Les dépôts d’œuvres d’art en France durant la Seconde Guerre Mondiale : le cas du château de Chambord.

Cet été 2023, au détour d’une visite au château de Chambord, je découvre une nouvelle exposition temporaire située en terrasse. En entrant dans une pièce sombre et froide, j’ai l’impression de m’immerger dans des réserves anciennes de château, avec des boîtes pleines d’œuvres. Au détour de quelques cartels et de vidéos, j’appréhende le propos : le sort des œuvres d’art durant la Seconde Guerre Mondiale.

 

Une organisation préventive

Tout commence durant les années 1930, comme tout un chacun le sait, l’Europe est une terre de conflits sous-jacents. La guerre gronde, et des plans d’évacuation des œuvres sont établis. En 1936 est ainsi créé le service des Monuments historiques ayant pour but d’évacuer et de protéger les objets d’arts. Des listes d’œuvres nécessitant une mise à l’abri sont établis en cinq jours par les responsables des départements des monuments. Cette organisation colossale se conjugue avec la recherche du lieu principal pouvant accueillir toutes ces caisses d’œuvres. Plusieurs critères sont considérés : des endroits à l’écart des villes, permettant d’être éloignés des zones de conflit, mais aussi, des lieux « bien bâtis, […] à proximité de points d’eau pour les pompes à incendie, [et] capables de loger un personnel nombreux et disposer de conditions de conservations décentes »[1].

 

Chambord, un lieu d’accueil possible ?

C’est ainsi que le château de Chambord est désigné le 19 mai 1938 comme principal lieu de dépôt d’œuvres. Malgré les défauts du territoire, le choix est réfléchi. En effet, le château ne peut stocker que très peu de grands formats, a un plancher peu solide par rapport au poids des caisses et une cour qui ne facilite pas la circulation de camions de transport.

Après la répétition générale du 27 septembre 1938, Chambord est reconsidéré comme gare de triage, plutôt que lieu de dépôt. En plus de ses défauts premiers, il est vu comme « trop visible, trop repéré déjà par le public »[2] et ne permettant pas la bonne conservation des œuvres sans un travail conséquent de l’administration des Beaux-Arts. Il s’en suit le choix de 27 châteaux et abbayes pour abriter les œuvres.

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© Archives nationales

 

Un déplacement précipité

Le 27 août 1939, trois jours après la publication du pacte de non-agression germano-soviétique, la direction des Musées de France ordonne d’évacuer les collections nationales des grands musées français. Parmi eux se trouvent ; les musées du Louvre, de la Marine, des Arts décoratifs ou encore le château de Versailles. Cette disposition concerne également les biens confiés à la garde des musées nationaux, notamment ceux de 94 collectionneurs juifs. Des milliers d’œuvres partent ainsi en camion vers le centre et l’ouest de la France, dont le domaine de Chambord. En tout, une cinquantaine de convois quittent le Louvre dans la précipitation entre août et décembre 1939, et plus d’un « tiers des collections publiques françaises sont évacuées en quelques jours »[3]. Certaines œuvres arrivent à Chambord et sont rapidement dispersées vers d’autres lieux de stockage. 

Avec les aléas de la guerre, les impossibilités de transport, et la violation de la ligne Maginot, le domaine de François Ier devient le plus grand dépôt du pays. Les caisses de stockage (environ 4 000 m3) sont réparties dans les quelques 400 pièces du château. Parmi ces caisses se trouvent des chefs-d’œuvre de collections publiques et privées, comme Le Radeau de la Méduse, La Dame à la licorne ou encore La Joconde.

 

C’est cette scène que le château a souhaité illustrer dans la première salle de l’exposition : des caisses, des draps et un fac-similé de La Joconde à moitié emballée, comme laissée pour compte. Les murs affichent des photos d’époques, et expliquent le voyage de ces œuvres dans une France occupée. Trois autres salles prolongent l’histoire via l’audiovisuel, et permettent, pour les réticents à la lecture, d’en apprendre davantage et de manière ludique sur ce dépôt de la Seconde Guerre Mondiale.

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La vie dans les dépôts © Archives nationales

 

Une surveillance accrue

Ces œuvres ne sont pas laissées à la décrépitude, des conservateurs et fonctionnaires s’en occupent régulièrement. Elles sont inventoriées et récollées ; chaque année, les caisses sont ouvertes pour inspection et la paille changée. De plus, les gardiens, des vétérans de la Grande Guerre, sont entrainés à n’importe quel cas de force majeur, notamment à savoir gérer les incendies.

Toutes ces dispositions n’évitent pas l’encerclement du domaine par les nazis à partir de 1940, la saisie de biens juifs par l’ERR[4] en 1941, ainsi que des bombardements ou crash d’avion proche des lieux de dépôts tout au long du conflit.

À partir de 1944, des œuvres d’arts des collections publiques et privées sont récupérées par le service américain Monuments, Fine Arts, and Archives program, en collaboration avec Jacques Jaujard, directeur des Musées nationaux. Cela permet de retrouver 60 000 œuvres volées. Encore aujourd’hui, certaines pièces appartenant à des familles juives attendent leurs propriétaires dans les réserves et salles des musées, et d’autres n’ont toujours pas été retrouvées.

Quant à celles appartenant aux collections publiques, chacune retrouvent leurs places, entre juin 1945 et fin 1949. Le Louvre rouvre partiellement durant la saison estivale de 1945 et Chambord suit en 1946.

Ainsi, cette exposition permet d’appréhender facilement l’histoire de notre patrimoine artistique durant la Seconde Guerre Mondiale, et ses conséquences encore actuelles. Elle met en lumière l’importance de la protection des œuvres en période de conflit, la perpétuation de celles-ci comme symboles d’un temps révolu, mais toujours inspirant. En détruire, ou en favoriser certaines comme le souhaitait le projet du Fuhrermuseum invisibilise une partie de l’Histoire et ne permet pas à la société de garder une trace des erreurs de son passé.

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 Retour de la Victoire de Samothrace © Archives nationales

 

 L’exposition honore les gardiens de ces œuvres d’art. Elle montre le réel dévouement à une cause commune, parfois au péril d’une vie. Encore aujourd’hui hommes et femmes œuvrent à travers le monde pour protéger, déplacer ou encore restituer des objets d’arts provenant de zones de conflits.

 

Klein Elise

 

#Chambord #Histoire #WWII

 

 

Pour en savoir plus  :

 

[1] Ibid.

 [2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Commission chargée de la confiscation des biens juifs de l’Europe occupée.