Le Mammouth de Durfort, un spécimen emblématique du Muséum National d’Histoire Naturelle, a fait l’objet d’une restauration et d’une importante médiatisation ! Pourquoi ?Comment ? Est-ce un phénomène fréquent dans les muséums ? Découvrez l’exposition proposée autour de cet événement et les objectifs qui se cachent derrière le fait de médiatiser une restauration !
©Margot Jeandeau
©Margot Jeandeau
Une restauration gigantesque !
Restaurer des objets de musée, que ce soit dans un objectif de conservation préventive, ou parce que l’œuvre ou le spécimen s’est dégradé, est une des principales missions des institutions muséales. Cette restauration peut d’ailleurs se faire de manière discrète, avec un petit panneau : « œuvre en restauration » ou faire l’objet d’une importante couverture médiatique à l’image de celle qui a été faite pour le départ du Mammouth de Durfort au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), en juin 2022.
Le Mammouth de Durfort est un spécimen emblématique de la Galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée (GPAC) du MNHN, puisqu’il est à ce jour, le seul mammouth de son espèce à être monté intégralement en France, et cela depuis 1898. Imposant par ses six mètres de long et ses 4mètres de hauteur, le mammouth bénéficie d’une place de choix au sein de l’espace d’exposition, dans lequel la circulation pour les visiteurs est souvent contrainte par la quantité de spécimens exposés.
L’objectif, ici, n’est pas de retracer l’histoire complète de ce spécimen, mais bien de se rendre compte du chantier d’ampleur que cette restauration a entraînée, et des dispositifs de communications mis en place par le MNHN pour donner une visibilité à cette restauration.
Selon le dossier de presse, réalisé pour cette restauration, après 125 ans d’exposition, l’état du spécimen s’est dégradé, et une restauration d’urgence s’est révélée nécessaire dès 2020. Le chantier, après un appel au don et un appel d’offres remporté par l’entreprise Aïnu, a eu lieu entre juin 2022 et juin 2023.
Je vous propose d’interroger la médiatisation de ce chantier et de cette restauration. Quels moyens ont été mis en place pour communiquer sur cet événement ? Pourquoi communiquer sur les missions de conservation-restauration des institutions muséales ? Et enfin, médiatiser la restauration d’un spécimen d’Histoire Naturelle est-ce une pratique courante ?
Dans un article sur la médiatisation (ou spectacularisation) de la restauration-conservation des chefs-d’œuvre1 Claire Casedas écrit qu’une médiatisation passe notamment par « l’organisation d’une exposition « dossier » », où les thématiques abordées tournent autour des actes de restauration et d’intervention sur les œuvres, des découvertes etc. Ce type d’exposition jouerait alors un rôle principalement éducatif auprès du grand public afin de les sensibiliser aux missions muséales, aux métiers de la conservation-restauration et aux actions de mécénat par les institutions.
Une (petite) exposition a, en effet, été proposée aux visiteurs de la GPAC. Elle semblait avoir pour ambition d’informer les visiteurs sur l’absence du mammouth au sein de la galerie. Une absence remarquable puisque cela a laissé, au sens littéral, un vide dans l’espace d’exposition. Ainsi, pour le combler, des photographies et des cartels de textes autour de l’espace vidé, et sur le balcon de la galerie, sur lequel les visiteurs avaient une vue plongeante sur l’absence du mammouth, ont été installés. Ces cartels racontaient aux visiteurs l’histoire du mammouth, la raison et les objectifs de sa restauration. L’espace vide contenant le socle n’était pas accessible aux visiteurs. Seule une fresque, représentant l’environnement du mammouth, était visible depuis le balcon, ou grâce à une petite fenêtre intégrée sur les murs de l’installation. Cet espace, visible, vide, et inaccessible, l’est-il par mesure de sécurité, puisque le socle a lui-même été restauré, ou est-ce un parti muséographique fort, peut-être poétique, à l’intention des visiteurs sur l’absence d’un tel spécimen ? Ce choix n’a pas été explicité, le visiteur ne peut qu’imaginer ou interpréter, ce que représente cet espace pour lui.
