Les Abattoirs de Toulouse présente jusqu’en août 2022 une exposition manifeste consacrée à l’artiste française ORLAN. L’exposition propose un parcours de textes spécialement écrits pour les enfants. Qu’est-ce que cela implique pour la médiation de l’exposition ?

image d'introduction : Vue de la nef © M.B

 

Depuis le début de sa carrière dans les années 1960, ORLAN s’est emparée de nombreux medium : peinture, sculpture, photographie, robotique et bien sûr performance. Conçue en collaboration avec l’artiste, l’exposition présente son œuvre sous l’angle de la sculpture. Engagée dans l’art féministe et l’art charnel qu’elle a elle-même théorisé, son corps est au centre de son œuvre et de sa réflexion.

Au fil d’un accrochage de photographies et de la présentation de sculptures et autres objets, l’exposition revient sur plusieurs performances marquantes de ORLAN, des MesuRAGEs à ces célèbres chirurgies esthétiques en passant par le Baiser de l’artiste lors de la FIAC 1977.

Quelques vidéos sont présentes dans les salles, mais l’essentiel du discours est délivré dans les textes présents dans chacune des 8 salles du parcours. Dans certaines salles, aux côtés des textes principaux, des textes sont spécialement destinés aux enfants. Comment l’exposition s’est-t-elle rendue accessible à un jeune public ?

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Le texte de salle principal accompagné du texte de salle pour enfants dans la nef © M.B

 

Le poids des mots, le choc des images

Envisager la visite du public enfant demande de s’interroger sur ce qu’il y a à voir et à dire, et si c’est adapté pour ce public.

Les œuvres et performances d’ORLAN sollicitent une conscience des problèmes sociétaux, des inégalités et des déterminismes mis en place depuis des siècles. Son œuvre est profondément engagée et politique. Elle aborde le féminisme, le racisme, la religion, les injonctions et stéréotypes de genre, les critères de beauté... ORLAN invite à réfléchir et à déconstruire les clichés et les codes ancrés dans la société, pour que chacun.e s’en émancipe.

Prenons en exemple les performances et détournements d’ORLAN au sujet de l’histoire de l’art. Pour apprécier pleinement le geste d’ORLAN, il faut un certain nombre de prérequis : connaitre les tableaux qu’elle détourne (ici Botticelli, Ingres ou Courbet en l’occurrence) ; avoir conscience de l’idéalisation et de la sexualisation projetées sur le corps féminin dans la peinture occidentale ; mais aussi de l’absence des femmes artistes dans l’histoire de l’art. Avec tous ces éléments en tête, le geste d’ORLAN de réinvestir tableaux et musées pour attirer l’attention sur la place des femmes (qu’elles soient modèles ou artistes) prend plus de sens et permet plus de réflexions.

Suivant le même principe, les performances chirurgicales pratiquées depuis 1990, plus spectaculaires, mobilisent également différents concepts. Ces opérations visent à interroger les normes et les diktats de beauté, qui touchent en particulier les femmes, la banalisation de la chirurgie esthétique ou encore le regard, voire le jugement que nous portons sur l’apparence d’autrui.

La présentation de l’œuvre d’ORLAN requiert donc une médiation importante pour donner aux publics toutes les clés de compréhension nécessaires.

Au-delà des mots, la forme même des œuvres présentées entre en jeu dans l’accessibilité de l’exposition pour les enfants. De par les thèmes travaillés par ORLAN, certaines œuvres ne sont pas des images qu’on montre spontanément à des enfants. De la nudité, du sang ou un visage tuméfié par les opérations chirurgicales, de telles images peuvent choquer les plus jeunes. Cela dépend évidemment de la sensibilité de chacun et de ce que les parents acceptent de montrer ou non à leurs enfants, mais l’impact visuel de certaines œuvres doit être pris en compte.

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Vue de la salle « Musée ORLAN » © M.B

 

Rien à cacher !

Le musée a choisi de ne pas limiter la visite des plus jeunes. Ce sont les parents qui décideront de ce qu’ils montrent ou non à leur enfant, mais, théoriquement, rien ne leur est caché.

