Comment se projeter dans une ville en 2050 au sein d’une exposition ? Avec des dispositifs capables de nous faire sentir l’air que nous respirerons dans quelques décennies ? Un simulateur en réalité virtuelle ? Un jeu vidéo dans lequel nous pouvons incarner des cyborgs ? Costanza Matteucci et Caroline Manowicz ont eu une idée tout à fait différente, qu’elles ont développée dans l’exposition « La rue des transitions, tissons la ville de demain » présentée jusqu’au 12 janvier 2025 dans l’église du site Le Corbusier à Firminy.

 

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L’église Saint-Pierre du site Le Corbusier, ©JD

 

L’idée d’une exposition qui explore le futur

Le concept est plutôt simple : imaginer la ville de demain, lorsque les ressources fossiles seront épuisées. Aborder ce genre de thématiques au sein d’une exposition n’est pas chose aisée, est-ce que le public a vraiment envie de se mettre face à ce futur qui nous tend les bras ? Comment parler de cette thématique aux plus jeunes, aux pessimistes, mais aussi aux optimistes, ou encore aux sensibilisés ?  
Géraldine Dabrigeon, directrice-conservatrice du site, Louise Pédel, chargée des expositions et les deux commissaires invitées, Costanza Matteucci et Caroline Manowicz ont décidé de relever ce défi.

 

…et c’est réussi !

L’exposition a été construite autour de six axes principaux à partir desquels les visiteurs sont invités à se questionner : la transition de la modernité à l’écologie (en s’appuyant sur l’exemple de Firminy), les équipements publics et notamment les infrastructures sportives, la rue relationnelle, les modes de déplacement, notre alimentation et les bruits de la ville. Chacun de ces scénarios est accompagné d’un dispositif participatif, qui aide les visiteurs à se questionner, et qui permet aussi de se nourrir des réponses de chacun des participants.
Par exemple, dans la rue relationnelle, les visiteurs peuvent récupérer du carton dans une poubelle jaune et y inscrire leurs idées et propositions pour construire une rue plus durable et agréable à vivre. Ou bien lors d’un détour dans le jardin des attachements, chaque visiteur est invité à écrire sur un ruban un aliment qu’il n’arrive pas à enlever de son alimentation, même s’il connaît les retombées nocives que celui-ci peut avoir. Ensuite, il attache ce ruban à des piquets disposés tout autour de la salle, comme une barrière à franchir. Les visiteurs peuvent alors se rendre compte qu’ils ne sont pas les seuls à ne pas avoir une alimentation parfaite, tout en découvrant des alternatives explicitées dans les panneaux de l’espace. Grâce à ce genre de dispositifs, les visiteurs ont plus tendance à échanger entre eux, ils deviennent acteurs de l’exposition qui s’enrichit et grandit au fil des semaines.

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Le jardin des attachements, ©JD

 

Mais, faire une expo, c’est écolo ?

Faire une exposition sur le futur et l’avenir écologique, c’est intéressant, mais ce n’est pas un peu contradictoire ? Chaque exposition fabriquée et montée nécessite des ressources, des matériaux, de l’énergie, des impressions, des déplacements… Alors comment être en accord avec ce que l’on prône ?
C’est toujours plus simple de faire fabriquer une scénographie toute neuve. Que ça soit au niveau des normes, des marchés, de l’achat des matériaux, mais aussi du rendu esthétique. Nous sommes tous férus d’une scénographie à la mode, avec des dispositifs interactifs, numériques, mais finalement, est-ce que l’exposition en sort grandi ? Plus mémorable ? Plus enrichissante ?
A Firminy, les visiteurs peuvent apprendre à broder, s’amuser à écrire des cartes postales aux inconnus, tagger des affiches publicitaires, créer une rue à leur image ou encore créer une mélodie avec les bruits de la rue, et tout ça, sans qu’il y ait eu à acheter de matériaux neufs uniquement pour l’exposition !

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Atelier « retissez la ville » où les visiteurs brodent sur des photos de l’ère industrielle les aménagements qui permettraient un futur enviable, ©JD

 

Lors de l’inauguration de l’exposition, les visiteurs ont eu le droit à une double narration : le propos de l’exposition et les différents scénarios étaient présentés par Caroline Manowicz, et Costanza Matteucci ajoutait systématiquement la provenance et la vie passée ou future des matériaux et objets. Des casiers de piscine et une horloge ont été chinés sur Leboncoin, des échafaudages ont été loués, une poubelle de la ville empruntée et des cagettes vont servir aux employés municipaux : seuls quelques mètres carrés de carrelage recherchent leur future propriétaire (d’ailleurs, si vous passez par Firminy, n’hésitez pas à aller les adopter !).

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Les casiers de piscine et le support de cartes postales achetés sur Leboncoin, ©JD
 

Mais la responsabilité environnementale d’une exposition ne passe pas uniquement par la scénographie. Le catalogue de l’exposition par exemple se constitue uniquement de six feuilles A3, glissées dans une enveloppe kraft qui a été sérigraphiée à la main par l’équipe. Chacune de ces feuilles est née d’une réflexion entre un graphiste qui a réalisé le recto, et un écrivain novice (architecte, habitant, enfant, mais aussi le nouvel acheteur du catalogue) qui occupe le verso grâce à ses mots. Chaque binôme a traité l’un des six thèmes, ce qui permet aux visiteurs d’avoir une vision encore différente que celles qu’il a pu lire ou entendre dans l’exposition.

L’équipe du site a en effet, en plus d’avoir pensé une exposition participative qui évolue avec le temps, construit une partie de l’exposition avec les habitants de la ville. Impliquer les habitants et les visiteurs dès la phase de conception permet d’avoir une exposition utile, qui va parler à un public plus large.
Nous pourrions aborder aussi les panneaux de salle qui sont tous fabriqués avec des matériaux de récupération glanés dans la couronne stéphanoise, ou bien de l’absence totale d’écran, mais je préfère vous laisser le plaisir de découvrir tout cela en vous rendant à Firminy.
Costanza Matteucci confie que participer à un projet participatif et plus responsable demande plus de temps et d’implication, et que pour continuer de faire vivre et enrichir cette exposition, le personnel du site, mais aussi les commissaires doivent penser à des activités, des conférences, des rencontres autour de l’exposition. Il ne suffit pas d’ouvrir l’exposition et de la laisser s’essouffler doucement. Mais l’implication est payante lorsque les visiteurs ressortent avec le sourire et l’envie de faire bouger les choses. Ce ne serait pas ça, une exposition du futur ?

 

Julie Dumontel

 

#LeCorbusier #exposition #Firminy
Un grand merci à Costanza Matteucci pour ses précieuses réponses.

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