Après cinq années de préparation et de tournage dans le monde entier, l'Odyssée Sensorielle a ouvert ses portes en octobre aux jardins des plantes sous les espaces de la grande galerie de l’évolution. Annoncée comme une exposition-événement qui plonge le visiteur au cœur de la nature en éveillant ses sens, relève-t-elle de l'exposition ou seulement de l'expérience ?
intro : Salle « Évasion du Grand Nord » ©Aimé Sonveau
Attraction des nouvelles technologies
L’Odyssée Sensorielle a pour objectif de transporter le public dans un voyage au « cœur du monde vivant ». Le mot « cœur » est révélateur d’une volonté de jouer sur les émotions en mobilisant les sens plutôt qu’une volonté d’immersion totale jamais véritablement atteinte. Pour tenter d’y parvenir, les concepteurs associent au visuel sons et odeurs. Une promesse qui a le don d’attirer le public de tout horizon. Les images sont projetées sur des murs majestueux qui encerclent complètement ou en partie le visiteur.
Le parcours en huit salles montre les animaux, les insectes voire même les bactéries à l’état sauvage. En descendant sous la galerie de l’évolution vers l’Odyssée Sensorielle, deux textes invitent le visiteur à se laisser porter par ses sens pour faire place à son ressenti. La promesse est séduisante et attire sans aucun doute le public par son aspect inédit. Mais est-ce vraiment une exposition qui transmet des savoirs à son public ou plutôt un spectacle immersif qui donne à voir de belles images ?
Avant même d’entrer dans l’espace d'exposition, le visiteur fait face à une situation familière, celle de la file d’attente pour une attraction. La queue s’allonge tandis qu’un écran décompte les minutes avant le prochain « départ ». Mais de quel départ s’agit-il ? Celui du voyage sensoriel ou celui du dernier manège à la mode ?
Entrée de l’exposition ©Aimé Sonveau
Si la projection n’est plus si novatrice au vu des expositions « spectacles » comme celles de l’Atelier des Lumières, elle attire toujours de plus en plus le public avide de numérique. Bien plus que l’ambiance sonore qui reste elle aussi courante, le summum de la nouveauté réside dans le développement de fragrances qui s’associent aux images et au sons pour créer une ambiance totale. La promesse est plus ou moins tenue selon les salles. Sûrement parce que les odeurs plus subtiles du froid ou de l’air marin ne font pas le poids face aux masques qui couvrent le nez et la bouche de tous les visiteurs. à cela. s’ajoute un manque d’interaction avec le visiteur qui pourrait par exemple s’attendre à être écholocaliser par une chauve-souris dans la troisième salle.
Salle « Sur la piste de l’écholocalisation » ©Aimé Sonveau
Au-delà de déceptions techniques, l’immersion dans la nature n’est pas totalement assurée par le visuel, notamment lorsque le visiteur se retrouve face à des insectes filmés sur fond noir plutôt que dans leur environnement naturel. En ces temps de surenchères techniques et technologiques pour rendre l’expérience de plus en plus esthétique et sensible, l’immersion semble un mode de communication privilégié, mais qu’apporte-t-il au propos de cette exposition et comment le conjuguer avec les autres partis pris ?
Ni textes, ni signalétiques ?
Le support textuel accompagne traditionnellement les expositions permettant ainsi de dérouler un discours scientifique, aborder un sujet selon un axe spécifique à l’exposition, questionner. À première vue, l’Odyssée Sensorielle abandonne les classiques textes de salles, cartels et éléments de signalétique. Ces derniers apparaissent parfois subtilement dans les projections telles que les lucioles qui se dirigent toutes vers la suite du parcours. Finalement le visiteur découvre en fin de parcours que l’ensemble des supports de textes sont rassemblés dans la salle qui évoque le voyage. Pour autant, l’absence de texte est-il synonyme d’absence de propos ?
Salle « L’océan, du récif corallien à la pleine mer » ©Aimé Sonveau
Si le propos n’est pas explicité par des textes de salle ou des cartels, il apparaît en partie à travers l’expérience même. Lorsque le texte d’introduction assure que « l’essentiel est perceptible par [n]os sens », le visiteur est invité à se faire confiance, à faire confiance à son instinct (animal). Il peut comprendre beaucoup sans forcément que ce soit dit et le dispositif mise sur les observations du visiteur tout en faisant naître la curiosité. L'esthétisation de la nature à travers les prises de vue tend à effacer l’urgence climatique dans laquelle nous sommes. Seuls les plus observateurs le remarquent avec la couche que porte un cachalot dans sa mâchoire ou lorsque, dérivant sur des morceaux de banquise, le public voit, entend et ressent chaque vibration de la glace qui s’effondre. À l’inverse des expositions traditionnelles où le visiteur est bombardé d’informations à chaque salle, ici l’information se fait attendre. L’homme veut ce qu’il n’a pas. L’absence de texte a donc deux effets : celui de ne pas déranger l’expérience sensorielle du visiteur mais aussi de faire naître sa curiosité. Sensible aux images et aux ambiances face auxquelles il s’émerveille, des questions émergent tôt ou tard durant l’expérience : quel est cet animal ? Pourquoi a-t-il ce comportement ? Où vit-il exactement ?
Retour d’exploration
Salle « Retour d’exploration » ©Aimé Sonveau
Les observations et les questions qui ont pu naître durant l’expérience trouvent réponses dans la salle Retour d’exploration qui clôture l’exposition. Elle concentre les textes de salles, les cartes indiquant où les images ont été filmés, les noms des animaux que le visiteur a pu observer. Si tout est rassemblé dans une même et unique salle, cela reste néanmoins lisible grâce à la fresque qui orne les murs et le jeu de lumière qui compartimente chaque partie de cette fresque.
Salle « Retour d’exploration » ©Aimé Sonveau
Cette concentration d’informations dans la salle « Retour d’exploration » s’inscrit dans la continuité de l’immersion sensorielle puisqu’elle permet au public de continuer ses observations. Il y a très peu de chances que le visiteur lise tout mais il peut piocher ce qui l’intéresse.
Salle « Retour d’exploration » ©Aimé Sonveau
Après l’expérience sensorielle, le visiteur peut ici faire l’expérience des sens du monde animalier. Au centre, une table propose de nombreux dispositifs permettant de découvrir comment voient, entendent, sentent, et ressentent les animaux croisés au cours de la visite. Ci-dessus, les moustaches du morse s’illuminent lorsqu'il détecte un objet devant lui. La sensibilité de l’animal est ainsi matérialisée et rendue visible.
L’Odyssée Sensorielle reste une exposition. La connaissance est transmise d’un point de vue sensible dans un premier temps à travers l’expérience immersive. Puis elle est offerte en fin de parcours dans un format plus classique de textes dans la salle Retour d’exploration. Cette dissociation de « l’œuvre multimédia » et du propos laisse la place à l’émotionnel. Susciter l’émotion chez le visiteur le rend plus curieux et disposé à aller chercher les informations mis à sa disposition. Le dispositif numérique prend alors tout son sens.
Aimé Sonveau
Pour aller plus loin :
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