La crise énergétique de 2022 a impacté l’ensemble de la population française : qu’en est-il des musées ? 

Musée de l'Hospice Contesse de Lille pendant Lille3000 ©M.C

 

Une forte augmentation des coûts de l’électricité 

En 2022, en France mais partout dans le monde, une crise énergétique entraîne la hausse des coûts de l’énergie. Nous demandons toujours plus à cette énergie non renouvelable, que nous produisons mais qui a ses limites. Sur le marché, de plus en plus d’appareils deviennent électriques : l’électroménager, les robots de cuisines, les aspirateurs, nos outils de travail, les moyens de déplacement, trottinettes, vélos, voitures… L’ensemble de nos consommations se tournent vers l’utilisation de l’électricité. Un article de LeLynx nous laisse entendre qu’il n’y aura plus de voitures essences ou diesel à la production dès 2035. Cependant, comment affirmer ces dires avec les crises que nous vivons, toujours plus rapprochées les unes des autres, avec des réacteurs à l’arrêt… L’énergie nucléaire qui est notre plus grande source d’électricité est très controversée. Cette énergie recouvre 70 % de l’électricité utilisée par les Français d’après les chiffres d’EDF de 2019. Cette année, la crise était telle que les médias alertaient sur la possibilité de coupures de courants durant la journée, la nuit. Qu’allaient devenir les Français sans électricité ? Comment travailler ? Comment télé-travailler ? Comment faire fonctionner usines et productions industrielles françaises sans électricité ? Comment conserver le patrimoine ? Comment préserver les œuvres des musées ? Les musées font partie du patrimoine français, comment réagissent-ils face à cette crise ?

Notre monde a vécu, il y a peu, une crise sanitaire, le Covid-19. Cette crise n’a épargné personne, ni la culture, ni l’éducation… De nombreux musées peinent encore à retrouver leur public, leur fréquentation. Certains ont même dû se contraindre à fermer leurs portes. À l’aube de la réouverture des musées, où la culture reprend vie, c’est une nouvelle crise qui met en difficulté le domaine de la culture. L’hebdo du quotidien de l’art du 6 janvier 2023 [1] présente les chiffres des augmentations du coût de l’énergie dans différentes institutions : Le Centre Pompidou a vu ses dépenses s’élever à plus de 8 millions d’euros par rapport à l’année précédente, pour le Louvre, c’est une augmentation de 10 millions, pour Le musée d’Orsay une augmentation de 4 millions d'euros et le CMN (Centre des Monuments Nationaux) de 3,5 millions.

Nous nous attarderons sur les musées de Lille, grâce à notre interlocuteur, Sébastien Desramaut  du musée de l’Hospice Comtesse, tout en prenant des exemples d’autres institutions en France et en Europe. Le budget municipal de Lille énonce que « la hausse des prix du gaz et de l’électricité représente à elle seule une dépense supplémentaire de 12,5 millions d’euros. ». Cependant « deux contraintes sont présentes : des charges qui augmentent avec des recettes qui restent égales.». Quelles décisions la ville de Lille a-t-elle prises pour la gestion de ces musées face à cette crise qui enfreint considérablement le budget de la ville.

 

Différents postes de dépenses en augmentation 

Pour l’ensemble des institutions, différents postes de dépenses sont en augmentation. Le coût de l’électricité a certes explosé, mais l’inflation ne concerne pas seulement l’électricité.

D’un part, les taux d’intérêts ont augmenté et sont à prendre en compte dans le budget municipal. D’autre part, la ville a augmenté le point d’indice des agents municipaux qui subissent, eux aussi, l’inflation comme l’ensemble des Français. La ville de Lille manifeste sa considération pour ses habitants et ses agents. Sa politique a été de ne pas impacter leurs dépenses notamment pour la cantine scolaire ou encore la taxe foncière et réévalueront le budget sur l’année suivante. L’inflation était telle qu’elle n’était pas prévisible sur les budgets 2023. La TVA, ayant augmenté, la ville espère un soutien de l’Etat afin de rééquilibrer le budget de la ville en limitant l’impact sur ses habitants.

L’ensemble des dépenses ont connu une majoration. Une augmentation est visible pour l’approvisionnement en matière première, tel que le bois par exemple, pour la réalisation scénographique. Outre les difficultés d’approvisionnement et les délais allongés, le coût est également plus conséquent. Dans une aire où nous prônons l’écologie et la consommation responsable, les musées tentent de suivre la tendance en favorisant l’utilisation de matériaux éco-responsable, recyclage et/ou réutilisable, une bonne pratique à adopter mais qui ne réduit pas les coûts, bien au contraire.

 

Quelles mesures peuvent être adoptées ?

L’ensemble des institutions ont œuvré afin de trouver des solutions pour résoudre au mieux cette crise. Quelques fois expérimentales ou plus réfléchies sur le long terme, chaque institution a ses propres conceptions pour faire face au coût énergétique. Arrêtons-nous sur les mesures prises dans plusieurs villes de France ou en Europe avant de révéler les mesures prises par la ville de Lille. 

