanat. En déambulant dans le camp, l’expérience du visiteur est alors enrichie par l’apport d’informations de la part des reconstitueurs sous la forme de discussion ou de médiation informelle. Les reconstitueurs d’histoire vivante comme ils se définissent parfois dépoussièrent ainsi l’histoire et les périodes parfois boudées par les Français (ex : les périodes médiévales jugées sombres et sales) pour en débouter les préjugés.

Comme le souligne Thomas Dunais, président de l’association de reconstitution les Ambiani, les événements de reconstitution ressemblent à du spectacle pour le public peu habitué, ils sont le « néon qui clignote », pour attirer du public à se rapprocher de l’histoire, de l’archéologie, en se rendant par la suite dans des structures culturelles spécialisées.
Cette logique est bien comprise par les élus des collectivités. Des objets d’appels sont alors largement valorisés sur les affiches correspondant à ces évènements, tels que les chevaliers, ou encore des sorcières pour des évènements médiévalisant autrement moins historiques.

Michel Rouger, directeur du muséoparc d’Alésia partage cette idée que la reconstitution historique permet d’attirer du public si les professionnels qui la réalisent sont bons et sérieux. Ce site appuie fortement sa programmation culturelle sur cette idée. Dans sa communication, le site promet aux visiteurs une “immersion dans la vie gallo-romaine”., que ce soit par des visites guidées théâtralisées ou des week-ends de reconstitution historique. Il insiste que tant que les informations transmises dans ces événements sont véridiques, alors la forme peut être aussi ludique et innovante que souhaitée d’autant plus que les tutelles des musées et structures culturelles publiques leur demandent d’attirer plus de publics : alors le renouvellement des médiations est encouragé. Le muséoparc d’Alésia apparaît comme pionnier en la matière.

HAMMOUM Janvier 2022 Reconstitution IMG 2 Fetes romaines du Muséoparc dAlésia

Fêtes romaines du Muséoparc d’Alésia (Source: Le bien public)

 

HAMMOUM Janvier 2022 Reconstitution IMG 3 Visite théâtralisée au Muséoparc dAlésia

Visite théâtralisée au Muséoparc d’Alésia (Source: muséoparc Alésia)

Un rendez-vous avec l’histoire ?

La reconstitution historique joue un rôle de médiation culturelle en tant qu’elle sert d’intermédiaire entre un contenu culturel et le public. Le reconstitueur est ainsi par extension un médiateur du contenu qu’il transmet, habitant ainsi ce contenu pour mieux le rendre tangible par le public. Evelyne Bouchard conforte cette idée du reconstitueur comme médiateur en faisant une analogie entre un guide et un reconstitueur. Le guide apprend ainsi ses informations, puis les communique au public, là où le reconstitueur les apprend et les met en pratique, donnant ainsi une plus-value au public lors de ses échanges.

Dans un musée historique, les cartels, aussi bien décrits et expliqués soient-ils, ne prennent de sens que lors de leur réception par le récepteur, selon ses connaissances, sa compréhension des variations de la langue et sa culture personnelle. Le message peut être mal interprété. Lors d’ateliers en costume, les musées peuvent trouver leur intérêt en la présence de reconstitueurs capables de faire découvrir au public la fonction de telle ou telle clé, en la mettant en action, là où le cartel peut se révéler insuffisant. La reconstitution historique dans les salles des musées, agit ainsi en activateur du médium textuel ou iconographique (textes de section, cartels …), réveillant aussi la curiosité d’un visiteur, là où l’intervention d’un guide ne donne pas nécessairement envie d’en savoir plus.
C’est cette démarche qu’a choisi le château de Foix, où les animations enrichissent le contenu textuel mais aussi déclenchent un échange avec le public.

Quelle démarche pédagogique derrière ces évènements pour les structures culturelles ?

Comme pour tout événement culturel propre à une structure culturelle, les reconstitutions historiques répondent à un objectif précis émis par un musée, comme celui de transmettre des connaissances sur une période donnée, ou une société donnée. Ainsi, les fêtes médiévales pour grand public et touristes juxtaposant des périodes et aires géographiques éloignées renforcent les clichés et à priori des visiteurs sur une époque en multipliant les raccourcis malheureux.

Une bonne reconstitution historique doit équilibrer scénario et historicité, cet équilibre entre message des historiens, de l’institution muséale et de la compagnie concernée doit être véritablement réfléchi. Ainsi, une définition précise de l’objectif de l’événement est nécessaire : s’agit-il d’un divertissement culturel pour le grand public, d’une manière d’attirer un maximum de touristes, ou d’un événement de reconstitution historique à vocation scientifique ?
Dans le cas d’un événement à vocation scientifique, plusieurs médias sont convoqués, à savoir, des objets médiateurs, des ateliers pédagogiques et des expositions faites de décors ou de costumes, qui transposent le discours scientifique des historiens pour le rendre accessible aux visiteurs.

Cette transposition se fait par plusieurs biais :

⦁ La linguistique : discours historique

⦁ L’analogie : représentation des techniques de l’époque via des reconstitutions

⦁ La métonymie : témoigner d’une époque par les objets

⦁ Les objets médiateurs

 Entendre et oublier, voir et se souvenir, faire et comprendre. Cet adage, qui a fait naître cette réflexion sur la reconstitution historique au parc Le Bournat résume l’intérêt cognitif de la reconstitution historique pour transmettre un contenu culturel. Les objets reconstitués, qu’on appelle « objets médiateurs » aident ainsi à vulgariser, ou du moins à simplifier le discours linguistique porté par les reconstitueurs. 

