Les musées de Neuchâtel doivent déplacer leurs collections dans de nouvelles réserves communes dans les prochains mois. Le Musée d’Histoire Naturelle dévoile les coulisses de ce projet dans l’exposition « Emballe-moi ».
Entrée du Musée d’Histoire Naturelle. Photographie : M.L.
Les musées de Neuchâtel doivent déplacer l’ensemble de leurs collections non exposées dans des réserves communes à tous les musées de la ville. Cette dernière souhaite créer un pôle muséal de conservation afin de stocker les objets dans les meilleures conditions possibles. Les réserves sont les lieux de dépôt des objets qui ne sont pas exposés : comme l’explique Brice Matthieu, c’est « un lieu de stockage, de transit et de travail », qui doit donc respecter les normes de conservation tout en étant fonctionnel pour permettre au personnel du musée ainsi qu’aux chercheurs et chercheuses de travailler dans de bonnes conditions. Il explique également que depuis les années 2000, nombreux sont les musées qui repensent leurs espaces de réserves, en France, au Pays-Bas, en Angleterre et en Suisse. Bien penser les réserves fait partie du domaine de la conservation préventive, que l’ICOM-CC (Comité pour la Conservation) définit de la manière suivante : « L’ensemble des mesures et actions ayant pour objectif d’éviter et de minimiser les détériorations ou pertes à venir. » La conservation préventive vise donc à conserver le mieux possible et à stabiliser au maximum les objets qui appartiennent aux collections. Les principaux facteurs pouvant impacter une collection sont les suivants : le climat, les nuisibles, la lumière, les polluants, les vibrations et la poussière.
Les bâtiments anciens dans lesquels sont actuellement installées les collections ne permettent pas de garantir de bonnes conditions de conservation, notamment au niveau de la régulation de l’humidité et de la température mais aussi de la sécurité globale. Par exemple au Musée d’Histoire Naturelle de Neuchâtel (MHNN), beaucoup de spécimens sont conservés en alcool dans les collections. Or en cas d’incendie, cela pourrait être dangereux tant pour les collections que pour les personnes qui les fréquentent. Des bâtiments sont aussi loués pour servir de réserves mais les conditions restent inadéquates. La location est onéreuse, des inondations ont eu lieu entre 2014 et 2019 et les réserves sont près de dépôt de meubles ou de nourriture ce qui favorise les infestations d’insectes, proliférations de moisissures… L’ensemble des réserves est aussi surchargé, ce qui les rend peu praticables.
Les nouvelles réserves sont installées à Serrières, une ville située juste à côté de Neuchâtel. Elles regrouperont les collections du MHNN, du Musée d’Ethnologie de Neuchâtel, du Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel et du Jardin botanique. Le complexe d’une surface totale de 5676m2 est réparti sur trois niveaux, dont deux installés en sous-sol, ce qui facilite le respect des normes de conservation. Plus d’un million de pièces vont être déplacées lors du déménagement.
Affiche de l’exposition Emballe-moi © Musée d’Histoire Naturelle de Neuchâtel
Dans ce contexte spécifique du chantier des collections, le MHNN a voulu mettre en valeur et montrer au grand public en quoi consistait les principes du conditionnement avec l’exposition « Emballe-Moi ». Toujours avec humour, l’équipe du MHNN lève le voile sur les coulisses du fonctionnement d’un musée. Les différents corps de métier sont expliqués, tout comme les étapes de conditionnement d’un objet.
Présenter les collections
L’exposition présente dans un premier temps un état des lieux des collections : mollusques, pierres, insectes, mammifères, etc, et indique quel pourcentage de la collection est présentée dans la pièce (par exemple, dans l’espace consacré à la géologie « Cœur de pierre », le texte de salle nous informe que seulement 0,008 % de la collection est exposée, ce qui permet de réaliser l’ampleur de ce qui est conservé en réserve). Pour chaque pièce, une ambiance sonore en lien avec les éléments est diffusée : toujours dans la salle géologique, on écoute des sons rocheux et métalliques alors que la salle consacrée aux coraux nous donne l’impression d’être plongé.es dans une ambiance sous marine mystérieuse. Dans chaque salle, sont expliquées les différentes méthodes de conservation et leur évolution au cours du temps : pour la conservation des insectes par exemple, ils pouvaient être piqués sur des épingles, en « papillote » c’est à dire dans des enveloppes de papier pour protéger les ailes des papillons par exemple, dans l’alcool ce qui permet de stabiliser les spécimens en les gardant hydratés et en préservant leur forme ou bien montés sur des « paillettes », des petits morceaux de cartons, pour les spécimens trop petits ou trop fragiles. Les plantes étaient plutôt séchées dans des herbiers ou lyophilisées : retirer toute l’eau supprime le risque de moisissure tout en gardant la forme intacte.
Vitrine qui présente le conditionnement en papillote. Photographie : M.L.
