Rendre une exposition participative grâce à un dispositif suscitant des contributions de la part du public ? Sur le principe, l’idée est riche de potentiel. En pratique, les contributions sont souvent rares et assez peu intéressantes. Au-delà des montagnes de murs de post-it cornés, partons explorer le monde des dispositifs participatifs à la recherche d’une proposition intéressante susceptible de nous inspirer quelques pistes de réflexion.  

Des visiteurs apportant leur contribution dans l'exposition Cuisines et Descendances ©RV

 

L’exposition sera participative ou ne sera pas 

Le participatif est au musée ce que la couleur orange est à cette année 2022 : un phénomène de mode. L’idée de participation, de même que dans la vie politique, y est mise à toutes les sauces : on la greffe sur un projet d’exposition, on la tartine sur les documents de communication, on en presse le jus dans des publications et des colloques, on l’invoque jusqu’à en perdre le sens. 

Pourtant, l’idée avait de quoi séduire. Si la participation peut susciter un engagement accru de la part du public, pourquoi s’en priver ?
Le concept de participation est apparu dans les années 1970, dans un mouvement de renouvellement du monde muséal qui a trouvé son expression dans l’éco-muséologie. Le principe de cette Nouvelle Muséologie est de donner une place accrue aux publics et aux communautés : le participatif peut y contribuer. C’est même une nécessité selon John Kinard, cité dans le recueil Vagues : Une anthologie de la nouvelle muséologie (1992) : « Si nous voulons que les musées survivent et qu’ils soient le vecteur des nouvelles valeurs culturelles, alors l’impératif majeur est la participation ». Quelques décennies plus tard, la participation a dépassé le monde des écomusées et s’est étendue à tous les champs d’action du musée. Le financement participatif, tel un arbre qui cache la forêt, pourrait nous faire croire qu’ouvrir son porte-monnaie est la seule contribution possible de la part du public. Bien au contraire : on peut contribuer à des inventaires ou des collectes participatives, à des opérations de sciences participatives ou encore à des expériences de commissariat ou de muséographie, elles aussi participatives. D’un parti-pris de rupture propre aux écomusées, l’idée de développer la participation des visiteurs est devenue une tendance installée dans le monde muséal. Le « musée inclusif et collaboratif » fait partie des axes de la Mission Musées du XXIe siècle « Inventer des musées pour demain ». Serions-nous déjà demain ? Le mot « participation » a fait son entrée dans la nouvelle définition du musée adoptée en 2022 par l’ICOM. 

 

Le dispositif participatif, une baguette magique ? 

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Un dispositif participatif dans l’espace public à Montréal ©RV

 

Adopter une pratique participative dans les domaines de la gestion des collections ou de la mise en exposition est un défi ardu pour le musée, ne serait-ce que parce qu’il implique de partager une partie de cette autorité muséale dont se drapent certains conservateurs, d’âme et de métier. Pas de panique ! Pour pouvoir cocher la case « participation » à moindre risque, une solution est possible : intégrer à une exposition un dispositif participatif. Un mur d’expression avant la sortie de l’exposition, quelques piles de post-it, trois crayons et dix gommettes, un écriteau « Donnez votre avis » … et le tour est joué ! Les visiteurs vont pouvoir s’exprimer, l’institution aura la conscience tranquille. Pourtant, quelques semaines plus tard, si les post-it tiennent encore au mur – ce qui est loin d’être acquis ! -, le dispositif, lui, tient rarement ses promesses : il faudra se satisfaire de quelques smileys, gribouillages, d’un « Jean-Michel était là » ou de quelques sympathiques « Coucou ! ». 

Mais pourquoi donc les visiteurs ne s’emparent-ils pas de cet espace d’expression de manière plus intéressante ? Peut-être parce qu’ils ont senti que le musée ne portait pas grand intérêt à ce qu’ils pourraient y dire. De la même manière qu’un distrait « ça va ? », adressé sans s’arrêter à une lointaine connaissance, n’attend surtout pas d’autre réponse qu’un « oui, ça va » aussi évasif que trompeur, un dispositif participatif sans intérêt appellera des contributions sans intérêt. 