Les reconstitueurs s’appuient également sur des éléments emblématiques des époques restituées, telles que les chevaliers, épées ou armures. Ces « objets d’appel », comme ils sont qualifiés, attirent et de fixent l’attention d’un visiteur, là où une fois suffisamment impliqué dans la découverte, un contenu plus fin est injecté. Cette technique permet à la personne d’aborder des aspects variés d’une époque donnée à partir d’un élément emblématique.

Associer événement de reconstitution historique et mission éducative et scientifique du musée, un gage de qualité

Pour bien organiser un événement de ce type, et apporter un contenu scientifique au public, trois aspects sont à prendre en compte avec attention par le professionnel de musée qui les organise.
Tout d’abord, essayer d’associer un scientifique ou un historien à la sélection de la compagnie et aux dialogues avec elle. Bien qu’il s’agisse d’une pratique gourmande en temps, elle est souvent garante d’un événement de reconstitution réussi. D’autant que le travail conjoint entre reconstitueurs et chercheurs des musées a permis de faire gagner en sérieux à la discipline, comme le souligne Thibaut Hycarius, reconstitueur et vidéaste.

Les partenariats entre le monde muséal et le monde de la reconstitution historique ne se nouent pas uniquement au niveau des responsables de services des publics, mais gagnent de plus en plus l’intérêt des directeurs de musées. Laure Barthet, directrice du musée Saint Raymond de Toulouse partage cet engouement : « Les deux mondes communiquent enfin et s’interpénètrent. Il y a une génération de professionnels de musées qui sont aussi reconstitueurs. […] L’histoire vivante, ça fait toujours un carton. On casse la distance avec les objets et avec la matière historique. On établit un lien direct, réel. »

HAMMOUM Janvier 2022 Reconstitution IMG 4 Les fetes romaines du theatre antique dorange

Les fêtes romaines du théâtre antique d’orange (Source: le dauphiné libéré)

 

Également, les villes antiques d’Orange et de Nîmes accueillent chaque année des reconstitutions de jeux romains dans leurs amphithéâtres, en sous-traitance avec Culture Espace. Pour garantir une crédibilité à ces événements rassemblant plusieurs centaines de reconstitueurs, l’entreprise s’entoure d’experts et de scientifiques du sujet, majoritairement universitaires
Ensuite, il est très important de recruter la compagnie sur dossier et références, comme cela se ferait pour un artisan. Comme le souligne Laura Barthet, directrice du musée Saint Raymond de Toulouse, il y a des bons et des mauvais reconstitueurs, certains ont un très bon matériel et de beaux costumes mais sont de mauvais médiateurs, d’autres, au contraire sont capable d’être très bons en spectacle mais mauvais d’un point de vue scientifique. C’est pourquoi il faut bien cadrer la demande lorsqu’on la réalise et qu’il est nécessaire de connaître le milieu de la reconstitution pour savoir quoi surveiller.

Alors comment reconnaître une compagnie sérieuse dans sa démarche ?

Un premier élément à prendre en compte est l’ancrage historique et géographique porté par la compagnie. Les évolutions techniques dans l’histoire médiévale ou encore contemporaine transforment régulièrement les modes de vie . Ainsi, une compagnie sérieuse ne peut pas prétendre reconstituer cent ans de l’époque, sans quoi, les sources historiques utilisées par la compagnie concernée seront floues, comme le discours qui en résulte. Il en va de même pour l’aire géographique choisie, pour les mêmes raisons.

Conformément aux missions du musée, - concevoir et mettre en œuvre des actions d’éducation -, le musée ne peut contribuer à la diffusion d’idées reçues ou fausses sur une période donnée. Une bonne compagnie de reconstitution sera en mesure de fournir au musée des sources appuyant les animations ou ateliers qu’elle mettra en place.
Des ateliers de démonstration sont souvent proposés par les associations de reconstitution, pouvant porter sur du tissage, des ateliers de cotte de mailles … Pour autant, comme un médiateur construit un atelier pédagogique, une bonne compagnie sera en mesure de construire la trame de son atelier selon des objectifs pédagogiques ou d’apprentissage qui lui seront propres, et selon des ressources historiques. Ainsi, un atelier sur la cotte de mailles sera l’occasion d’immerger progressivement le visiteur dans l’artisanat médiéval et d’évoquer tant la place du chevalier que de l’artisan, là où une animation sur l’alimentation fera prendre conscience aux visiteurs de l’importation massive des légumes actuels. Dans ces ateliers, l’histoire est ainsi mise en avant au-delà du spectaculaire et de la fiction. L’intérêt historique pour les musées de faire appel à ce type de médiations vivantes se joue principalement dans l’équilibre trouvé ou non entre ateliers sourcés et démonstrations spectaculaires, où des ressources archéologiques et historiques sont utilisées pour évoquer des combats mais qu’une chorégraphie de démonstration transforme en spectacle. L’imagination dépasse ainsi bien souvent l’historicité du moment.

Basée sur des bases archéologiques réelles, une adaptation spectaculaire de l’histoire peut ne pas basculer dans la fiction, l’issue de la bataille de Bouvines par exemple est respectée. Aussi faut-il apprendre à faire la différence entre évocation, reconstitution et GN (grandeur nature).

Claire Hammoum–Faucheux

Pour aller plus loin :  

- EIDELMAN J. (dir.) Musées du XXIe siècle, Ministère de la Culture et de la Communication, 2017

- MATIAS S. La reconstitution historique : une médiation pour parler de l’histoire. Sciences de l’Homme et Société. 2020. 

- Sphères 4, Les reconstitueurs, janvier 2021

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