Angoissée par le dérèglement climatique, c’est à reculons que j’ai visité l’exposition Tout contre la Terre du Muséum d’Histoire Naturelle de Genève. A quoi bon une énième exposition angoissante et culpabilisante sur le réchauffement climatique ? Pourtant, ce titre, Tout contre la Terre, a piqué ma curiosité.
Image d'intro : Mur des émotions de l’exposition Tout contre la Terre au MHN de Genève ©M.T
Tout contre la Terre ou tous contre la Terre ?
Tout contre, en contact direct, juste à côté, ne laissant aucun écart avec quelque chose. Tout contre toi, une expression pleine de tendresse et de bienveillance.
Tout contre la Terre, qui nous héberge, nous nourrit, nous l’aimons en retour. Et pourtant, à l’aube de la sixième extinction de masse, nous sommes tous contre la Terre. Le Muséum d’Histoire naturelle de Genève tente, à travers cette exposition, de nous faire prendre conscience de la nécessité d’avoir une relation respectueuse et bénéfique avec la Terre. Comment ?
Les équipes du muséum ont réfléchi à cette question. Ne voulant pas faire une énième exposition angoissante et culpabilisante sur le réchauffement climatique, ils se sont penchés sur nos émotions.
Depuis longtemps nos émotions sont mises en confrontation avec la pensée rationnelle, or d’après les recherches menées pour l’exposition, nous avons besoin de ces dernières pour bien fonctionner. Nos émotions nous montrent ce qu’il y a d’important dans nos vies, elles influencent nos décisions. Dans une crise environnementale, quelles sont les bonnes émotions à avoir ? De la peur à l’éco-anxiété et de la colère à l’agressivité.
La visite commence dans le hall par des chiffres clés sur “la grande accélération”. Des graphiques et des data donnent les clés de compréhension sur l’Anthropocène, les développements socio-économiques et leurs conséquences sur la biodiversité. Après cet état des lieux sommaire, les artistes qui ont collaboré avec le Muséum, sont présentés : 1011, Fabian Branas, Patrick Chappatte, Aline Kundig, Alessandro Pignocchi, Gabriel Ruta et Maëva Schito.
L’accès à ce hall est gratuit afin que tout le monde puisse avoir accès aux connaissances gratuitement, j’apprécie l’initiative.
Graphique présenté dans le hall de l’exposition Tout contre la Terre ©F. Marteau
How dare you ?
L’exposition, en deux grandes séquences, débute en nous rappelant les dérèglements environnementaux illustrés par les collections du muséum et interrogés par les œuvres des artistes. Cette séquence est une succession de claques scientifiques. La première salle est sombre et une bande son diffuse des bruits d’orage et autour de nous sont exposées les limites planétaires. Des lumières clignotantes vertes, oranges et rouges nous montrent le degré de gravité de l’érosion de la biodiversité, de l’acidification des océans ou encore la pollution chimique. Ce début très brutal est un choix afin d’écarter tout climatoscepticisme. Mais la brutalité ne s’arrête pas là, le visiteur est invité à écouter le très célèbre discours de Greta Thunberg en 2019 aux Nations Unies. La phrase “How dare you” restera ancrée dans votre cerveau jusqu’à la fin de l’exposition.
Graphique des limites planétaires ©F. Marteau
La visite se poursuit avec 4 alcôves à la suite, présentant les comportements toxiques de l’humain sur l’environnement et les solutions possibles. Pour appuyer la toxicité de l’humain, des planches de bandes-dessinées nous accompagnent jusqu’à la fin de l’exposition. Ce fil rouge est un dialogue entre un Petit rhinolophe et une Pie-grièche écorcheur qui montre le bouleversement de la vie des animaux.
Bande-dessinée de F. Branas, dialogue entre un Petit rhinolophe et une Pie-grièche écorcheur ©M.T
Même si l’exposition se veut pleine d’espoir, certaines scénographies font l’effet d’un électrochoc. Il est difficile de se représenter les 3400 animaux inscrits sur la liste rouge des espèces en voie d'extinction critique. L’artiste Gabriel Ruta, dans son projet 2635 Un plaidoyer pour nos frères, s’est donné la mission de tous les représenter. Ses œuvres sont exposées dans une petite pièce à l’esthétique d’un cimetière. Ainsi scénographié, le projet 2635 est un hommage à ces animaux qui vont disparaître si nous ne faisons rien.
Salle du projet 2635 Un plaidoyer pour nos frères de Gabriel Ruta ©M.T ; projet 2635 ©GabrielRuta
La forêt des mots
Comment exposer des émotions ? Le Muséum a trouvé une solution : écrire les mots, écrire une forêt de mots pour nous confronter à nos émotions. Au milieu de cette forêt, une clairière est là pour éclairer la place et le rôle des émotions dans cette crise environnementale. Et nos émotions influencent nos décisions. Preuve en est que nos émotions positives peuvent mener à des actions durables : le “Warm glow” est ce sentiment chaleureux que nous ressentons après un comportement prosocial. Aussi, les bonnes actions entraînent plus de bonnes actions, et la conséquence sont des comportements plus durables. Cette deuxième et dernière séquence va nous aider à trouver et comprendre nos émotions.
La forêt des mots ©M.T
Et demain ?
Après avoir compris que les émotions peuvent être un allié contre le dérèglement climatique, le visiteur est amené à écouter le philosophe Dominique Bourg qui analyse la situation et donne des pistes de réflexions. Ses paroles sont illustrées par les dessins de Alessandro Pignocchi.
Dessin de Alessandro Pignocchi ©A. Pignocchi
Pour terminer l’exposition, le visiteur se questionne sur ses propres émotions face à la crise écologique. Il est invité à observer la roue des émotions et trouver celle qui lui correspond face à la crise. Une fois trouvée, il la note sur un papier et la glisse dans le “ventre de la Terre”. Pour ma part, j’y ai inscrit deux mots : Culpabilité et espoir. Grâce à l’exposition j’ai gagné en espoir mais je n’ai malheureusement pas perdu en culpabilité.
Salle de la roue des émotions ©M.T
A la sortie de l’exposition se trouve un grand mur rempli de post-it, toutes les émotions des visiteurs y sont collées.
Mur des émotions ©M.T
Alors, à quoi bon une énième exposition angoissante et culpabilisante sur le réchauffement climatique ? Tout contre la Terre est une exposition grand public et pédagogique. La scénographie y est d’abord brutale puis douce et calme. Chercheurs et artistes s’unissent pour nous aider à mieux comprendre ce qui nous entoure. Oui c’est une exposition angoissante sur le réchauffement climatique parce que le réchauffement climatique est angoissant. Mais nos émotions peuvent nous aider à prendre de bonnes décisions et changer le cours des choses.
Je ne suis pas la seule à avoir été bouleversée : à la fin de l’exposition, ceux qui le souhaitent peuvent participer au podcast Tout contre la Terre. A écouter, pour ses interventions sincères et poignantes. Mais vous pouvez aussi vous y rendre, l’exposition se termine le 25 juin 2023.
Mélanie TERRIÈRE
Pour aller plus loin :
- Le site internet de l’exposition Tout contre la Terre du Muséum d’Histoire Naturelle de Genève
- Le Podcast Tout contre la Terre
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