Les enjeux soulevés par le développement durable sont fondamentaux et liés à l’avenir de notre société. Sans pessimisme accru ou alarmisme militant, on peut affirmer que les dégradations de notre environnement naturel remettent en cause le futur de notre civilisation, tout du moins dans sa forme actuelle. 

Le milieu expographique cherche à agir pour limiter drastiquement son empreinte écologique sur les écosystèmes et la santé des individus, mais prend-il réellement en compte l’impact numérique dans cette équation ? Quel rôle jouent les nouvelles technologies numériques caractérisées par une très grande rapidité d’évolution ? Ce qui était nouveau il y a un an, est déjà dépassé en termes de puissance, de fonctionnalité et d’esthétique graphique. Et le renouvellement continue des produits ne va pas sans générer des coûts élevés. Par ailleurs, la gestion, le développement et la maintenance de ces dispositifs dans les expositions représentent un coût humain et donc financier important pour les institutions muséales. Est-ce le levier qui pourrait leur faire prendre en compte l’impact écologique de l’utilisation du numérique ?

Image d'intro : Exposition numérique 'Venise Révélée' au Grand Palais Immersif (Paris) - Photo de C. Favreau (19/10/22)

Des solutions 

Pour pallier l’impact écologique de l’actuelle utilisation en masse des dispositifs et contenus numériques dans les expositions, la Bibliothèque nationale de France (BnF) en 2011, tout comme Universciences un an auparavant, ont créé un guide de recommandation concernant la scénographie et le développement durable. Il explique la notion d’éco-conception qui « consiste à intégrer l’environnement dès la phase de conception des produits, qu’il s’agisse de biens, de services ou de procédés, selon une approche globale et multicritère » (p.9). L’objectif de la démarche est de diminuer autant que possible les impacts environnementaux des expositions sur leur cycles de vie, sans remettre en cause les critères de performance, de qualité, de coût et de délais fixés par l’institution. Il s’agit de penser la nécessité, la durabilité, sinon la réutilisation et l’ergonomie de chaque dispositif utilisé, que cela concerne les vitrines, l’éclairage, les dispositifs numériques, les cartels ou tout autre élément de l’exposition. Lors de l’éco-conception d’une exposition, le but recherché est finalement d’optimiser l’utilisation de matière première, ainsi que la consommation énergétique des dispositifs. Pour le numérique, cela se traduit par le choix de technologie qualitative afin de faire durer l’utilisation le plus longtemps possible, le choix de matériaux recyclés idéalement, tout en prêtant attention à la consommation d’énergie du dispositif. Les choix doivent se réfléchir au-delà de la salle d’exposition. Par exemple, analyser le cycle de vie d’un ordinateur depuis les mines chinoises pour extraire les composantes des batteries aux décharges à ciel-ouvert du Congo. En effet, l’éco-conception ne se limite pas à l’exposition seule, mais se pense avant, pendant et après cette dernière. En élargissant le regard sur la chaine opératoire d’une exposition, il est possible de faire des choix responsables en privilégiant les circuits courts, et quand cela n’est pas possible, en préférant une entreprise acheminant ses produits par bateaux plutôt que par avion par exemple. La pratique du commerce équitable d’une entreprise est aussi très impactant. Autant de choix qui limiteront l’impact carbone du dispositif choisi, et qui s’appliquent au numérique comme à l’entièreté des choix muséographiques et scénographiques. 

Des actions

Cependant, l’impact du numérique sur l'environnement ne se limite pas à l’utilisation seule d’un dispositif, la production et le stockage sur support numérique participe également activement à la pollution et à la destruction des écosystèmes. L’impact écologique des centres de données et des hébergeurs web est d’importance. Pour pallier cela, l’entreprise CarboAcademy, par exemple, met en avant le terme de « green computing » comme mode d’emploi de réduction de l’impact environnemental des équipements informatiques. La mise en veille ou hors tension des appareils y est clairement mise en avant, tout comme la prolongation du cycle de vie des appareils électroniques. Le « green computing » c’est aussi optimiser la consommation énergétique du site internet de l’institution muséale, en limitant l’utilisation de vidéo ou GIF, et en diminuant le poids des images. C’est aussi limiter la production de contenus (documents, photos, vidéos) dont le stockage est aussi énergivore, ainsi que d’en limiter les innombrables copies faites « par sécurité ». Plus concrètement, 288 milliards de mails sont envoyés chaque jour dans le monde et chaque envoi équivaut en moyenne à laisser une ampoule allumée pendant 24 heures. Si nous pouvons tous facilement agir sur cet exemple avec une utilisation plus rationnelle de la fonction « répondre à tous », ou bien en se désabonnant à des listes de diffusion ne nous concernant pas directement, etc., quelle politique de sobriété numérique un musée peut-il mettre en place en gestion interne tout comme en communication ? En l’occurrence, opter pour un hébergeur vert peut énormément impacter à la fois la consommation du musée mais peut aussi inciter les autres hébergeurs web à fonctionner aux énergies renouvelables et à avoir une meilleure gestion de leurs déchets. Pour exemple, l’hébergeur IONOS s’engage sur ces principes écologiques. Le type de datacenter choisi peut aussi se faire selon cette même ligne directrice. Les serveurs virtuels notamment, proposent un fonctionnement actif – et donc énergivore – uniquement lorsque qu’ils sont utilisés. Cet état de veille automatique réduit la consommation d’énergie. Des serveurs mutualisés existent aussi, si le site d’un musée n’a pas besoin d’un serveur au maximum de ses capacités en continu, et pour éviter de gaspiller de l’énergie, il est possible de partager ses serveurs avec d’autres institutions. 

Mais dans les faits … 

Cette liste non exhaustive d’actions et de solutions proposées ici – et ne se limitant finalement pas aux dispositifs numériques seuls – est malheureusement encore trop peu prises en compte par les directeurs d’institution, collectivités, conservateur, muséographes, scénographes, régisseurs, artisans, etc… qui ont tous leur part de responsabilité écologique. Malgré les solutions existantes, les musées et centres d’expositions accusent un sérieux retard en la matière. Autant nationales qu’internationales, petites et grandes structures confondues, rares sont celles qui stipulent une prise en compte de l’impact écologique de la présence de numérique dans leurs expositions. Certaines se disent tout de même sensibles à la problématique en cherchant le réemploi de dispositifs ou matériaux d’anciennes scénographies… L’urgence climatique n’ayant jamais été aussi pressante, une telle passivité est déconcertante et interroge. Pourquoi les musées ne prennent-ils pas leur part de responsabilité écologique ? Pourquoi les collectivités ne les incitent-elles pas à mener des actions concrètes et impactantes ? Cela ne peut pas être par manque de financement puisque la réduction de l’impact environnemental va couramment de pair avec une réduction des coûts énergétiques. Le blocage tient peut-être alors au manque de temps pris à réfléchir sur le confort routinier de chacun, peut-être trop ancré. 

Néanmoins, l’éco-conception numérique, bien que peu réalisée pour le moment, est un sujet qui prend sa place dans les conférences, séminaires, tables rondes et autres regroupements de professionnels des expositions. Ces derniers ont finalement conscience de l’urgence à ce que les musées – et autres centres d’expositions – prennent leurs responsabilités écologiques à tous les niveaux, mais cependant, peinent encore à identifier par où commencer se changement, et comment le réaliser.  


Coline Favreau

Pour aller plus loin : 

 

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