Cet article pose la question de la pertinence des actions culturelles hors les murs comme stratégie publicitaire des institutions muséales. Venir à la rencontre des publics : Où? Quand? Comment?
Stand d'action hors les murs “animaux fantastiques” au Westfield Euralille © Giulia Guarino
Lors d'une flânerie lilloise le 31 octobre, je m'engouffre, je dois l'avouer à contrecœur, dans le temple du capitalisme et de la fast-fashion décomplexée : Westfield Euralille.
En quête de faire quelques emplettes, je tombe nez à nez sur une signalétique intrigante. Des grosses pattes bleues collées au sol m'indiquent de poursuivre mon chemin afin de rencontrer les animaux fantastiques. Je comprends donc rapidement que je me dirige vers une action hors les murs inscrite dans la programmation du Louvre Lens dans le but de promouvoir l'exposition actuelle, Les animaux fantastiques. La curiosité me pousse à continuer jusqu’à ce que s'érige devant moi un stand assez important, s'inscrivant étrangement bien entre Primark et H&M.
Signalétique de l’expérience « Animaux Fantastiques » au centre commercial Euralille © Giulia Guarino
Le panneau introductif permet aux visiteurs (qui sont avant tout consommateurs dans ce contexte centre commercial) de mieux comprendre la présence de ce stand « Expériences inédites et ateliers créatifs ». Trois activités distinctes sont proposées, visant différents publics et constituant ainsi un îlot assez important. L'ensemble se conjugue au travers d'une scénographie sommaire mais plutôt efficace au vu de la queue d'attente générée avant même l'ouverture des portes. Des agents accueillent les curieux, les renseignent et leur expliquent le contenu de l’expérience. Quatre casques de réalité virtuelle sont mis à disposition avec des assises afin d’offrir une expérience immersive autour d’une légende anglo-saxonne du monstre Beowulf. Afin de gérer au mieux le flux de participants, une liste d’attente est imposée pour s’inscrire à un créneau horaire précis. Un sentiment de rareté et de privilège naît alors chez le passant, de quoi susciter un engouement certain.
Grâce à un atelier créatif, dessins et coloriages permettent aux enfants (mais également aux parents et adultes) de s'approprier et de réinterpréter ce vaste imaginaire des Animaux Fantastiques. Un certain nombre de tables disposées ici et là offre feutres et papeteries.
Vues de l’îlot créatif et des cimaises de présentation © Giulia Guarino
L’expérience se finit par un Photo Booth gratuit pour immortaliser le moment et repartir avec un souvenir. Des cartels explicatifs proposant des focus ponctuent l’espace et exposent des images d’œuvres présentées au Louvre Lens
Après une demi-heure d’attente, je m’installe sur une assise et un responsable de l’activité m’explique précisément les consignes induites par l’utilisation du casque de VR. Le casque, par son option Hand Tracking, figure parmi les casques les plus avancés technologiquement. La fonction de suivi des mains dans la réalité virtuelle permet aux utilisateurs d'interagir avec des objets et des environnements virtuels, sans avoir besoin de manette comme sur les anciennes générations de VR. Cette expérience nous plonge dans un récit d’une dizaine de minutes à la rencontre de Beowulf, un gigantesque dragon tiré d’un poème épique datant du VIII siècle. Après avoir navigué dans un cabinet de curiosité mystérieux, le personnage que l’on incarne explore un sous-sol sombre où vit Beowulf. S’ensuit un affrontement épique entre ce dragon de feu et un chevalier, non s’en rappeler le mythe chrétien de Saint Michel terrassant le dragon. Bien que divertissante, l’expérience peut néanmoins devenir désagréable d’un point de vue optique dû aux graphismes qui ne sont pas des plus qualitatifs.
Bien des lieux culturels ont adopté cette manie d’introduire la réalité virtuelle au cœur des expositions et de leur programmation. Le Louvre Lens depuis sa création en 2012 mène une importante politique d'actions hors les murs afin de venir à la rencontre d’un non-public, qui semble important dans cette région. Ce dispositif de Réalité virtuelle a permis de réaliser ce stand en pleine période d’Halloween (période cohérente avec le sujet des animaux fantastiques) au sein de cet espace très particulier qu’est le Mall afin d’inciter des personnes non familières des musées à venir découvrir la future exposition du Louvre Lens. Cependant, mobiliser ce genre d’activité lors d’une action hors les murs peut être discuté. L’initiative d’une expérience de VR ne tue-t-elle pas dans l’œuf l’intérêt que le passant peut ressentir vis-à-vis de l’exposition à Lens ? Ce dispositif donne-t-il réellement envie de se déplacer au musée à la suite de l’expérience ? Offrir ce genre d’attractions individualistes peut-il encourager le visiteur satisfait à aller voir l’exposition ? Ou sera-t-il enclin au contraire à se satisfaire de cette seule expérience ? S’il franchit les portes du Louvre Lens, sera-t-il déçu de ne trouver aucun dispositif de ce type dans l’exposition ? L’enjeu n’est-il pas de s'inscrire dans une démocratie culturelle pour laquelle l’atelier créatif semble plus fertile en termes de réappropriation du sujet et d’occasion de créer du lien entre les participants?
La réalité virtuelle des Animaux Fantastiques s’est également imposée au sein du musée au travers de la programmation réalisée autour de l’exposition afin de diversifier l’expérience visiteur in situ et toucher alors un public potentiellement adolescent. Cependant, la place de ce genre de dispositif doit être réfléchie en amont. Est-ce un bonus ou une prolongation nécessaire au contenu et à sa compréhension ? L’expérience est inscrite dans l'exposition ou fait-elle partie des dispositifs de médiation?
Panneau explicatif Réalité Virtuelle au sein du Louvre-Lens © - Giulia Guarino
La mise en autonomie du visiteur par le casque VR répond à une dynamique éminemment inscrite dans notre société moderne. L’expérience VR de La palette de Van Gogh au Musée d’Orsay pose également cette question centrale de l’introduction du numérique immersif. Le dispositif, proposant un tarif indépendant (6 euros supplémentaires) du billet d’entrée, semble vouloir prolonger l’expérience intime et sensorielle des usagers leur donnant l’impression de pénétrer dans la création de cet artiste maudit. Cependant, le casque de Réalité virtuelle me semble être un outil de médiation bien trop facilitant et souvent peu utile au sein du contenu. Certes, il est compréhensible et nécessaire que le monde de la culture s’ouvre à ces innovations technologiques afin de suivre les tendances de son temps. Dans notre cas, le numérique, implanté dans un centre commercial, permet de séduire des non publics en offrant des expériences nouvelles, sensationnelles et marquantes. Un autre défi est de jauger son utilisation et son utilité au sein des expositions.
Texte de présentation de l’expérience La palette de Van Gogh, Musée d’Orsay © - Giulia Guarino
Giulia Guarino
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