10.05.23 au 07.08.23
Centre Pompidou Paris
Commissaire Frédéric Migayrou
130 projets d’architecture
2 200m²

 

« En tant qu'architecte, vous concevez pour le présent, avec la conscience du passé, pour un futur essentiellement inconnu »
Norman Foster

 

Du 10 mai au 7 août 2023, le Centre Pompidou de Paris nous a offert une rétrospective des œuvres et travaux de l’architecte britannique Norman Foster. Sur près de 2 200m², ce sont 130 projets d’architecture réalisés ou non qui nous sont présentés accompagnés de dessins, de photographies et d’œuvres d’art. Ce qui fait de cet évènement la plus grande exposition consacrée à un architecte de son vivant. Revenons sur cette exposition phare de l’année rendant hommage à l’un des plus grands architectes de son temps.

Particulièrement attendue, toute la spécificité de l’exposition repose sur la participation de Norman Foster lui-même, de son cabinet d’architectes Foster + Partners, ainsi que de la Norman Foster Foundation. Ces multiples contributions induisent, vous l’aurez compris, une forte implication de l’artiste et de ses collaborateurs dans cette exposition faite à leur image tant d’un point de vue plastique que par le discours.

 

Sobriété d’une scénographie qui impressionne

La scénographie de l’espace, réalisée par l’architecte et son agence Foster + Partners s’accorde à la sobriété habituelle du Centre Pompidou, pourtant, l’exposition nous impressionne dès la première salle. Malgré l’immense majorité de murs monochrome gris, l’abondance de maquettes et de plans dynamise l’espace pour permettre au public de plonger dans l’univers de Norman Foster. L’espace laisse transparaître le goût de l’architecte pour la technologie, le progrès et l’art en intégrant subtilement des œuvres et engins motorisés (img.1) au milieu des projets architecturaux. Le public est plongé dans une ambiance moderne et futuriste.

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Img. 1. scénographie de l'espace "Nature et urbanité" et "Villes verticales" © CP
Img. 2. scénographie de l'espace "Nature et urbanité" © CP

                                

Comme il est possible de le voir sur les images 1 et 2, les visiteurs sont invités à lever la tête et à être attentifs tout au long de la visite. À la fois sur les murs, au sol et au plafond, les expôts investissent entièrement l’espace. C’est véritablement leur profusion qui produit cet effet immersif. Même si l’exposition subjugue son public, happé par de nombreuses choses simultanément, le risque de le perdre est élevé avec ce type de scénographie. Et pour cause, cette exposition a tendance à le déconnecter complètement du propos en le concentrant seulement sur l’aspect visuel de l’exposition. La discrétion des titres et des textes renforce d’autant cette impression dans ce parcours libre et ouvert. Le repérage dans le parcours et son discours est en réalité difficile à cerner. Comme s’il y avait un propos unique valable tout le long de la visite et que peu importe le sens dans lequel nous découvrons les projets architecturaux, le discours et les valeurs mises en avant s’appliquent à toutes les maquettes exposées.

 

Un propos en décalage : l’architecture vue par le prisme du progrès technique

Les projets de Norman Foster sont grandioses et impressionnent toujours au premier abord. L’exposition nous présente l’architecture de Foster principalement du point de vue de l’industrie positive qui allie une production matérielle architecturale aux services des besoins de la société par le biais du progrès technologique. Le discours tente de nous montrer des projets qui renouent avec le territoire dans lequel ils sont implantés. Mais il aborde aussi les questions autour de l’autosuffisance des villes tout en conciliant le développement durable au progrès technique.

Ces édifices sont ambitieux certes, et en cohérence avec les nouveaux enjeux contemporains de l’architecture. Mais finalement les projets de l’architecte semblent parfois être en décalage avec la réalité de l’urgence environnementale de l’époque alors même que le lien entre la nature et l’architecture est abordé dans la troisième partie « Nature et urbanité ». Cette volonté de renouer les édifices avec leur territoire est difficile à percevoir tant l’exposition aborde l’architecture seulement par le prisme de la technique et du progrès. Cette approche insensible des projets ne permet pas de se projeter dans cet avenir architectural. Comme s’il y avait une distance entre l’architecture et notre réalité. Ces enjeux présentés comme fondamentaux dans l’exposition et qui nous concernent tous pour demain, ont du mal à nous toucher.

Cette apologie de la technologie laisse finalement peu de place à la réalité et à la profondeur du discours sur l’environnement et les nouvelles façons de vivre en société. Le propos est à la fois en décalage avec les valeurs environnementales que Norman Foster défend fermement dans ses projets, mais aussi avec un public qui pourrait ne pas saisir la réalité de ces changements imminents dans les années à venir. L’exposition se place davantage dans le prisme d’une société industrielle qui tente de s'accommoder aux défis environnementaux.