Toutes les méthodes sont expliquées par des cartels à la fois précis et très clairs. Une pièce du parcours présente aussi l’importance des archives qui constituent une part non négligeable des collections : 25 mètres linéaires d’archives, 9600 diapositives et 5,5 téraoctets de données. Intitulée « Souvenirs, souvenirs », cette pièce permet d’insister sur l’importance de conserver les objets mais aussi toutes informations qui s’y rattachent : provenance, condition de la donation, fonction originale. Un objet « sans histoire » et sur lequel on ne sait rien perd en valeur scientifique. Ainsi, malgré les difficultés à lire la graphie ancienne d’un.e scientifique, archéologue ou d’un.e passionné.e d’art et d’histoire, ces indications écrites parfois à la hâte au revers des prospectus de l’époque sont à conserver précieusement. Après avoir présenté les collections, l’exposition explique l’utilité et la nécessité de conserver autant d’objets, en expliquant les différentes valeurs qui leur sont attribuées : scientifique, artistique, historique, de rareté, financière, associative (un objet qu’on associe à une personne célèbre par exemple), pédagogique et commémorative.
Elément de scénographie expliquant la valeur financière des objets. Photographie : M.L.
Emballement : Mode d’emploi
Dans un deuxième temps, le parcours présente le projet de déménagement et explique les différentes actions qu’il faut mettre en œuvre pour le réaliser, avec la thématique principale : comment « emballe » - t-on des objets ? Dans une grande pièce qui ressemble à un atelier de travail des réserves, l’exposition présente la réalisation de châssis, de grands cadres en bois qui permettent de transporter les spécimens imposants ainsi que la fabrication de boîtes en carton de conservation, dans lesquelles va être emballée la majorité de la collection. Les matériaux utilisés pour les conditionnements sont aussi présentés, en insistant sur leur stabilité car si ces matériaux se dégradent, ils pourraient abîmer l’élément qu’ils conservent. Les étapes précédant l’emballage sont aussi expliquées, comme le dépoussiérage des spécimens conservés depuis des dizaines d’années dans les réserves, d’autant plus important qu’il permet de surveiller l’état, de vérifier qu’il n’y a pas d’infestation de ravageurs et d’éliminer la poussière qui contient des substances toxiques utilisées auparavant pour repousser les insectes notamment. Tout du long de la pièce, des vidéos jouent avec les codes de la culture télévisuelle et d’internet très contemporain : un « tuto » pour réaliser un châssis, une émission « Nouveau look, nouvelle vie de bocal » qui présente le relooking d’un spécimen conservé dans un bocal d’alcool ou bien un « unboxing » d’une boîte de conservation.
Le spectacle du zèbre. Photographie : M.L.
L’humour est un des atouts majeurs de l’exposition car il permet de faire passer beaucoup d’informations de manière claire et ludique. Les nombreux jeux de mots dès le titre de l’exposition mais aussi dans les titres des salles (« Sortir de sa coquille » pour l’espace consacré aux mollusques, « Je t’ai dans la peau » dans la salle des vertébrés mammifères ou encore dans la dernière pièce de l’exposition) permettent de désacraliser l’espace du musée afin de le rendre plus accessible. La dernière pièce, qui reprend les codes scénographiques d’un théâtre avec sa scène, son parterre de sièges pour les spectateurs et spectatrices et ses coulisses présentent les différents métiers et rôles dans le musée : la restauratrice, à ne pas confondre avec la « restauratrice » qui prépare les plats pour le restaurant du musée, le taxidermiste conduit en taxi par une chouette ou encore les conservateurs, à ne pas confondre avec les mauvais conservateurs qu’on met dans trop d’aliments industriels (vidéo disponible en ligne) !
Les « coulisses » du musée. Photographie : M.L.
Exemple d’une vitrine dans la salle consacrée à la géologie. Photographie : M.L.
Emballe-moi est une exposition vraiment réussie parce qu’elle présente un projet de déménagement complexe de manière très pédagogique : elle « dépoussière » l’image guindée et parfois ennuyeuse que peuvent avoir certains musées grâce à l’humour, l’autodérision mais aussi la poésie qui se dégage de l’atmosphère générale de l’exposition dont la scénographie, qui alterne entre ambition épurée et référence décalée, aide vraiment à porter le propos. Elle intègre un public très large grâce à ses textes clairs et ses références à la pop culture, que ce soit des émissions de télévisions, des publicités ou des formats courants sur les chaînes Youtube. Les visiteurs et visiteuses sont invité.es à prendre part à ce déménagement, en assistant en direct chaque mercredi au travail des conservatrices-restauratrices ou en participant à un atelier d’emballage, qui reprend le déroulement classique du conditionnement (constat d’état, dépoussiérer, concevoir la boîte de transport…). C’est une exposition accessible tant pour le public novice qui découvre avec plaisir les « coulisses », les espaces cachés auxquels il est difficile d’avoir accès habituellement, sinon pour les personnes plus spécialistes et les professionnel.les qui peuvent néanmoins redécouvrir sous un nouveau jour ce qui leur est familier.
Exemple de scénographie dans la salle présentant le conditionnement. Photographie : M.L.
Marine Laboureau
Pour en savoir plus :
- DAYNES-DIALLO Sophie, VASSAL Hélène (dir.), Manuel de régie des œuvres : gérer, conserver et exposer les collections, Paris, La documentation française, 2022.
- Conseil communal, Rapport concernant une demande de crédit pour la création d’un pôle muséal de conservation à Tivoli Nord (Neuchâtel) :
- https://www.neuchatelville.ch/fileadmin/sites/ne_ville/fichiers/votre_commune/cg_rapports_objets /2023_Rapport_concernant_une_demande_de_credit_pour_la_creation_d_un_Pole_museal_de_cons ervation_a_Tivoli_Nord.pdf
- Présentation de l’exposition sur le site internet du MHNN : https://www.museum neuchatel.ch/expositions/exposition-temporaire-emballe-moi/
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