Patrimoine. Culture. Victime, elle aussi des conflits. "Le moyen le plus rapide d'effacer l'identité nationale d'un peuple est de détruire son patrimoine culturel » disait Tao Thomsen, directeur créatif de Virtue Worldwide et co-créateur de Backup Ukraine.

Image de la campagne Backup Ukraine © Polycam and the BackUp Ukraine project

Éviter que son patrimoine ne parte en fumée, disparaisse sous les bombardements russes et pouvoir le transmettre aux générations futures, voilà ce qui a motivé le projet Backup Ukraine, traduit par la sauvegarde de l’Ukraine. Le projet a dû se mettre en route rapidement pour garder la mémoire des lieux car au 27 mai 2022, c’était déjà selon le ministère Ukrainien : « 367 crimes de guerre contre le patrimoine culturel du pays […], dont la destruction de 29 musées, 133 églises, 66 théâtres et bibliothèques et un cimetière juif centenaire ».

Une initiative participative

Backup Ukraine initié par l’agence VICE, Virtue Worldwide en avril 2022 s’est associée à Blue Shield Danemark, un organisme visant à protéger les sites culturels, et à la Commission nationale danoise pour l’UNESCO. Ce projet est mené en étroite collaboration avec l'initiative de sauvetage d'urgence du patrimoine ukrainien et le Musée national de l'histoire de l'Ukraine. Il s’agit d’une archive numérique qui a pour but de recenser le patrimoine matériel ukrainien grâce à des modélisations 3D.

Le temps pressant, l’outil a été développé de manière à ce que tous les Ukrainiens volontaires ayant un smartphone puisse apporter leur pierre à l’édifice via une application nommée Polycam. Celle-ci est mise à disposition pour le projet par ses développeurs qui sont également partenaires. Pour prendre part à cet appel à participation, les volontaires remplissent un formulaire pour recevoir une autorisation des autorités ukrainiennes. L’usage de la technologie ne s’est pas encore répandu, la plateforme compte entre 30 à 50 participants actifs en août 2022, soit 6000 contributions, ce qui est compréhensible au vu de la situation : en avril 2022, un ukrainien sur six a dû fuir son foyer et cinq millions ont quitté leur pays selon les Nations Unies.

Cet outil repose sur la photogrammétrie, ou technologie LiDAR consistant à créer des modèles 3D détaillés à partir de plusieurs photographies, prises sous différents angles. Cette technologie prend en compte un calcul de distance et de taille de l’objet pour assembler les images et former un modèle. 100 à 250 images, voilà le prérequis pour concevoir une représentation 3D réaliste. Le surplus contribue à améliorer la qualité et la précision des conceptions. Pour aider les volontaires à réaliser ces captures, l’application propose un tutoriel, tout en invitant les usagers à ne pas se mettre en danger.

Les numérisations sont liées à un emplacement qui est automatiquement retranscrit dans la base de données de l’archive, à l’abri des bombardements. Les numérisations sont sous licence Creative Commons 4.0 et seront partagées avec l’UNESCO et les musées partenaires du Blue Shield. Le site Polycam recense les scans, ainsi qu’une carte permettant de situer les lieux numérisés, contribuant ainsi à l’efficacité du projet et limitant les doublons.

Le projet a pris de l’ampleur grâce à l’accessibilité de l’application, ce qui a favorisé, en parallèle de la numérisation des objets de musées et du patrimoine matériel ukrainien, la préservation d’objets moins monumentaux, des objets du quotidien, ordinaires mais importants dans la vie des habitants et leur histoire. Le choix des objets numérisés pose donc la question de ce qui est important culturellement pour la population.

Au-delà de documenter les objets culturels, Polycam est également utilisé pour rendre compte de la destruction des monuments, et des objets culturels pendant la guerre.

Une sauvegarde difficile de sites

Les bâtiments d’envergure sont plus difficiles à reconstituer, et leur numérisation est donc moins réalisable par la population civile puisqu’il faut se munir d’un drone, ceux-ci n’étant pas toujours autorisés, surtout en temps de guerre.

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Scan 3D de l’Église de Pyrohochtcha, à Kiev, construite à l’origine en 1132 © Polycam, the BackUp Ukraine project, Courtesy Maxim Kamynin / Licence : Creative Commons 4.0

 

Il s’avère que la modélisation des surfaces brillantes et transparentes est également compliquée, puisque ces textures sont difficilement interprétables par l’algorithme de l’application.

Au-delà du côté technique, la photogrammétrie en lieu de confit est dangereuse et donc peu praticable dans les points centraux comme Kiev qui regroupe un certain nombre de lieux culturels majeurs du pays comme la cathédrale Sainte-Sophie classée à l’UNESCO.

A terme, en fonction de la qualité des modélisations, celles-ci pourront être utilisées à des fins de reconstruction, notamment celles des sept sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO pour leur importance culturelle et donc en théorie protégés par la loi. Les modèles peuvent également donner matière à des projections dans un espace physique ou fictif notamment via la réalité virtuelle et la réalité augmentée permettant d’explorer le lieu, à défaut de pouvoir le reconstruire.

Des initiatives qui se multiplient

L’Ukraine n’est pas la seule à avoir lancé des initiatives dans ce sens, celles-ci se développent dans les territoires en conflit comme la Syrie où une quinzaine de chercheurs syriens accompagnés de la start-up française Iconem ont été formés à la photogrammétrie. En février 2015, en Irak, l’artiste iranienne Morehshin Allahyari s’est engagée dans la reproduction en impression 3D des sculptures détruites à Mossoul par les djihadistes de Daech. La 3D permet ainsi d’envisager une autre voie contre la destruction et l’oubli engendrés par la guerre.

 

Loona

Pour en savoir plus :

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