J’entre dans la première salle de l’exposition permanente, il y a une profusion de personnes qui visitent. Presque tout le monde a une tablette devant son visage et un casque sur ses oreilles. À les voir ainsi marcher dans des sens contraires, je me dis qu’il me faudra me faufiler entre les écrans portatifs.

Pour ce retour sur mon expérience personnelle lors de la visite de l’exposition permanente, j’interroge l’expérience d’une visite sans accès au numérique. Comment circuler et apprécier sa déambulation quand tout le monde à les yeux rivés sur quelque chose que l’on ne peut pas voir ? Constat assez improbable, j’ai finalement autant regardé les visiteurs du musée numérique que les œuvres.

Image d'intro : (c) Histovery

L’HistoPad ne surchauffe pas.

Contexte : Il fait terriblement chaud en cette journée d’août 2022. La canicule est là, il est important de le noter. Elle a sans doute eu un impact sur le comportement de l’ensemble des visiteurs, la concentration ne pouvant pas être totale. Cette météo difficile a par ailleurs révélé la complexité de renouveler l’air dans les salles de l’exposition permanente. Il n’y avait pas de ventilation, même portative, pour réduire la lourdeur imprégnant les lieux. Les visages suaient et j’ai été surpris de voir les coups de chaleurs qui prenaient certains visiteurs. Cette situation interroge quant à l’adaptation des musées, notamment ceux installés dans des lieux patrimoniaux anciens, face aux épisodes caniculaires qui deviennent de plus en plus réguliers.Le confort de la visite doit désormais être pensé avec des méthodes de rafraichissement de l’air. Cette thématique mériterait un article par son importance et les questions écologiques qu’elle pose. Je me contenterai ici de renvoyer à la piste du Louvre qui utilise le réseau de « froid urbain », grâce à la Seine, pour climatiser ses salles d’expositions.

L’HistoPad est une tablette numérique développée par l’entreprise Histovery, permettant une visite augmentée dans les musées et lieux patrimoniaux. Elle se porte autour du cou et, grâce à un système de scan, propose une reproduction historique des lieux. Le Palais des Papes a intégré l’HistoPad dans son parcours permanent depuis octobre 2017. Il mise désormais sur cette nouvelle médiation numérique pour valoriser tant le lieu que les collections. Cette tablette tactile propose sept langues différentes et de multiples interactions sonores. Musiques, bruitages et commentaires rythment la visite et permettent de fournir des informations plus précises ainsi que des anecdotes historiques. Ce medium ajoute ainsi un ensemble de connaissances supplémentaires aux expôts du parcours. Grâce à la géolocalisation, la tablette s’anime automatiquement sur les 9 salles de l’exposition permanente. Sur le papier l’expérience est intéressante et, lorsque je jetais un œil par-dessus les épaules de quelqu’un, la plus-value me semblait bien réelle.

DELCHER 2022 Le Palais des Papes a Avignon IMG1

(c) Histovery

La visite, un constat de l’omniprésence de la tablette tactile.

En débutant ma visite sans l’HistoPad, qui résulte d’un choix volontaire, j’ai réalisé que la majorité des publics l’utilisaient : plus de 90% des visiteurs l’avaient en main. Au cours de mes déplacements, j’ai pu remarquer trois attitudes distinctes qui parfois se recoupaient selon les publics.

Les premiers s’arrêtaient net et observaient longuement les détails que leur proposait l’appareil, répétant l’acte à différents endroits de la salle. Parfois ils étaient en plein milieu du passage et d’autres fois devant les collections ou les textes. Il fallait alors anticiper pour les éviter, et faire en sorte de ne pas se retrouver derrière eux. La fluidité de la visite se retrouvait impactée, le temps passé devant une œuvre ou des tapisseries murales était beaucoup plus court. Les visiteurs numériques transforment le rythme de la visite lorsqu’ils sont nombreux. Il m’ fallu être régulièrement plus attentif et souvent choisir les salles en fonction même du placement de ces derniers.

Cette rupture du rythme personnel d’une visite, qui ne se retrouve pas uniquement au Palais des Papes, s’est fait ressentir plus fortement avec une autre typologie des publics. Si j’éviterai de les catégoriser à partir d’un nom animal, selon l’enquête de Martine Levasseur et Eliseo Veron de 1982, fort est de reconnaître que leurs comportements furent similaires. Certains publics marchaient presque continuellement avec la tablette devant leurs yeux. C’était les plus difficiles à esquiver. Il fallait passer tantôt à gauche ou à droite, opérer un demi-tour ou encore les contourner. L’envie m’a pris même pendant l’espace d’un instant de me faufiler sous les bras tendus, avant de me rappeler que le lieu ne se prêtait pas vraiment au Parkour. Je devais donc de nouveau attendre et, j’ai souvent ressenti  le besoin de terminer l’exposition au plus vite. Peut-être n’étais-je tout simplement pas patient ce jour-là.  