 

L'empreinte de l’architecte est-elle visible dans l’exposition ?

Il est évident que toute participation directe d’un artiste dans une exposition qui lui est dédiée impacte considérablement le résultat final. Cette exposition n’y échappe pas. La plasticité de l’espace rendu par la scénographie ne peut que refléter Foster puisqu’il est lui-même auteur de sa propre mise en scène. Cette scénographie peut être interprétée comme le résultat de la vision qu’il a de lui-même, ou être le reflet d’une image idéale qu’il souhaiterait renvoyer au public. Cet aspect donne matière à réfléchir : est-il seulement auteur de sa mise en scène spatiale ou a-t-il un rôle dans le propos muséographique de l’exposition ?

En plus d’avoir écrit tous les textes de l’exposition, on sent qu’à travers celle-ci, Norman Foster a voulu remercier les personnes qui l’ont accompagné dans ses projets sur près d’une soixantaine d’années. Passée la première salle, nous sommes face à un mur sur lequel sont inscrits plusieurs centaines de noms. Ce sont ceux de ses associés, collègues et partenaires avec qui il a collaboré tout au long de sa vie. Un point dans l’exposition retrace aussi toute l’histoire de son agence d’architecture et énumère les prix que Norman ou son entreprise ont gagnés (img. 3).

De plus, les expositions rétrospectives présentant le travail d’un artiste mentionnent quelques aspects de sa vie privée afin de faire connaître au public sa vie sous d’autres angles. Or, l’exposition Norman Foster ne mentionne aucune information concernant sa vie privée qui aurait pu avoir un impact sur certains projets. Le propos est purement professionnel et met en avant seulement sa personne en tant qu’architecte après qu’il ait ouvert son agence. Raison pour laquelle on devine aisément qu’il a fortement contribué au discours de l’exposition au côté du commissaire Frédéric Migayrou. Mais cela pose la question des échecs et des projets critiqués de l’architecte. On remarque qu’il n’y a aucune mise en perspective des travaux de Norman Foster avec d’autres projets architecturaux similaires à la même période.

 

Néanmoins, la participation de Norman Foster dans l’exposition présente certains avantages, notamment concernant le prêt d’œuvres. Aspect qui se voit particulièrement dans la première salle qui présente une galerie de dessins, croquis et photographies réalisés par l’architecte (img. 4). Elle permet de se rendre compte de l’immensité de son travail sur près de soixante ans. Sans la contribution de Foster, cette salle n’aurait probablement pas été aussi abondante.

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Img. 3 Frise chronologique retraçant l’histoire de l’agence Foster © Thomas Schweitzer
Img. 4 Galerie de dessins et photographies © Thomas Schweitzer

 

Une exposition tape-à-l’œil qui impressionne sans émouvoir

Cette rétrospective dédiée à l’un des architectes les plus influents de notre époque est sans aucun doute impressionnante. L’abondance d’expôts et la diversité des maquettes nous plongent véritablement dans un autre univers le temps d’une demi-journée. En revanche, elle semble plus compréhensible pour un public qui aurait déjà un pas en architecture. Puisqu’au regard des cartels et textes de salles, le discours n’est pas accessible à tous[1].

La mise en exposition des travaux est réalisée de manière froide et professionnelle. Ce qui rend effectivement l’exposition époustouflante, mais nous restons sur notre faim quand il s’agit de comprendre les nouveaux enjeux de l’architecture contemporaine. Cette apologie de la technique et la mise en avant du côté rationnel de l’architecture est susceptible d’instaurer une distance entre un public non averti en architecture et la discipline. Cette grande place accordée aux prouesses techniques vide l’architecture de sa nature humaine puisque l’exposition ne questionne pas ce qu'un projet pourrait apporter à tel territoire ou à telle société ; et en quoi ces nouvelles technologies en architecture sont-elles réellement envisageables sur un territoire donné. En tant que non spécialiste, il m’était difficile de m’imprégner et de développer un affect ou une sensibilité pour l’architecture qui nous était présentée.

C’est finalement le risque lorsqu’on fait appel aux artistes dans l’élaboration de l’exposition. En résumé, cette exposition évènement manque de profondeur humaine et sociale en ne faisant que l’éloge des réussites de Norman Foster.

 

Camille Paris

 

#architecture #maquette #technologie

 

[1] les textes de salles sont disponibles sur le dossier de presse de l’exposition p. 6-9 : Centre Pompidou, Dossier de presse de l’exposition Norman Foster, Paris, Centre Pompidou, 2023 [en ligne, consulté le 06/11/23]