« Quand on lutte contre des monstres, il faut prendre garde de ne pas devenir monstre soi-même. Si tu regardes longtemps dans l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi. » Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal,1886.

Exposition « Mondes Souterrains » au Louvre Lens, mars 2024 © EK

 

C’est au Louvre Lens, au cœur du bassin minier, que se déroule du 27 mars au 22 juillet 2024 l’exposition « Mondes souterrains. 20 000 lieux sous la terre ».
Imaginé par Alexandre Estaquet-Legrand (conservateur) et Jean-Jacques Terrin (architecte), le parcours commence par les tréfonds de la terre, il immerge dès l’entrée le visiteur dans le plus lugubre et sombre qu'il puisse connaître. Accueilli par la Sybille d’Érithrée de Jean-Jacques Caffieri, le message divin est clair : laissez-vous emportez dans les entrailles d’un monde redouté et inconnu. De par l’immensité du sujet, l’exposition explore par ses quelques 200 œuvres des mythes de différents temps, tout en les reliant à notre époque et au territoire minier.

 

Un monde énigmatique permettant la création

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A gauche : Nathanaël Schaeffer et Julien Aubert, Visualisations issues de simulations numériques du processus de convection et champs magnétiques dans le noyau terrestre, CNRS, 2016-2023 © EK
A droite : Nathanaël Schaeffer et Julien Aubert, Visualisations issues de simulations numériques de la température du noyau terrestre dans le plan de l’équateur, CNRS, 2016-2023 © EK

 

Le monde souterrain est source de questionnements depuis l’Antiquité. L’exposition retrace l’évolution des perceptions de ces territoires par des œuvres représentant cette géographie hostile, insolite et inconnue. Ainsi, le visiteur peut voir aussi bien la Vue d’une grotte de Jean-Augustin Franquelin que de véritables images de la température du noyau terrestre effectuées par deux chercheurs du CNRS Nathanaël Schaeffer et Julien Aubert.
Tous les orifices de la terre sont exposés : grottes, volcans, cratères... Cet espace est source d’imagination, il incarne la peur, la curiosité et s’immisce dans nos plus lointains cauchemars. Qui n’a jamais eu peur d’entrer dans une grotte étant enfant ? L’exposition permet d’invoquer doutes et souvenirs, d’appeler une imagination débordante, et celle que manifeste aussi une littérature illustrée de Germinal d’Emile Zola à Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll. Plus proche de nous, les grottes deviennent les abris de dessins, de contes enchanteurs, elles s’invitent dans les villas romaines et deviennent le genre grottesche de décors.

 

Aux tréfonds de la Terre

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Gardien de tombeau, Chine.

 

Que se passe-t-il sous terre ? Telle est la question que soumet l’exposition. Au détour d’un gardien de tombeau de la dynastie des Han de l’est, le visiteur découvre ce monde souterrain investi par les humains, les monstres ou toute autre créature mythologique.

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Maurizio Catalan, Mother, 1999 © EK

 

L’Au-delà est à portée de main par une photographie de Catalan, illustratrice de la crainte viscérale d’être enterré vivant. Nos corps investissent ces terres depuis des siècles. Après cette mort, imposée ou naturelle, la descente aux enfers est irrévocable ; peu importe les croyances ou l’époque, l’enfer a toujours existé, comme le montre l’exposition. Créatures informes, protectrices ou cruelles, les statues, peintures ou objets de cultes permettent d’observer que de tout temps et en toutes civilisations, l’humain pense à l’après vie et souhaite honorer ses défunts afin de, peut-être, avoir une mort plus douce.

 

Une terre nourricière

L’exposition permet au visiteur de prendre conscience de la richesse de nos profondeurs, de sa fertilité. En effet, cette terre créatrice est mise en valeur par un cabinet de curiosités regroupant des fossiles, pierres précieuses, métaux ou encore ossements. Ces trésors participent à la beauté de ce que l’homme peut créer mais aussi à l’innovation de notre société. Le choix de dévoiler des gemmes, des minéraux, au sein d’une exposition principalement picturale interpelle, permet une pause dans la contemplation et ravive l’éblouissement.

 

Cueillir les fruits de nos entrailles est le labeur des mineurs, cette mise en valeur rappelle l’implantation du musée. Le mineur brave les dangers, et remonte une source d’énergie de nos sous-sols, au péril de sa vie. Moins profond, les constructeurs de métro du XIXè siècle ponctuent la fin du voyage sous terre dans cette exposition. L’innovation et la modernité reviennent, les mythes sont laissés au temps du passé, l’humain investit les profondeurs pour exploiter la terre selon ses exigences.

 

L’exposition n’analyse pas les dérives liées au travail des mines de charbon, ou plus récemment de métaux et de sables. Son seul angle est l’héroïsation du mineur. De simples faits historiques sont relatés, ils ne sont pas transposés aux déboires du monde actuel. Il est vrai d’écrire « Aujourd'hui, d'audacieux projets se déploient dans les sous-sols des villes contemporaines. Certains chercheurs et urbanistes pensent que là se situe l'avenir de la vie urbaine. » Car à l’aube de grands fléaux (guerres, crises environnementales et sociales), les mondes souterrains seront probablement les refuges de demain. Ils le sont en ce moment même, certaines populations du monde telles que les Ukrainiens ou les Australiens ont recours à ces mondes souterrains, les uns pour se protéger des bombardements, les autres pour échapper à la chaleur. A l’heure où des milliardaires investissent dans des bunkers-palaces afin de fuir un monde auquel ils ont participé, les 99,9% restants de la population mondiale s’engouffrent dans des métros insalubres. L’exposition n’évoque pas les conditions de travail déplorables des mineurs du monde contemporain. Pour autant, elle permet d’admirer toutes ces beautés exposées, de faire une pause dans ce monde parfois désespérant.

 

Le Louvre Lens ravit par tant d’œuvres exposées provenant de toutes disciplines, les sciences, l’archéologie ou les arts visuels. Pour autant, cette multitude d’informations visuelle et mentale peut perdre le visiteur, malgré un parcours très structuré. Des mythes, des dieux, des philosophies évoqués ne sont pas expliqués en profondeur. C’est un visiteur à l’œil aguerri et familiarisé au sujet qui appréciera certainement sa visite. Les œuvres exposées, 200, pour être appréhendées nécessiteraient une seconde visite. 

Élise Klein

 

Pour en savoir plus :

Horaires d’ouvertures :
Du mercredi au lundi : 10h – 18h
Fermeture des caisses à 17h15.
Fermé le mardi et certains jours fériés (1er janvier, 1er mai et 25 décembre)

 

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