Enfin, le troisième type de visiteur passait plus rapidement d’une salle à l’autre. Ils consommaient les images et les informations sonores, enchaînant rapidement la visite. Les collections comme le lieu patrimonial faisaient alors l’objet d’un manque d’attention de leur part. Il y a-t-il un problème de lisibilité du lieu face à un Histopad qui offre davantage de fluidité ? Je n’ai pas remarqué en nombre ce type de comportement, peut-être une quinzaine tout au plus. Cela semble malgré tout suffisant pour interroger les comportements de certains publics. Certaines salles du musée sont impactées plus lourdement que d’autres face à la valorisation du numérique. Le parcours scénographique et muséographique est réduit à certains endroits à un strict minimum, avec peu de collections et de textes. Cette absence s’est fait ressentir plusieurs fois et, j’ai eu l’impression d’être passé à côté de la principale clé de lecture du musée.

« - Numérique ! Ils ne me regardent pas !  Ils n’ont d’yeux que pour toi ! »

DELCHER 2022 Publics et tablettes IMG2

(c) Histovery

 

Les visiteurs ainsi munis de leur tablette « à remonter le temps », dont les images ont été coconstruites avec un commissariat scientifique, ont eu accès à de très larges ressources de connaissance. Mais un point est peut-être problématique : le rapport entre le public et le lieu patrimonial même. Je n’ai perçu que peu de visiteurs qui s’attardaient sur les détails du lieu. La différence est alors flagrante entre la réalité visible et la virtualité proposée. Cette dernière est éblouissante de couleurs et de détails. Il est compréhensible que nombre de visiteurs préfèrent, même inconsciemment, la reconstitution à la réalité.

Pourtant, la première est au service de la seconde : elle permet de projeter, d’établir une autre sensibilité, un regard nouveau entre le vu et l’imaginé. La reconstitution a pour finalité d’être un liant sensible et direct qui enrichit l’espace et notre rapport personnel au savoir. Les observations de cette visite donnent davantage l’impression d’une déconnexion, même en demi-teinte, des publics avec les collections et les textes de l’exposition. Les expôts semblent presque devenir des outils complémentaires à l’HistoPad. Mais cette déconnexion touche surtout les interactions sociales entre visiteurs et médiateurs. Ces derniers n’ont fait que gérer les problèmes de pannes ou de langues. Leur rôle étaient réduit à l’utilitaire. C’est également une déconnexion entre les publics eux-mêmes. Ceux qui sont venus en groupe, qui se connaissent en dehors du musée, se retrouvent coupés de toute communication directe. Les visuels et les casques, qui transmettent sons et lumières, empêchent des discussions étendues. Ces dernières sont surtout établies sous forme de conseil ou d’injonction, en réaction à ce qui se passe sur l’écran. Cette perte momentanée d’échanges oraux individualise la visite et questionne sur ce qui est finalement retenu par les publics qui ont vécu cette expérience. L’immersion n’est-elle finalement pas supérieure au discours qui est proposé au musée ?

La critique de l’HistoPad est cependant à remettre dans un contexte bien particulier. Mon expérience ne s’établit que sur une journée, de forte chaleur et de grande affluence. C’est une expérience subjective et non une enquête préméditée des comportements des visiteurs. Je n’ai pas les capacités à étudier chaque personne que j’ai croisée  et n’ai retenu qu’une infime partie des comportements aperçus. Enfin je n’ai surtout pas pu recueillir les propos des visiteurs après leur passage au musée, ce qui manque pour confirmer ou infirmer mon analyse. Il faut reconnaître que ce médium numérique apporte une vision originale et intéressante. Le fait que cette tablette n’ait aucun coût supplémentaire dans l’achat du billet est un élément important à reconnaître pour l‘accessibilité tant au numérique qu’à la connaissance. Si l’HistoPad a des limites, nul doute qu’il apporteune nouvelle expérience de visite. Je reviendrai donc au Palais des Papes prochainement, pour visiter l’exposition avec un regard nouveau et peut-être deviendrai-je moi aussi, un obstacle à esquiver.

 

Pour aller plus loin :

  • http://www.palais-des-papes.com/fr/content/histopad-pour-tous
  • CHAUMIER Serge, MAIRESSE, François. La médiation culturelle. Armand Colin, 2e édition, 2017.
  • PLLISSIER Maud, RENAUD Lise, TRIQUET, Éric. Rénover l’imaginaire du tourisme culturel : stratégies communicationnelle et territoriale autour de l’HistoPad du Palais des Papes. (In) Tourismes et territoires : des milieux, des dispositifs et des hommes, 2020.

 

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