Seule la salle « Performances chirurgicales » est précédée d’un panneau avertissant les âmes sensibles que le contenu de la salle pourrait les heurter. Pour autant, il y a un texte dédié aux enfants dans cette salle, preuve que rien dans cette exposition ne leur est interdit d’accès.

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Vue de la salle « Performances chirurgicales » et son texte pour les enfants © M.B

 

Les textes « Pour les enfants »

Le musée a mis à disposition du public enfant des textes de salle spécialement adaptés à leur âge. Signalés par la formule « Pour les enfants » et par des pictogrammes représentant un enfant accompagné d’un adulte, ils donnent soit un contenu général sur une salle entière, soit une explication d’une œuvre précise, à la manière d’un cartel détaillé.

Ils fonctionnent avec un système de questions-réponses. Deux ou trois questions sont posées pour interpeler le lecteur et introduire la médiation sur l’œuvre et le message transmis par ORLAN. Les textes sont écrits avec des règles proches du FALC et tutoient le lecteur, pour installer un discours plus impersonnel et accessible.

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Textes pour les enfants sur les photographies Corps-sculptures et L’Origine de la guerre © M.B

 

Mais qu’en est-il du fond ? Nous avons évoqué plus haut que la médiation de l’œuvre de ORLAN supposait une compréhension, ou au moins une sensibilisation à divers concepts politiques, sociologiques voire philosophiques. Les textes pour enfants n’ont pas fait l’impasse sur cette médiation. Des notions telles que le féminisme, les critères de beauté, les diktats religieux, les stéréotypes de genre sont abordés. Les termes sont simples et l’explication va à l’essentiel, mais les enfants ont ainsi une base pour comprendre le travail de ORLAN. Ces explications sont certes simplifiées par rapport à la réalité de la situation, mais c’est suffisant pour sensibiliser un public jeune à l’art engagé de ORLAN à des problématiques sociétales contemporaines, auxquelles ils seront confrontés dans un futur plus ou moins proche.

Pour autant, cette initiative pèche par manque d’attractivité pour les enfants. La forme et le graphisme ne sont pas particulièrement attirants pour un jeune public. La lecture de ces textes n’encourage pas à l’interactivité et ne permet pas de dynamiser la visite, alors qu’un jeune public tire plus profit de sa visite quand il en est acteur par des activités diverses. Mais le musée propose également pendant les vacances des ateliers pour les enfants (ciblé 6 – 10 ans, probablement une tranche d’âge similaire à celle attendue dans l’exposition) pour explorer l’aspect sculptural et performatif de son œuvre.

De par leur proximité avec le texte classique, on peut cependant penser que ces textes serviront de base pour les familles pour visiter ensemble l’exposition, chacun ayant un niveau de lecture adapté à son âge. Les questions peuvent aussi servir à engager le dialogue entre les enfants et leurs parents. Le texte pour enfant permet également aux parents de s’en inspirer pour expliquer eux-mêmes le contenu si leur enfant ne veut ou ne peut pas lire. Le pictogramme semble aller dans ce sens. Il représente un parent et son enfant, invitant à une lecture du texte en famille, plutôt qu’à une activité en autonomie de l’enfant.

En dépit d’œuvres qui peuvent être difficiles d’accès par les problématiques qu’elles soulèvent, les Abattoirs proposent une médiation claire et facile d’accès pour les enfants, sans faire l’impasse sur des notions politiques et engagées, preuve que tous les sujets peuvent être expliqués, même aux plus jeunes.

Myrrha Bouly

 

Pour aller plus loin

  • Amandine Duclos, Franck Philippeaux et Marie-Sylvie Poli, « De l’utilité du « texte enfant » au musée », Lettre de l’OCIM, n° 132, 2010, pp 28 – 33.

  • Audrey Van Dorpe et Lucie Scamps, « Des livrets pour accompagner les enfants dans les musées », Lettre de l’OCIM, n° 120, 2008, pp 4 – 10.

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