Si l’exposition est en elle-même un médium utilisé par les musées pour diffuser un message, valoriser un patrimoine, celle sur le mammouth ne semblait pas faire l’objet d’une importante communication, au-delà du simple panneau l’indiquant à l’entrée de la galerie. Ainsi, il semblerait que ce dispositif de médiation ait surtout eu pour rôle, certes informatif et éducatif, de combler un manque dans la galerie et de justifier la présence de cet espace vide parmi les autres spécimens exposés. Le vrai « spectacle » dans la restauration du mammouth fut son remontage en présence d’un public après que les os, le socle et son armature aient été rénovés.
Selon Geneviève Reille-Taillefer, le fait de rendre un acte de restauration accessible au regard du public permettrait de justifier l’investissement des pouvoirs publics. Le MNHN, étant un musée d’État et musée de France, ayant des subventions, et ayant récolté de nombreux dons pour la restauration du mammouth de Durfort, l’emploi de ces moyens financiers engagés doit être prouvé. Cette courte exposition peut être considérée comme une preuve, donnée par l’institution, pour justifier l’aspect financier cette restauration d’ampleur, et remercier les donateurs. Ces derniers ont d’ailleurs vu leurs noms affichés sur un cartel, ainsi que sur une plateforme en ligne sur lequel le mammouth était modélisé en 3D.
Plus largement, à travers l’exemple du Mammouth de Durfort, la mission muséale de la conservation au sein des muséums est dévoilée et expliquée au public. Mais plus encore, c’est l’ensemble des quatre missions permanentes de tout musée de France, qui sont respectées et diffusées : la conservation et restauration des collections ; rendre accessible les collections au public le plus large ; concevoir et mettre en œuvre des actions d’éducation et de diffusion pour un large accès à la culture ; contribuer au progrès de la connaissance. En d’autres termes, Ségolène Bergeon-Langle, estime que les expositions sur la conservation-restauration relèvent de la politique du « faire-savoir » et du « savoir -faire ». Dans ce type d’exposition, ce sont les métiers de la restauration, et les techniques mises en œuvre, qui sont placés sur le devant de la scène, dans un objectif de communication avec le public, dont le droit à la connaissance.
Enfin, plus qu’une « petite » exposition, le chantier de restauration du Mammouth de Durfort a fait l’objet d’une importante couverture médiatique. L’exposition n’étant qu’un média parmi tant d’autres. Cette restauration a fait l’objet de nombreux articles de journaux, dont les principaux éléments sont tirés du dossier de presse réalisé pour l’événement, mais également d’un documentaire de quatre-vingt dix minutes, réalisé par Eclectic Production, diffusé sur France 5 en octobre 2023, proposant aux téléspectateurs de découvrir le spécimen et toutes les étapes de sa restauration auprès des scientifiques. L’objectif étant d’informer les visiteurs qui n’ont peut-être pas vu l’exposition et pouvant constituer une archive.
Partir de l’exemple du Mammouth de Durfort pour évoquer les enjeux d’une médiatisation de restauration n’est pas anodin. En réalité, ce type de médiatisation est assez rare, en France, lorsqu’il s’agit d’un spécimen d’Histoire Naturelle. Les auteures citées ne s’appuient que sur des œuvres artistiques et monumentales lorsqu’elles expliquent le principe de médiatisation et de spectacularisation de la conservation-restauration. Il n’y a que peu de spécimens ou d’objets scientifiques et ethnographiques dont la restauration est médiatisée, en France, comme l’a été le Mammouth de Durfort. Son caractère imposant dans la Galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée, son titre « d’espèce emblématique » du MNHN, et le fait qu’il s’agisse d’un spécimen largement plébiscité et connu, permet au Mammouth de Durfort, de faire l’objet d’une telle médiatisation. Cette médiation peut susciter d’autres questions : les institutions doivent-elles être de grande envergure pour se permettre une telle médiatisation ? La restauration d’un spécimen d’Histoire naturelle est-elle moins attractive pour les visiteurs, voire les institutions, que celle d’une œuvre d’art ou d’un monument ? Plus anecdotique ?
Ces questionnements restent ouverts, dans l’attente d’un autre exemple de médiatisation de restauration de spécimen d’Histoire Naturelle.
Vue de l’espace « vide » et du socle qui accueillait le Mammouth de Durfort, Crédits : ©Margot Jeandeau
Remontage du squelette après restauration, Crédits : ©Margot Jeandeau
Cartels sur le balcon, Crédits : © Margot Jeandeau
Cartels disposés autour de l’espace vide, au milieu des spécimens de l’exposition permanente, Crédits : © Margot Jeandeau
Margot Jeandeau
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