Nina Simon, autrice de l’ouvrage de référence The participatoy museum (2010), l’explique lors d’une conférence TEDex : « Je pense que nous avons tous fait l’expérience de commentaires publics qui n’étaient pas très significatifs. […] J'y vois plus une opportunité manquée dans le fait de ne pas les avoir incités à donner du vrai contenu. Je crois que nous tous dans cette salle avons quelque chose de puissant et créatif à donner. Je crois que nous avons tous une histoire à conter, et chacun d'entre vous a probablement quelque chose d'étonnant à partager à ce stade aujourd'hui. Mais je sais aussi que nous pouvons tous être parfois banals. Nous sommes tous un peu stupides parfois. Et pour moi, qui m'efforce d'améliorer la participation, la différence se fait dans la conception de cette invitation à participer. Un bon design peut nous élever à donner le meilleur de nous-mêmes, le contraire est vrai aussi. » (retranscription et traduction française – YouTube)

 

N'est pas participatif qui le veut 

C’est la rançon du succès : le participatif étant à la mode, on veut en mettre partout, au risque d’en perdre le sens et l’intérêt initial. Les écrits théoriques sont nombreux sur la co-conception, ils sont beaucoup plus rares à étudier les dispositifs participatifs. Cela induit une difficulté à cerner les contours de cette notion, d’autant plus que la participation, de manière générale, est difficile à définir. Comme l’écrit Alexandre Delarge dans Le musée participatif, l’ambition des écomusées, « Le mot « participation » englobe de nombreuses acceptions, ce qui peut conduire à des contresens, voire à des conflits ». 

On qualifiera ici de participatif un dispositif suscitant l’engagement du visiteur en lui proposant d’apporter une contribution qui enrichira le contenu de l’exposition, sera visible par les autres visiteurs et valorisée par le musée. 

Selon cette acception, le participatif ne peut être réduit à une notion avec laquelle il est parfois confondu : l’interaction. Proposer au visiteur d’appuyer sur un bouton pour voter suscite son engagement en le rendant actif. Cependant, selon le sens que l’on donne à ce geste, le dispositif peut être participatif ou seulement interactif. S’il s’agit de répondre à un quizz pour vérifier sa compréhension du sujet à l’issue de la visite, on préfère parler d’interaction, car le visiteur ne donne pas une contribution qui enrichit le contenu de l’exposition. Par contre, si, comme dans l’ancien dispositif Free2Choose à la Maison Anne Franck, il s’agit de se positionner dans un débat éthique grâce à un vote dont les résultats apparaissent dans l’espace d’exposition comme un sondage en temps réel, on peut dire que le dispositif est participatif. La contribution de chaque visiteur apporte réellement sa voix au débat. 

Une fois cernée la notion de dispositif participatif, il s’agit de s’intéresser à une proposition considérée comme inspirante et susceptible de faire naître des pistes de réflexion.  

 

Une exposition dans laquelle mettre son grain de sel ! 

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Vue de l’exposition ©RV 

 

L’exposition Cuisines et Descendances a ouvert en octobre 2022 à l’écomusée du Grand-Orly-Seine-Bièvre, une petite structure à la grande ambition, celle d’être « un musée qui change votre regard sur la banlieue ». C’est pour présenter et rendre hommage au patrimoine culinaire de la banlieue que l’écomusée propose cette nouvelle exposition temporaire. Elle présente, au cours d’une déambulation dans les pièces d’une maison, les différents aspects de la transmission culinaire. Pendant sa vie, chacun.e reçoit, s’approprie et transmet de nombreux éléments qui constituent ce patrimoine culinaire : des tours de mains, le goût des produits, des valeurs, des souvenirs, une passion pour la cuisine, parfois la charge qu’elle représente… et bien sûr, des recettes !  

A la fin de l’exposition, le visiteur est invité à s’assoir pour partager sa recette fétiche. Il l’écrit sur un papier qu’il peut ensuite accrocher au mur, afin de la faire découvrir à d’autres visiteur.euse.s. Il peut aussi déposer sa contribution dans une « bonbonnière aux recettes », et, en échange, tirer une recette déposée par un autre visiteur pour la ramener chez lui. Il est invité à passer aux fourneaux, prolongeant donc la visite et la relation avec l’écomusée même une fois son portail passé. 

La bonbonnière des recettes est présentée lors des évènements organisés par l’écomusée, afin de faire vivre la collecte, comme lors des Journées Européennes du Patrimoine. En faisant circuler les recettes entre les visiteurs, le musée laisse volontairement lui échapper certaines des recettes collectées. Cela pourrait paraître paradoxal dans un milieu habitué à la thésaurisation. C’est en fait un moyen de valoriser le caractère vivant de ce patrimoine, de partager ce qu’est la cuisine. Pour garder une trace de ces échanges de recette, le musée a créé le hashtag #jecuisineaveclecomusee, grâce auquel des photographies des recettes peuvent être partagées sur les réseaux sociaux. 

