Qui n’a jamais rêvé d’entrer dans un musée et de toucher. Toucher les œuvres, ne pas être frustré, touché, retouché, caressé. C’est ce que les visiteurs sont invités à faire dans L’art et la matière, Prière de toucher, qui propose une autre manière de découvrir les œuvres et de visiter une exposition.
Prière de toucher itinère depuis 2019 et est le fruit d’une collaboration entre six musées des beaux-arts (Nantes, Lyon, Lille, Rouen, Bordeaux) dont le musée Fabre de Montpellier à l’initiative du projet. L’exposition a posé ses valises à Rouen du 26 mars au 18 septembre 2022.
Image d'intro : Exposition Prière de toucher, Musée des Beaux-Arts de Rouen, août 2022, ©Nathalie Delzenne
Une « contemplation tactile »
L’exposition ouvre une autre problématique qui est l’importance des sens au-delà de la vue. Privé de ce sens, nos repères sont perturbés, le visiteur découvre les sculptures les yeux bandés. S’il ne s’agit seulement de reproductions de sculptures des collections des musées, tout est mis en œuvre pour retrouver la sensation exacte de la matière, le poids des reproductions est identique.
L’exposition a été réalisée avec des personnes souffrant de déficiences ou handicaps visuels, qui ont contribué à l’écriture des textes des audio-guides. Fournis à l’entrée de l’exposition, ils nous décrivent les œuvres minutieusement.
Dix sculptures sont présentées de manière circulaire, il n’y a pas d’ordre ou de parcours spécifique. Une première salle donne accès à une première entrée en matière pour « apprendre à voir avec les mains » L’exposition se divise ensuite en quatre modules indépendants « Voir autrement » ; « Toucher avec son corps » ; « L’atelier du sculpteur » ; « Prière de toucher » sur les techniques de sculpture, le geste du sculpteur et les matières utilisées. Des outils à disposition permettent de reproduire le geste du sculpteur, un casque de découvrir les bruits d’un atelier. Enfin le visiteur approche son nez pour sentir la pierre, le bois, le plâtre travaillés.
Exposition Prière de toucher, Musée des Beaux-Arts de Rouen, septembre 2022 © Marion Blaise
Exposition Prière de toucher, Musée des Beaux-Arts de Rouen, septembre 2022 ©Marion Blaise
Une visite inédite
Nathalie, éducatrice auprès de jeunes déficients intellectuels scolarisés en IME, a souhaité leur vivre l’expérience « prière de toucher ». Les six jeunes concernés avaient entre 12 et 15 ans, présentant tous une déficience cognitive (troubles de l’attention, de la compréhension, spatiaux-temporels ou de la concentration). Issus de milieux plutôt défavorisés où les découvertes culturelles ne sont pas habituelles, les jeunes se montrent toujours avides d’apprendre et d’être confrontés à de nouvelles découvertes, ce que leur lieu de vie très rural ne permet pas facilement.
Les attentes éducatives de cette visite sont une approche nouvelle d’œuvres d’art, répondant aux besoins sensoriels des jeunes accompagnés : découverte des textures, concentration sur les consignes de l’audio-guide, mise en lumière dans leur tête de ce que découvraient leurs mains…mais également de pouvoir rendre accessible un environnement, des réalisations, des œuvres.
Exposition Prière de toucher, Musée des Beaux-Arts de Rouen, août 2022, ©Nathalie Delzenne
Dans l’accompagnement de ces jeunes au quotidien, il s’agit toujours de donner du sens : tout doit être éclairé dans sa fonction, son utilité ou sa beauté, que ce soient des mathématiques, de l’histoire ou de la découverte du monde, ou encore des actes de la vie quotidienne. Les éducateurs se doivent d’aider les jeunes à enrichir leur vocabulaire pour une meilleure compréhension du monde en parallèle d’une expression de leurs ressentis.
Cette expérience culturelle et sensorielle a répondu pleinement aux objectifs visés.
Les enfants ont vérifié à plusieurs reprises qu’ils avaient bien le droit d’explorer avec leurs mains. Et après chaque découverte, ils ont échangé avec Nathalie ou avec les médiateurs de l’exposition, sur leurs impressions : ce qu’ils avaient aimé, imaginé, ressenti « agréable, doux, bizarre », se conseillant les uns les autres sur les œuvres intéressantes.
Cette expérience a pu être prolongée par la visite du muées des Beaux-Arts et on en mesure sa réussite lorsque certains ont pu dire « ça doit être doux comme la statue de femme tout à l’heure », ou encore « ça me fait penser à ce que j’ai touché tout à l’heure, ça devait y ressembler, c’est tout rond comme les formes ».
Exposition Prière de toucher, Musée des Beaux-Arts de Rouen, août 2022, ©Nathalie Delzenne
Nathalie a pu en relever tout l’intérêt et en faire part à l’équipe après la visite. Elle a exprimé quelques limites à dépasser pour aller plus loin dans l’idée de s’adapter encore davantage à ce public à besoins particuliers : les audio-guides enfants peu nombreux et n’existant pas pour toutes les œuvres présentées, ce qui est frustrant pour les jeunes. Le texte écouté est un peu long et mériterait plus de dynamisme. De même, si le visiteur explore les œuvres avec un bandeau sur les yeux, seule l’une d’entre elles est cachée derrière un rideau. Ce fut la plus appréciée par les jeunes, ne sachant vraiment pas à quoi s’attendre. Il s’agit de La Rieuse, dit aussi Bacchante aux roses n°2 de Jean Baptiste Carpeaux, en résine chargée de poudre de marbre.
En effet pour le visiteur lambda, ayant besoin d’enlever son bandeau pour se déplacer dans la pièce, les œuvres sont visibles et appréhendées avant même d’être touchées, ce qui est dommage. Un bandeau pouvant angoisser certaines personnes, le rideau est une solution pour une expérience sans stress.
Enfin, le choix des œuvres est assez large et donne lieu à de jolis moments. Ainsi, Bradley, 14 ans, a eu un moment de recul en caressant derrière le rideau un buste en marbre d’une femme nue, demandant s’il avait vraiment le droit de la toucher là, mais a pu dire ensuite sans l’avoir vue, qu’elle était vraiment jolie. Les enfants peuvent se rendre compte de la matière de l’œuvre. « C’est froid, c’est de la pierre ! », « C’est du bois ? »…
Il serait intéressant, d’aller en bout de l’exposition en mettant en place une réelle expérience dans le noir complet. Les visites de groupes ou à deux (avec un guide et un visiteur) sont plus appropriées.
« L’art et la matière Prière de toucher » réveille d’autre sens et perturbe totalement nos repères. Au plus près de l’œuvre, cette découverte prend plus de temps, et cela provoque des émotions. La vue prend le dessus, lorsqu’il est utilisé, les autres sens sont en retrait. C’est une nouvelle manière de visiter.
Exposition Prière de toucher, Musée des Beaux-Arts de Rouen, août 2022, ©Nathalie Delzenne
MB
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