Les musées de Strasbourg ont annoncé la fermeture de leurs musées un jour de plus par semaine pour le mois de septembre 2022. Dès le 3 octobre, les musées de la ville souhaitaient étendre leur jour de fermeture à deux jours par semaine, le lundi et le mercredi ou le mardi et le jeudi. Cette décision a été très controversé et a beaucoup questionné. Quel impact allait avoir ces fermetures sur les œuvres et leur conservation ? Sur le public ? La fermeture a été réfléchie par plusieurs institutions de différentes manières en Europe. À Budapest, pour le musée national hongrois, c’est une fermeture temporaire jusqu’à nouvel ordre qui a été décidé début novembre 2022. Tandis que pour deux musées de Rome, le MAXXI et le Castello di Rivoli, la décision a été de réduire leurs horaires d’ouverture de deux heures par jour afin d’assurer une ouverture quotidienne. 

La réduction des horaires a été approuvée par la ville de Paris, non pas pour la fermeture de leurs musées mais pour l’éclairage public. À l’exception de la cathédrale Notre-Dame, les éclairages nocturnes de la ville de Paris s’ombrent 2h à 10h plus tôt que la normal. À Versailles, le choix s’est tourné vers l’emploi de capteurs de mouvements LED afin de limiter l’éclairage inutile lorsqu’aucune présence humaine n’est perçu. 

Une autre mesure a été adoptée par plusieurs instituions, celle de la baisse de température des salles d’exposition inférieure à 19 °C. D’après une étude, cette initiative permettrait de faire gagner 15 % d’énergie au Centre Pompidou. [1] Le château de Versailles a également approuvé cette mesure. Cependant, ils ont modifié leur gestion de surveillance. Bien que, pour le visiteur, la diminution de quelques degrés n’est pas perceptible, pour les agents en salle, plus immobiles, cette réduction peut se faire ressentir. Le château de Versailles a engagé une surveillance mobile pour le confort de leurs agents, ils se déplacent de salle en salle sans avoir besoin de supplément vestimentaire.

Une nouvelle question se pose, la question du renouvelable. L’Italie fait son entrée avec le développement de prototypes de couvertures photovoltaïque pour les édifices historiques tels que le MAXXI ou le Games de Bergame. Pour le muséum de Bordeaux, c’est la géothermie qui est de mise. Les calories présentes dans le sol sont captées à l’aide de capteurs et utilisées pour se transformer en chaleur de chauffage. Une opération est réalisée au Petit Palais, de manière expérimentale, « elle vise à suivre quotidiennement les consommations énergétiques en fonction de la température extérieur et de l’affluence ». Cette opération permettrait à elle seule « d’épargner près 1/4 de la consommation d’énergie habituelle. » [1]

En Angleterre, une tout autre politique a été adoptée. Une grande collaboration a été soumise aux employés avec la demande de s’habiller plus chaudement ou encore d’amplifier le télé-travail et ainsi réduire le chauffage. Ces mesures ont eu un réel basculement avec le déplacement des dépenses sur les agents des musées. Ils ont également revu à la hausse leur politique tarifaire. Prenons l’exemple du Tullie House Museum & Art Gallery, l’entrée adulte déploie une augmentation équivalente à 10€. [2]

Chaque institution a réalisé des études, des bilans afin de connaître quelle(s) étai(en)t les mesures à prendre pour leur musée. Qu’en est-il des musées de la ville de Lille ?

 

Le plan énergétique de la ville de Lille

Le Plan de Sobriété énergétique de Lille est paru le 8 septembre 2022. Selon lui, « La crise énergétique révèle une prise de conscience salutaire sur la maîtrise des ressources. La question se pose avec une acuité particulière en 2022 mais la ville de Lille avait déjà approuvé un Plan Climat. » « Avec le Plan lillois pour le Climat adopté en 2021, la Ville n’a pas attendu la prise de conscience sur les enjeux climatiques pour agir et a déployé une série d’objectifs complets visant la neutralité carbone et pour consommer toujours moins et mieux en énergies. ». La ville de Lille a pris des initiatives dès 2021 dans l’ensemble des locaux publics qu’ils soient scolaires, sportifs ou encore culturels, le plan de sobriété a été pensé pour toute la ville.

La ville de Lille a œuvré sur de nombreux points énergivores. Tout d’abord, les fontaines des parcs ont été coupées, tout comme les extractions d’air et les lumières des bâtiments publics la nuit, comme à Paris. La température des équipements municipaux tels que les salles de sport ou encore les musées ont été revus à la baisse tout comme la température de l’eau des bassins des piscines municipales. La diminution de la température équivaut à 1 ou 2°C en moins qu’à l’origine. La ville de Lille, prenant en considération ses habitants, a tout fait pour penser ce plan énergétique avec le moins d’impact pour les Lillois. Il est notamment notifié « Ne pas utiliser le télétravail, sauf consigne nationale, comme mesure de sobriété énergétique car cela reviendrait à faire supporter par les agents le coût de l’énergie ». 

