« Cette Cité n’est pas un musée, c’est une institution culturelle profondément originale. C’est la première fois que, dans notre pays, une institution culturelle est consacrée à cet objet patrimonial et culturel qu’est la langue française », Elysée (Paris, octobre 2023).
Un territoire emblématique de l’histoire littéraire ?
Au centre d’une ville de 10 000 habitants telle que Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, un imposant château se dresse. Riche d’histoire, ce fut le lieu où François Ier, en 1539, signe une ordonnance imposant l’usage du français dans les documents officiels, administratifs et juridiques. Cette signature généralise dès lors la propagation du français sur le territoire. Ancienne demeure royale transformée par Napoléon en dépôt de mendicité puis en maison de retraite en 1889, ce château subit plusieurs dégradations et tombe en désuétude, jusqu’à totalement être abandonné en 2014. Depuis 2018, lorsque le Président de la République Emmanuel Macron annonce son réaménagement, ce château de 23 000m2 reprend vie au cours de cinq années de travaux afin de devenir la Cité internationale de la langue française. Ce chantier titanesque est inauguré le 30 octobre 2023 comme site culturel dédié à la francophonie. La région Hauts-de-France est le terreau d’écrivains tels qu’Alexandre Dumas - le musée Alexandre Dumas se situe à Villers-Cotterêts - Jean Racine, Jean de la Fontaine, Paul Claudel ou encore Jules Verne, Marguerite Yourcenar, non évoqués dans la salle d’introduction dédiée à l’attractivité du pays du Valois. L’enjeu est sans doute moins de devenir un carrefour régional, même si cette dimension se trouve évoquée en préambule du parcours, que d’offrir une vision de la riche dimension internationale de la francophonie.
Lorsque le visiteur pénètre dans le hall d’accueil, il trouve à sa gauche la billetterie à laquelle est accolée une petite salle d’exposition temporaire. Sur sa droite se trouve une librairie-boutique, un café-salon de thé et, en face, des salles de réunion et un auditorium. Des locaux sont aménagés pour l’accueil des chercheurs dans le domaine linguistique, des studios pour des résidences d’enseignants, d’intellectuels et d’artistes. Situé au premier étage du logis royal, entre interactivité et ludisme, le parcours permanent en trois sections se répartit en quinze salles, et est précédé d’une salle d’introduction présentant le château et son territoire.
Plan de visite du parcours permanent de la Cité internationale de la langue française, au premier étage du Logis royal du château de Villers-Cotterêts ©SB
Projet politique, contenu scientifique, expérience numérique ?
« Premier lieu dédié à la langue française, par le cinéma, l’écriture, la littérature, le théâtre », Rima Abdul Malak, ministre de la Culture.
Le parcours permanent de la Cité offre une immersion complète au cœur de la langue française. Emmanuel Macron souhaite mettre à l’honneur et faire honneur, dans ce « château de la francophonie », aux figures essentielles que sont les écrivains, les comédiens, les traducteurs, les professeurs, en bref, ceux et celles qui, constamment, transmettent et font vivre le français. L’ambition de la Cité est d’expliquer, échanger et nourrir les recherches autour de la manière dont la langue française s’est formée et se formera.
Dans la séquence « Une invention continue », des dispositifs numériques sont présentés comme « La leçon d’orthographe » animée par les humoristes Arnaud Hoedt et Jérôme Piron. Linguistes de formation, ils trouvent que les Français sont peu exigeants, non pas avec leur propre orthographe ou celle des autres, mais avec l’orthographe elle-même. Ici, il ne s’agit pas de juger la langue, mais bien l’orthographe. La frontière entre l’orthographe et la langue elle-même est fine. Mais l’orthographe n’est pas la langue, l’orthographe c’est l’écriture de la langue. Sur un écran positionné face au visiteur, les deux humoristes énoncent un mot prononcé d’une seule façon mais avec deux propositions d’orthographe (par exemple, « mécanique » et « méchanique »). Quelques secondes sont laissées au visiteur pour se placer à gauche ou à droite de l’écran, en fonction de son choix. Puis la réponse correcte est donnée. Aucun score n’est attribué et aucun jugement n’est appliqué, seulement une histoire de l’étymologie. À la question « est-ce que ça se dit ? », Arnaud et Jérôme répondent invariablement « oui, tu viens de le faire ». Leur objectif à travers ce dispositif est alors de dédramatiser les fautes commises, et de pouvoir améliorer son orthographe par le jeu. Pour ces deux linguistes, la simplification de l’orthographe serait un nivellement par le haut à tout problème d’orthographe car les personnes ne feraient pas moins bien, mais mieux. Cette dictée un peu particulière décomplexe vis-à-vis des exigences de ce type d’exercice, et permet de souligner avec malice les incohérences et exceptions qui constituent la norme de la langue française. Ce dispositif, qui donne à voir les subtilités de la langue française, peut s’adresser à tout public, enfant, adolescent, comme adulte, car c’est un soutien pour découvrir, apprendre, ou améliorer, sa grammaire. Néanmoins, ce dispositif manque le défi de la traduction en une autre langue pour les étrangers ne parlant pas ou difficilement la langue française, afin que ces derniers puissent toutefois participer au jeu.
