Les Archives Nationales (AN) ont présenté du 5 février au 30 juillet 2022 une exposition temporaire, intitulée Au Salon des arts ménagers (1923-1983) sur le site de Pierre-sur-Seine (93). L’exposition présente un évènement emblématique du XXe dédié aux innovations techniques et technologiques destinés à la sphère domestique. Ce rassemblement, désormais disparu, avec l’apparition des boutiques, marque durablement les souvenirs. Aujourd’hui chaque marque gère son image et sa présentation au public sans passer par l’organisation d’un salon institutionnel. L’affiche présente un environnement très masculin malgré le thème de la vie domestique traditionnellement dévolu au monde féminin. L’exposition interroge une histoire de la consommation et permet de réunir ménagères et militantes pour l’égalité au détour des stands scénographiés.
Image d'intro : © Photographies - Farida Bréchamier
Dialogue entre archivistique et muséographie
Le premier salon organisé à Paris s’est tenu en 1923 aux Champs de Mars puis a été déplacé au Grand Palais en 1928. Il a été organisé par Jules-Louis Breton, personnage politique et homme de sciences qui souhaitait mettre en avant les progrès techniques, l’utilisation de l’électricité au foyer et faciliter l’usage de l’espace domestique. L’évènement accueille en son temps des milliers de visiteurs et s’étend sur plus de 5 000 mètres d’exposition, de stands et de réclames publicitaires.
Le commissariat scientifique de l’exposition à Pierrefitte-sur-Seine est assuré par le personnel des Archives Nationales : Sandrine Bula, conservatrice en chef du patrimoine aux AN, Marie-Eve bouillon, historienne, chargée d’étude aux AN et Luce Lebart, historienne de la photographie, commissaire d’exposition. Elles ont pu compter sur un fonds conséquent transmis en 1985. Martine Segalen, sociologue spécialiste de la famille, décédée en juin 2022, a également participé au catalogue de l’exposition.
Le salon a été porté par Jules Louis Breton, créateur et premier directeur de l’Office national de recherches scientifiques et industrielles, l’ancêtre du CNRS. L’exposition a donc largement puisé dans le fonds versé par le CNRS. L’organisation du Salon a pris fin en 1983 et ce fonds a été versé aux Archives Nationales en 1985 à la suite de la dissolution du commissariat général du Salon. Le fonds comporte aujourd’hui environ 40 000 tirages photographiques soit 350 mètres linéaires, mais aussi des vidéos, affiches, brochures et a beaucoup influencé les choix scénographiques proposés par l’atelier Deltaèdre : « La scénographie rend un clin d’œil ludique à l’univers visuel saturé et chatoyant du salon en mettant en scène une série de stands correspondant chacun à l’une des thématiques avec de nombreuses évocations d’enseignes, de logos, de publicités servant à la fois de décors et de supports de médiation. »1
© affiche de l’exposition / Archives Nationales
© Fonds historique / CNRS Photothèque
Une exposition immersive et ludique aux archives
La circulation n’est pas linéaire, l’espace présente un rondpoint central et donne sur des allées transversales. Les supports de médiations audiovisuels fourmillent sans faire l’économie d’encarts présentant des éléments de contextualisation apportent un éclairage bienvenu sur l’ensemble des visuels mis à disposition. Comme le parcours n’est pas linéaire, chaque ilot peut être abordé indépendamment, ce qui accentue la sensation de déambulation, le visiteur ne s’arrête alors à un titre qui nous alpague ou une couleur qui accroche notre regard.
Chaque îlot encartonné présente un thème tel que la fabrique du salon (architecture), les concours des appareils ménagers (pratiques commerciales), les employés de salons (travail), la mythification du salon (communication et publicité). Il est possible d’entrer dans chaque îlot ou d’en faire le tour puisque l’extérieur présente également des expôts. Chaque thème est divisé en 5 à 10 sous-thématiques accompagnés d’archives.
Des espaces indiquent également des focus qui précisent une thématique en dehors des ilots comme le taylorisme appliqué aux ménages. Ils reprennent pour cela la charte graphique de la réclame publicitaire. Le rendu est saisissant, la sensation de foule, le bruit, la perte de repère au milieu des stands. Pourtant ce n’est pas un frein à la compréhension de l’ensemble et rend parfaitement l’effervescence de ces évènements. Une grande frise chronologique permet de voir l’évolution du Salon mais aussi son insertion dans un contexte plus large. De nombreuses statistiques apportent des chiffres sur la fréquentation de l’événement.
De l’archive à la muséographie
Les expositions temporaires aux archives ont pour objectif de valoriser les fonds à disposition dans le centre. Cette typologie d’exposition implique l’archiviste en tant que vulgarisateur d’un fonds et commissaire. Tous les archivistes n’ont pas la possibilité d’exercer au sein d’une institution telle que les AN. Un archiviste en poste en entreprise ou dans une institution publique malgré une formation similaire n’aborde pas forcément la question de la médiation et de la valorisation des archives dans ses missions. C’est donc une possibilité gratifiante de voir prendre une forme muséographique à des fonds détenus et étudiés.
Cependant, l’aspect immersif aurait gagné à présenter des objets d’époque du Salon et à s’affranchir des archives. Plus de traces matérielles des salons auraient pu être prêtés par les entreprises qui conservent souvent des objets dans leur propre démarche d’archivage, par des musées plus axés sur la technique et la science, ou par des particuliers sur un appel des Archives nationales. Cela a été fait par le musée de l’Immigration qui présente dans sa galerie des objets obtenus par collecte.
En outre nous disposons finalement de peu d’informations socio-économiques sur les visiteurs du Salon et les utilisateurs de ce type d’objets. Le regard des entreprises manque également, notamment concernant leurs stratégies et leur choix de passer du Salon aux supermarchés à partir des années 1980.
La conception d’une exposition gagne en qualité grâce aux caractère transdisciplinaire du commissariat scientifique, entre professionnelles des archives et un commissaire d’exposition spécialiste de photographie. De façon générale, l’exposition est donc une réussite sur le plan de sa simplicité, et gagnerait à être présentée dans divers endroits. L’exposition s’étend sur 380 m2 aux Archives Nationales, a été réalisée avec un budget de 50 000 euros HT. C’est un excellent exemple d’une bonne exposition demandant peu de moyens, ce qui est une préoccupation récurrente pour les personnels des archives.
Hélène Raboteur
1 Source : Atelier Deltaedre, consulté le 27, octobre 2022, [en ligne], URL : https://atelier-deltaedre.com/references/au-salon-des-arts-menagers-1923-1983. ↩
Pour en savoir plus :
- https://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/au-salon-des-arts-menagers
- https://www.grandpalais.fr/fr/article/dossier-pedagogique-un-grand-palais-pour-les-arts-menagers
- Pour plus d’images sur le salon des arts ménagers, consultez le dossier sur CNRS Images : https://images.cnrs.fr/archives/le-salon-des-arts-menagers.
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