Martine Aubry et ses élus portent une importance à la sensibilisation et à la pédagogie sur l’énergie et l’écologie. Des ateliers et des workshops ont été instaurés afin de faire prendre conscience et trouver des solutions ensemble pour œuvrer face à la crise.

 

Les mesures adoptées par les musées de Lille

Pour les musées de Lille, une étude sur le long terme a été déployée pour faire face à cette crise énergétique. 

Tout d’abord, reprenons les mesures prises dans les différentes institutions évoquées précédemment. 

La question de la fermeture des musées n’a pas été adoptée pour la ville de Lille. Les musées font partie de la culture de la ville, selon Martine Aubry et ses élus il était inconcevable de priver le public de l’accès à la culture. Les économies qu’auraient engendrées les fermetures ne leur semblaient pas utiles par rapport au désagrément occasionné au public. 

L’extinction de l’éclairage sur les bâtiments publics de la ville est une mesure approuvée par le conseil. Cette mesure ne pose aucune difficulté à être mise en place. La ville est, certes, moins éclairée mais pour faire face à la crise et il est nécessaire d’être ensemble. La ville montre, par cette mesure, l’exemple d’un combat collectif.

Comme la plupart des institutions, la diminution de la température des salles d’exposition, hors salles d’exposition temporaire, a été fixé. Aujourd’hui, les salles ont une température de 18°C.

Une mesure a été adoptée en se projetant sur le long terme : le remplacement des éclairages halogène par des LED au musée de l’Hospice Comtesse. Un investissement, certes, mais bénéfique pour les salles d’exposition et les dépenses pour les années à venir.

Une meilleure isolation des bâtiments avait déjà été initiée avant la crise mais qui se veut renforcer pour limiter les pertes d’énergie. Les investissements de rénovation sont engagés dans l’objectif à terme de réduire les coûts de fonctionnement des bâtiments.

Pour ce qui est de la conservation des œuvres et du climat à respecter afin de ne pas les détériorer, la réflexion s’est portée sur la maîtrise de micro-climats qui confèrent à des espaces moindres, moins consommateurs que de grands espaces saturer d’air climatisé tout en garantissant de bonnes conditions de conservation pour les œuvres.

La ville de Lille porte une grande importance à l’écologie. Pour l’ensemble des scénographies réalisées, les matériaux éco-responsables sont favorisés ainsi que la réutilisation ou encore le recyclage. 

Une main mise est également présente du côté des régisseurs, à la fois régisseurs des collections et régisseurs techniques, les prêts sont favorisés en région tout comme l’approvisionnement en matières premières. Les prêts sont également vu à la baisse avec une limitation d’œuvres empruntées.

La ville de Lille a adopté de nombreuses mesures pour réduire la consommation d’énergie dans les musées. Ces mesures ont-elles un impact sur la scénographie ? Qu’en est-il du confort des visiteurs ?

 

L’impact sur la scénographie et les visiteurs

Les salles d’exposition ont vu leur température diminuée d’un degré, cette baisse est quasiment imperceptible par le visiteur, le confort de ceux-ci n’est pas entravé. Pour ce qui est l’éclairage LED, l’investissement est bénéfique. Les œuvres sont davantage mises en valeur et mieux éclairées. Ce remplacement a eu un impact positif pour le visiteur et les œuvres.

Pour ce qui est de la scénographie, elle est, aujourd’hui, pensée différemment en favorisant des matériaux éco-responsables et le réemploi. La scénographie n’est pas appauvrie mais elle fait l’objet de plusieurs ajustements lors de sa réutilisation. La ville de Lille réutilise entre 50 et 65% en moyenne la scénographie des expositions précédentes. Quelques exemples concrets : la scénographie de l’exposition « Kaiwu, Art et Design en Chine » a été réutilisée pour l’exposition « Au Temps des Renarts », celle de « L’atelier Pasquero, une aventure photographie lilloise » du printemps 2023 sera également reprise pour la rétrospective de « Jef Aérosol » à l’automne 2023.

La ville de Lille s’engage sur les enjeux de la consommation énergétique au sein de l’ensemble des équipements de la ville. Les élus misent sur l’effort citoyen et ses mesures prises pour faire face à la crise. Je cite, Sébastien Desramaut : « Les actions sont naturellement complémentaires. L’une sans l’autre ne sera pas suffisante : la mobilisation de tous les acteurs compte ! Ainsi, la ville de Lille veille à traduire concrètement, et de façon durable, ses objectifs de transition écologique et de justice sociale. »

 

Nos remerciements à Sébastien Desramaut, administrateur au musée de l’Hospice Comtesse, interlocuteur lors de nos échanges sur la crise énergétique au sein des musées de Lille.

 

Maryline Catherine

 

 
[1]L’hebdo du quotidien de l’art, n°2520, vendredi 6 janvier 2023, Enquête : Crise énergétique : les musées font leur révolution
[2]L’hebdo du quotidien de l’art, n°2520, vendredi 6 janvier 2023, Vu d’ici / vu d’ailleurs : Grande-Bretagne : les musées face à l’explosion des coûts énergétiques

 

Pour en savoir plus 

 

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