Ce dispositif évite le piège fréquent du participatif gadget, ajouté à l’exposition « parce que ça fait bien ». Au contraire, la proposition est d’une grande cohérence par rapport à l’exposition. Avec son thème, d’abord, puisque l’on propose aux visiteur.euse.s de faire vivre cette transmission culinaire qui est au cœur de l’exposition. Dans la démarche, ensuite, puisque l’exposition a été conçue grâce à une collecte participative auprès des habitants du territoire. Les dix-huit personnes interrogées ont partagé leur expérience de la cuisine et ont désigné un objet et une recette par lesquels ils ont été présentés dans l’exposition. Le dispositif participatif permet donc de poursuivre tout au long de la vie de l’exposition cette collecte initiée lors de sa conception en recueillant les contributions des visiteurs et visiteuses, eux aussi majoritairement habitant.e.s du territoire. 

Le graphisme de la feuille sur laquelle le visiteur écrit sa recette reprend d’ailleurs celui des recettes exposées. Nina Simon l’a prouvé, la qualité matérielle du dispositif proposé a un impact fort sur la qualité des contributions. Un visiteur prendra sûrement plus de soin à remplir une feuille cartonnée, de bonne qualité et bien présentée, que si on lui avait proposé un post-it – comme c’est souvent le cas dans les dispositifs participatifs ! -, support associé à des listes de courses, gribouillages ou notes sans importance et colorées. Ici, en plus de la qualité matérielle, la cohérence esthétique est extrêmement valorisante pour le visiteur, qui voit que sa contribution a le même statut que les recettes des personnes interrogées. L’exposition montre que les recettes constituent une partie de ce patrimoine culinaire de banlieue auquel s’intéresse le musée : il y a donc un intérêt sincère de la part du musée dans le fait de collecter les recettes des habitants. Il est d’ailleurs envisagé de publier, en guise de catalogue d’exposition, un carnet de recettes des habitants du territoire, qui regrouperait les recettes des 18 personnes interrogées et celles des visiteurs et visiteuses de l’exposition. 

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À gauche : La recette transmise par une habitante présentée dans l’exposition / À droite : Une visiteuse lisant la recette déposée par un autre visiteur ©RV

 

En guise de conclusion : quelques pistes 

Alors, à partir de cet exemple, quelles pistes peuvent être mises en avant pour réfléchir des dispositifs plus enrichissants pour les visiteurs et le musée ? 

Pour être le plus enrichissant possible, à la fois pour les visiteurs et le musée, un dispositif participatif gagne à :

  • être lié à la thématique et au parti-pris de l’exposition, et donc à être pensé dès le début de la conception de l’exposition
  • avoir un rendu esthétique qualitatif et cohérent avec le graphisme et la scénographie de l’exposition 
  • guider le visiteur dans sa contribution
  • susciter des contributions intéressantes à la fois pour le visiteur qui participe et les autres visiteurs
  • être pensé avec une valorisation des contributions par le musée (dans une exposition ou une publication, sur les réseaux sociaux…)
  • prendre vie lors d’évènements ou grâce à la présence de médiateurs et médiatrices

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Partage des recettes lors des Journées du Patrimoine 2022 : page Instagram de l’écomusée du Grand-Orly Seine Bièvre

 

Raphaëlle Vernet 

 

Si vous avez encore faim de découvertes : 

  • la page consacrée à l’exposition sur le site de l’écomusée du Grand-Orly Seine Bièvre : https://ecomusee.grandorlyseinebievre.fr/programmation/expositions/grande-salle
  • L’exposition Cuisines et Descendances a été conçue par l’équipe de l’écomusée du Grand-Orly Seine Bièvre. Nicolas Franchot et Stéphane Rébillon en signent la scénographie et le graphisme. Rendez-vous à Fresnes pour la visiter d’ici mars 2024 ! 
  • deux projets artistiques inspirants autour du partage des recettes de cuisine : le Grandmas Project, dont quelques vidéos sont présentées dans l’exposition (http://grandmasproject.org/fr/) et Kitchen, la cuisine transportable, un projet de Thorsten Baencsh et Christine Dupuis présenté dans une vidéo de Charlotte Grégoire (https://www.monoeil.org/kitchen)

 

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