« La leçon d’orthographe » proposée par Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, Cité internationale de la langue française, Villers-Cotterêts, ©S.B.
Un autre exemple de ce dispositif : « Vous êtes… les visiteurs, les visiteuses et les visiteurs, les visiteur.euse.s ? » Réponses en date du 16 novembre 2023. ©S.B.
Expressions idiomatiques francophones, section « Une langue de référence mondiale », Cité internationale de la langue française, Villers-Cotterêts, ©François Nascimbeni (AFP).
Et par-delà la France ?
Les cartes de Frédéric Bruly Bouabré, 1991-2007, Cité internationale de la langue française, Villers-Cotterêts, ©S.B.
Le dôme des mots voyageurs, Cité internationale de la langue française, Villers-Cotterêts, © Franck Levasseur.
Et après ?
« La langue française unit, permet de partager un passé mais aussi de vivre au présent et d’inventer un avenir commun », Marie Lavandier, présidente du Centre des monuments nationaux.
Le sujet de la langue est pour le moins sensible, quand est envisagée la langue française comme langue coloniale. En comparaison, il peut sembler querelle de chapelle de s’attarder sur la langue au prisme de l’orthographe, de la langue inclusive, du genre, mais c’est le parti-pris de cet article. Chaque modification de l’orthographe fait l’objet de tribunes enflammées, et chaque entrée dans le dictionnaire de l’Académie française provoque de nombreux désaccords. Le ciel de mots est déjà un acte politique en choisissant des mots de dialecte, patois, des régionalismes, des mots récemment entrés dans les dictionnaires. À titre d’exemple, le mot « wassingue », un régionalisme du Nord signifiant « serpillère », ne relève pas d’un français académique, et les habitants des autres régions de France n’ont pas connaissance de ce vocabulaire. Ceux qui utilisent le mot « wassingue » argueront que ce mot est français, car venant d’une région française, les Hauts-de-France, même si ce mot francisé est emprunté au flamand « wassching » ("action de laver »).
Entre vocation éducative, culturelle et artistique, ce lieu ambitionne de devenir un pilier majeur de la diffusion et la préservation de la francophonie à travers le monde. Modernité oblige, interactivité et immersion sont au rendez-vous. À l’image d’une langue française caractérisée par sa diversité, vivifiée et réinventée en permanence, les dispositifs numériques devront ne pas manquer d’être réactualisés au fil des générations. Même si des contenus comme dans la salle des humoristes font date par leur exemplarité, certains contenus devront être réactualisés. La question de la maintenance et du renouvellement du contenu se posera à terme.
Article publié sur https://www.litteraturesmodesdemploi.org/ ; https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/cite-internationale-de-la-langue-francaise/
#Langue ; #francophonie ; #culture
Pour en savoir plus :
La faute de l’orthographe, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, TEDxRennes ; https://www.youtube.com/watch?v=5YO7Vg1ByA8
Podcastics, La Cité internationale de la langue française. Découverte d’un nouveau lieu culturel au château de Villers-Cotterêts ; https://www.podcastics.com/podcast/episode/la-cite-internationale-de-la-langue-francaise-263587/
Radio France, Cité de la langue française : le français, éternel enjeu politique ; https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/cite-de-la-langue-francaise-le-francais-eternel-enjeu-politique-7556097